crédit photo: Steve Caron
Karkwa

Le retour de Karkwa : Pour l’amour d’être un band

L’inévitable retour de Karkwa prend forme ces jours-ci. Après deux spectacles au Zaricot à Saint-Hyacinthe, une présence marquante au FME, une entrevue d’une demi-heure à Pénélope et deux shows dans la suffocante intimité de l’Esco, voici que le nouvel album tant attendu est là, concluant une folle quinzaine qui n’est que le coup d’envoi pour un automne Karkwa. Sors-tu? a été convié à une session d’écoute de l’album en présence du groupe, dans le studio Dandurand du désormais moustachu Louis-Jean Cormier, afin d’en discuter avec les musiciens. (L’album, pas la moustache.)

Voilà douze ans qu’on les attendait. Ils n’avaient jamais totalement fermé la porte, évitant de prononcer le mot « séparation », mais parlant tantôt d’une pause, ou d’un long sabbatique, laissant toujours planer le doute qu’ils reviendraient.

Et ils sont revenus. Quelques fois. Sur scène seulement.

Ils s’étaient réunis le temps d’un concert-bénéfice pour Petite-Vallée, peu après l’incendie qui avait ravagé le théâtre de la Vieille Forge, en 2017.

Peu après, en 2018, Philippe Brach créait le festival La Noce et avait demandé aux gars de Karkwa de donner un coup de main afin de mettre l’événement sur les rails. Ils avaient alors accepté de « sortir Karkwa des boules à mites ».

« Après le show de La Noce, ça nous a pris de court », avance Louis-Jean Cormier, questionné à savoir s’il y avait eu une étincelle qui avait officiellement remis Karkwa à l’agenda des cinq musiciens.

Son collègue claviériste François Lafontaine ajoute : « Quand on a joué en 2018, moi, je suis sorti de scène en me disant : « ok, c’est le meilleur show qu’on a fait. » Je n’en revenais pas que ça revienne musicalement aussi bien et fort. »

La réaction du public y était pour beaucoup, également. Les membres de Karkwa assurent que c’est vraiment à ce moment qu’ils ont pris conscience que leur groupe avait marqué l’imaginaire de manière plus durable qu’ils ne le croyaient.

« Il y avait des musiciens plus jeunes, à La Noce, du monde que nous n’avions pas côtoyé dans le temps, explique le batteur Stéphane Bergeron. Et ce qui m’a saisi, c’était de voir tout le gros backstage se vider pour arriver à la course pour venir nous voir side stage. « Ça vous intéresse pour vrai?! » J’avais soudainement l’impression que ça avait marqué les plus jeunes aussi, et on ne s’y attendait pas vraiment. »

* Photo par Marc-Etienne Mongrain,
prise avant que Louis-Jean troque la barbe pour la moustache
d’inspiration Arthur Teboul (Feu! Chatterton).

Faire table rase pour créer du neuf

Puis au printemps 2022, les cinq membres ont décidé de prévoir une période de création, en catimini, pour voir si les braises créatives étaient encore chaudes pour le collectif.

« On avait un réglement : pas le droit d’arriver avec une idée préconçue. Ne serait-ce qu’une IDÉE de toune. Même pas une suite d’accords, rien. Chaque matin, il fallait partir frais, table rase », explique Louis-Jean.

« Souvent, on partait d’un beat, de tempos ». Ça s’entend sur quelques titres, notamment la bondissante À bout portant, la groovy Dans la seconde, et la quasiment trip-hop Du courage pour deux, en clôture de l’album.

Durant plusieurs semaines, les musiciens ont tricoté des grooves, des idées, des arrangements sous forme de fichiers audio un peu pêle-mêle qui se transformaient progressivement en chansons. Après plusieurs semaines ainsi, les cinq complices ont réservé une semaine en studio Wild, sur le bord du lac à Saint-Zénon, pour jouer les chansons qui avaient été « trop bricolées » en studio. Comme Gravité, par exemple, qui n’existait pas vraiment avant cette session de studio. Elle « n’existait que théoriquement », en fait, sous forme de bouts disparates qui ont pris forme en les jouant.

Cette façon de fonctionner a porté fruit en grande partie en raison de la disposition décontractée des musiciens, qui n’avaient aucune attente, aucune pression.

« On revit pas mal notre vie d’avant, à la différence qu’on n’est pas dans une démarche officielle de carrière », explique Louis-Jean, qui admet avoir voulu « ranger le chanteur Louis-Jean Cormier sur un support pour un moment ».  « On est rendu un peu ailleurs. Quand tu es dans une démarche de « vouloir conquérir le monde », tu es interdépendant. Un band, c’est une équipe, mais tu es quand même menotté. »

Il ajoute que même après la « fin » de Karkwa (que Louis-Jean surnomme « la première batch de Karkwa »), l’ADN de « musicien de band » suivait chacun des membres en tout temps. Et le fait de se retrouver à un stade plus avancé de leur carrière respective leur permettait d’approcher les choses différemment. « On a appris à se fermer la gueule, à écouter les idées des autres et continuer dans ce chemin au lieu de faire à sa tête. »

De toute évidence, la création collective s’est opérée dans un élan naturel stimulant pour les cinq membres, même si « au départ, on ne savait pas comment ça allait marcher avec les boys, si on allait finir par se taper sur la gueule ou quoi », comme l’admet le percussionniste Julien Sagot.

