crédit photo: Morgane Dambacher
Kamasi Washington

Festival de Jazz de Montréal 2022 – Jour 3 | Kamasi Washington : Une solide claque qui passera à l’histoire du FIJM

Il y a de ces concerts dont on se reparlera dans cinq ou dix ans. Le genre d’événements marquants qui marqueront au fer rouge l’histoire d’un festival. Le spectacle de Kamasi Washington sur la Place des Festivals samedi soir en était un…

Entouré de musiciens extraordinaires, le saxophoniste, compositeur et grand manitou a déployé toute la puissance de son jazz moderne en sept pièces, pour une durée totale d’une heure et demie. Ça fait long de la pièce !  Et pourtant, le public bien entassé sur la Place des festivals leur accordait une écoute attentive, happé par le très haut calibre musical en action.

Son contrebassiste, Miles Mosley, défait tous les préjugés que certains peuvent entretenir envers cette position dans un groupe. Excentrique, virtuose sans être parfait et lisse, il dégage une énergie presque punk dans sa dégaine. Ça se voit jusqu’à son instrument : d’ordinaire assez classique, sa contrebasse à lui comporte une partie du rêvetement en ardoise, sur laquelle il inscrit des messages. Dans ce cas-ci : « Liberate Wxmen ».

Kamasi dispose aussi de deux batteurs extraordinaires qui jouent en tandem : l’excentrique Mike Mitchell avec sa jolie perruque bleue et son t-shirt tie dye de Venom, et le plus discret mais non moins talentueux Tony Austin. Sur le plan de la percussion, du rythme et du groove, ça opère !

Son pianiste Cameron Graves figure aussi parmi les meilleurs pianistes de jazz moderne du moment.

Le concert débutait avec Garden Path, nouvelle pièce lancée à l’hiver dernier, et interprétée lors de son passage au Tonight Show de Jimmy Fallon. Belle entrée en matière.

Suivra Street Fighter Mas, tirée de l’album Heaven & Earth paru en 2018. S’il y a un album de jazz moderne que vous devriez posséder, c’est bien celui-là. On en a eu un rappel édifiant sur scène.

Devenu père récemment, Kamasi Washington explique ensuite que la mélodie de Sun Kissed Child lui est venue en tête en observant son jeune poupon. Pièce lancée à l’été 2021 dans le cadre de la série Music for the Movement de la plateforme The Undefeated, Sun Kissed Child illustre à quel point Kamasi a le sens de la mélodie à la fois raffinée mais universelle.

La pièce commence avec un époustouflant solo de contrebasse de Mosley. Plus tard, le père de Kamasi, Rickey Washington, joue un solo de flûte traversière. Savoureuse mise en abîme : le père de Kamasi vient jouer sur la pièce inspirée par le jeune fils de Kamasi.

Vient ensuite Truth. En digne présentateur de son propre matériel, Kamasi exprime que l’harmonie provient de la différence, en utilisant l’analogie des notes différentes qui forment une accord. Pour le premier segment de Truth, on peut ainsi entendre cinq différentes mélodies en même temps, démontrant la beauté de l’harmonie quand on apprécie le mariage d’éléments différents. Kamasi et papa Rickey jouent toutefois la même mélodie à un certain moment, mais sur deux instruments distincts (flûte et sax), comme pour illustrer ce qu’il y a de commun dans les membres d’une même famille, mais que le timbre change d’une génération à l’autre. À cette mélodie doublée viendra s’ajouter le trombonne de Ryan Porter, comme un voisin bien intentionné qui se joint à la fête en y ajoutant sa complémentarité. Naîtra de ce mélange un magnifique désordre étrangement équilibré et réjouissant. Plein de complexités et de nuances. Comme la vérité elle-même.

Et là, toujours dans cette même pièce, Miles Mosley y va d’un solo de contrebasse avec archet et pédale de wah. On croirait presque écouter Les Claypool. Le public hallucine, on assiste à du grand concert jazz, de la haute voltige, à la fois recherchée et accessible.

À la mémoire de Reggie Andrews, le mentor de beaucoup de musiciens de Los Angeles, dont Kamasi et son père, décédé il y a tout juste une semaine, la bande interprète The Egyptian, pièce parue il y a presque 60 ans sur l’album Indestructible du légendaire batteur Art Blakey. Les deux batteurs y brillaient d’ailleurs, sans doute inspirés par les heures d’écoute du matériel de Blakey.

Suivra une pièce de son pianiste Cameron Graves, The End of Corporatism. Elle porte bien son nom : on est bien loin du petit jazz corpo. Le genre de composition moderne à faire entendre à quiconque croyant que le jazz est une vieille affaire poussiéreuse.  Le solo du batteur de Mike Mitchell, à lui seul, avait de quoi donner le tournis. Il en a perdu sa perruque.

Ne restait plus que 8 minutes avant la fin du spectacle et la bande a décidé de conclure tout ça en beauté avec Fists of Fury, chanson hyper accrocheuse qui lance l’album Heaven & Earth. Seul mini-bémol de la soirée, le premier couplet a été chanté avec un peu de peine par Patrice Quinn. Le solo de Tony Austin à la batterie a toutefois largement compensé, et Quinn est revenue plus tard pour brandir à nouveau le POING DE LA FUREUR lors d’une finale tout à fait réussie.

De toute façon, rendus là, rien n’allait gâter cette prestation absolument fantastique, qui restera gravée dans la mémoire des dizaines de milliers de spectateurs réunis.

Grille de pièces

  1. Garden Path
  2. Street Fighter Mas
  3. Sun Kissed Child
  4. Truth
  5. The Egyptian
  6. End of Corporatism
  7. Fists of Fury

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