crédit photo: Marie-Emmanuelle Laurin
Calamine

Calamine à Metro Metro 2022 | « Vous avez fini d’être entre boys ! »

La rappeuse militante queer, féministe et anticapitaliste Calamine figure à la programmation du Festival Metro Metro, annoncée mardi. DaBaby, rappeur américain ayant tenu des propos homophobes et misogynes, sera lui aussi de la programmation. Questionnée au sujet de cette occurence, Calamine n’y va pas avec le dos de la cueillère : « Hey, si on me donne l’occasion de monter sur un stage pis de crier mes affaires de lesbienne féministe frustrée, je me dis : criss, je vais y aller, pis je ne vais pas me taire. Je vais y aller, pis je ne vais pas me laisser intimider ».

Se buter à des programmations, des organisateurs ou des festivals qui encouragent ce contre quoi elle se bat fait partie de la routine de la rappeuse. Dans le cas de Metro Metro, son premier instinct a été de vouloir se retirer, avant de se demander : « pourquoi ce serait à moi de me retirer? »

Calamine est catégorique: si elle avait refusé toutes les scènes qu’elle devait partager avec des personnes ayant tenu des propos sexistes, homophobes ou capitalistes « bien, il n’y a personne qui saurait qui est Calamine aujourd’hui ». D’autant plus que si elle se retirait, « il y aurait encore moins de diversité ».

Elle pose la question suivante, y connaissant déjà la réponse: « Est-ce qu’on continue à rester dans la marge et à s’adresser à des personnes déjà converties dans des événements qui n’ont pas de financement et aucun rayonnement? Ou est-ce qu’on veut rentrer dans la forteresse, est-ce qu’on veut rentrer dans le bastion et mettre la bombe ? » On entend son sourire, même à l’autre bout du fil. 

* Calamine aux Francos 2021. Photo par Marie-Emmanuelle Laurin.

 

Calamine explique que son combat n’est pas individuel : « Je n’ai pas une to do list qui dit comment faire pour que DaBaby soit plus conscientisé », rigole-t-elle. Elle cherche plutôt à exposer son discours à tous les types de public. «Moi, je veux faire le tour des gros festivals, et c’est ça qui est en train de se passer, souligne-t-elle. Je suis en première partie de tous les noms que j’ai décrits comme étant des personnes qui célèbrent leurs privilèges, et qui ont eu des propos ou des comportements problématiques dans le passé. » 

On peut entre autres penser à son passage aux Francos l’automne dernier, où elle performait quelques heures à peine avant Fouki et d’autres rappeurs signés chez 7e Ciel, à qui elle lance quelques flèches dans son long jeu Boulette Proof. Sur La musique, c’est la musique et Mona Lise, l’artiste montréalaise se prononce sur le caractère sexiste de l’industrie du rap au Québec.


S’infiltrer sur cette scène, s’assurer que les foules se mélangent : voilà ce qui la pousse à participer à différents festivals, dont Metro Metro. La scène du rap est maintenant « intégrée par des personnes de la diversité ». Selon elle, les rappeurs vont commencer à « se rendre compte qu’il y a de plus en plus de rappeuses sur les festivals, ça va brouiller les cartes ». Elle explique que, dans le rap, « on n’a plus une crowd aussi homogène qui célèbre les privilèges de dudes pis qui rient aux jokes de bitch ».

Tenez-vous tranquilles, les gars : [ma présence] veut dire que ça se peut que votre crowd soit potentiellement d’accord avec des idées radicales queer féministes. Fait que penses-y à deux fois avant de faire ta toune qui dit des affaires pas de bon sens.

La (sous-)représentation des femmes

Calamine n’était évidemment pas au courant que son nom figurerait aux côtés de celui de DaBaby sur l’affiche de Metro Metro. « Naturellement, on ne connaît pas la programmation exhaustive des festivals avant leur annonce », explique-t-elle. « Je savais bien que [la programmation] ne serait pas tiptop quand j’ai su que c’était le festival à Olivier Primeau », avoue-t-elle, manifestement peu impressionnée par le ratio de huit femmes pour 23 hommes. Celles-ci n’apparaissent d’ailleurs que sur les trois dernières lignes de l’affiche de programmation.