* Photo par Steve Caron.

Jouer dans les petits lieux qui conviennent (quitte à perdre de l’argent)

En plus de dévoiler, au printemps dernier, l’arrivée d’un nouvel album, Karkwa avait annoncé une série de dates de spectacles pour le moins intrigante. Quelques concerts auront lieu au MTELUS (les 30 novembre, 1er, 2 et 9 décembre) et à l’Impérial Bell, à Québec (trois fois, dont ce soir!), mais aussi dans de plus petits bars comme Le Minotaure à Gatineau (les 14, 15 et 16 décembre), ou la « nanobrasserie et café » Beat & Betterave, un tout petit lieu de Frelighsburg.

L’idée était de donner de l’amour à des petits diffuseurs qui bossent dur, mais aussi de reprendre plaisir à la musique live telle qu’elle doit être vécue pour des bands comme Karkwa : avec une réponse immédiate et chaleureuse d’un public debout et enthousiaste.

C’était d’ailleurs aussi la motivation derrière l’annonce de deux spectacles surprises à l’Esco, mardi et mercredi dernier : « refaire un spectacle avec un prix étudiant » de 20$ par billet, comme le soulignait Louis-Jean sur scène.

* Photo par Steve Caron.

Un peu comme au FME, le groupe a proposé toutes les chansons du nouvel album dans des arrangements forcément un peu plus bruts, presque sans trames pré-enregistrées.

Agréablement surpris de l’accueil de ces nouvelles pièces, Louis-Jean a même déclaré : « On ne vous laissera pas en plan : on va vous garrocher de la nostalgie en pleine face », avant de conclure le set avec Moi-léger, que l’on retrouve sur Les chemins de verre (2010). Au final, le spectacle de près de deux heures a contenu les 9 nouvelles chansons et une bonne dizaine de vieux hits, dont Pyromane, Le compteur, Échapper au sort et la toujours très touchante 28 jours.

« Il reste à peu près 2% d’oxygene dans la place : on va les cajoler », ajoutait le chanteur au rappel, essuyant une quantité impressionnante de sueur sur son corps.

* Photo par Steve Caron.

Il faisait chaud dans l’Esco bondé, mais à 20$ du billet, les gars de Karkwa n’ont certainement pas fait cela pour s’en mettre plein les poches.

« Nous, à présent, on fait exactement ce qu’on veut, avançait Stéphane Bergeron, dans le studio, au sujet de la sélection des salles où ils se produiront cet automne. Là, on a le luxe de le faire. Là, on n’a pas besoin de faire la tournée des grandes salles un peu partout au Québec. C’est correct, ce sont de belles salles, mais c’est ce qu’on appelle, en bon français, des soft seaters. Ça a jamais été notre tasse de thé, surtout pour du rock. On s’est rendu compte que les bars, ou les salles de type cabaret (comme le MTELUS ou l’Impérial), c’est ça qui est le fun à faire. »

* Photo par Steve Caron.

« On n’est pas contre le système de diffusion officiel du Québec, au contraire, tempère Louis-Jean. Mais on en profite pour le dire : le Québec, musicalement parlant, a besoin d’un nouveau réseau de salles alternatives. Ça fait 20 ans qu’on en parle. Des lieux qui pourraient mieux accueillir des Fouki ou des Hubert Lenoir. Et la grande majorité des diffuseurs du Québec aimeraient avoir une option alternative eux aussi. »

En plus de revisiter des lieux dignes de leurs premières années d’essor, les gars de Karkwa revisitent aussi plusieurs des chansons de ces belles années, en plus des titres du nouvel album

« On a une espèce de mouvance où on aime jouer le vieux stock dans des versions assez proches des albums, pas trop étirées. Tant qu’à jouer des vieilles chansons, on va plutôt en jouer un peu plus, mais en condensé. »

Rendez-vous sur le site officiel de Karkwa pour en savoir plus sur leurs dates de spectacles à venir.

L’album Dans la seconde, illustré par une magnifique oeuvre visuelle de Bertrand Lavoie (une acrylique sur toile de 2017, intitulée La voie maritime) est disponible dès aujourd’hui sur les plateformes d’écoute en ligne, ainsi qu’en formats CD et vinyle. Par ici pour l’écouter ou l’acheter sur Bandcamp.

 

 

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