La fureur de ce que je pense

FTA 2017 – La fureur de ce que je pense (de Nelly Arcan et Marie Brassard) | Une pièce crève-coeur

Beaucoup a été dit sur la pièce, périlleuse, que la comédienne Sophie Cadieux avait insufflée à Marie Brassard à partir de l’œuvre et de la vie de l’écrivaine Nelly Arcan, depuis sa création à Espace Go en 2013. Mais, La fureur de ce que je pense, riche et foisonnante en même temps que crève-cœur, méritait bien de faire partie du FTA 2017 où elle frappe de plein fouet les festivaliers en ne se faisant pas oublier de sitôt.

On le sait, Nelly Arcan a mis fin à ses jours à 36 ans en 2009. Son œuvre littéraire compte six ouvrages, dont les plus connus sont les romans Putain et Folle, qui inexorablement ont creusé sa tombe, chargés qu’ils sont d’une souffrance intenable.

De son vrai nom Isabelle Fortier, née à Lac-Mégantic, ce n’est pas sans raison si l’écrivaine en devenir avait rédigé son mémoire de maîtrise sur les Mémoires d’un névropathe de Daniel Paul Schreber. Nelly Arcan souffrait de maladie mentale, une douleur à vif et continuelle que l’âge aurait sans doute pu apaiser, mais elle n’aura pas pu pas attendre.

Marie Brassard, qui s’est fait connaître par ses collaborations pendant 15 ans avec le travail de Robert Lepage, a accompli une tâche colossale en traversant l’œuvre, organisant cette douloureuse matière en fusion où son auteure ne cesse d’implorer la mort pour toute délivrance. Sa mise en scène, de tout ce mal et de ce souci de vérité même macabre, ne tombe jamais dans le pathos. Au contraire, elle nous donne à voir un objet théâtral qui tient tout bonnement du génie.

Crédit photo : Caroline Laberge.

Crédit photo : Caroline Laberge.

Les six comédiennes et la danseuse qu’elle dirige évoluent dans une scénographie non moins géniale d’Antonin Sorel. Placé devant neuf cages vitrées sur deux étages, illustrant différentes facettes de la même femme tourmentée, le public de l’Usine C est vite subjugué par la puissance du texte et la qualité du jeu qui se transporte de manière fluide d’une cage à l’autre.

C’est Sophie Cadieux qui ouvre le manège, sur un registre hypersexué qu’on ne lui connaissait pas. Mais les six comédiennes, prises séparément, sont chacune excellente. Que ce soit Évelyne de la Chenelière, sinueuse avec une élégante robe longue profondément échancrée dans le dos, ou Julie Le Breton enfermée dans sa salle de bain en vêtements de soirée chics, il faudrait les nommer toutes, ainsi qu’Alexander MacSween à la conception musicale.

Marie Brassard parle de « poupées tragiques » devant ce refus d’une féminité mal assumée, de relations équivoques avec les hommes qu’elle n’arrive jamais à aimer autrement que dans un rapport de soumission et qui la feront se dégoûter d’elle-même.

« Quand on sait que l’on va mourir, on n’a plus de raison de pleurer », a écrit encore Nelly Arcan, parlant de « putasserie » et du « temps de me déshabiller de mon sexe » avec des images fortes et désespérées comme « le hurlement, ça se travaille », ou « il ne faut pas vieillir », ou encore « les femmes ne seront jamais libres ».

Plus tard, l’écrivaine torturée questionnera le cosmos à son secours, s’attardant au décalage de la lumière venue d’étoiles déjà mortes, évoquant une morsure de serpent, sa peur d’être changée en statue de sel, l’image de perfection et le corps féminin outragé, les liens du sang à travers son père dont la fierté est inatteignable, de sa sœur morte, de la foi, de la folie presque normale, de la solitude et de sa nausée de tout.

Avec au passage des assertions comme « c’est en témoin de mon enterrement que je me dis adieu » ou encore « mon avenir se réalisera sans moi », on ressort de la pièce complètement bouleversés. La fureur de ce que je pense, à n’en pas douter, est un must dans la programmation du FTA de cette année forte en émotions.

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