Jointe par courriel, l’équipe de programmation du festival Metro Metro affirme pourtant que la présence féminine « occupe une place importante (dans notre programmation), comme vous avez pu le constater avec la tête d’affiche de notre première édition, Cardi B. »

Apparemment, avant l’arrivée du variant Omicron, plusieurs artistes féminines étaient prévues au programme du festival, dont une tête d’affiche. Cependant, compte tenu des incertitudes liées aux restrictions et au déroulement du festival, la programmation a été annulée, l’équipe a dû rebâtir une nouvelle programmation en moins d’un mois, « et elles [les artistes féminines précédemment prévues] ont par la suite été bookées dans d’autres événements », nous dit-on.

 

Inviter DaBaby : stunt ou insensibilité?

Selon Calamine, la présence de DaBaby « enlève toute la crédibilité à l’évènement, ou du moins à l’organisateur ». Elle ne mâche pas ses mots quant à l’impression que lui laisse l’homme d’affaires à la tête du groupe Midway. « C’est peut-être Olivier Primeau qui fait un stunt d’amener des homophobes, qui veut faire son polémiste, suppose-t-elle. Ou il est vraiment insensible à cette cause-là ».

Même si l’organisateur me donne l’impression d’être un douche au moment actuel et dans ce contexte-là, même si on invite un rappeur homophobe, je me dis : criss, on est à Montréal, on est une métropole fucking queer pis on va faire [le festival] de la manière la plus intellectuellement respectable. On va amener notre proposition musicale qui est diversitaire et inclusive pis on va aller faire notre truc.

 

Pour sa part, l’équipe de la programmation de Metro Metro justifie la présence de DaBaby ainsi : « En ce qui concerne DaBaby, nous étions au courant qu’il avait tenu des propos dérangeants, mais qu’il a fait des excuses publiques à ce sujet. Comme il est revenu sur le circuit des festivals, notamment au festival Rolling Loud, et est resté l’un des artistes les plus demandés dans nos récents sondages, nous l’avons réintégré dans notre programmation. »

Il est à noter que les excuses publiques de DaBaby avaient été retirées moins d’une semaine après avoir été publiées, à l’été dernier.

 

Les craintes concrètes liées à l’homophobie

Il est possible que « 10% de la crowd de Koriass et Fouki fucking hate Calamine, pis qui hate les féministes. Et c’est épeurant », souligne Calamine. Malgré ses blagues et son attitude combative, une certaine crainte persiste dans son esprit. « Je vais faire la première partie de tous les boys. Ça se peut qu’il y ait du monde qui n’aime pas ça pantoute », souligne-t-elle, rappelant que l’homophobie est dangereuse et peut inciter à la haine.

Lors de son tout premier festival, le Festif! de Baie-Saint-Paul, elle avait partagé avec ses musiciens ses inquiétudes face à la possibilité de se faire « lancer une bouteille de bière par la tête ». Heureusement, elle n’a jamais été confrontée à de la violence directe à la suite d’un spectacle ou en lien avec sa musique. « Ça me surprend à chaque fois que la réponse soit aussi positive ».

Elle avoue cependant avoir reçu quelques insultes homophobes et sexistes sur le web. Par exemple, cette insulte qui sera justement réutilisée pour le nom de son prochain album: Lesbienne woke sur l’autotune. 

Pour l’instant, Calamine rappelle qu’elle n’est pas très connue. « Je pense aussi que j’y échappe parce que je ne suis pas la plus proactive sur les réseaux sociaux. Je n’ai pas un gros following sur les réseaux, comparé à où je suis rendue dans les festivals ».

À travers ses blagues et son éternel sourire, Calamine s’attend tout de même a recevoir plus d’attaques dans le futur: « Ça ne sera pas trop long que ça va déferler. Je profite un peu de l’accalmie. Je garde la posture combative… »


* Pour en savoir plus au sujet de la chronologie des propos et des excuses de DaBaby, nous vous suggérons de consulter cet article très complet de Billboard.

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