En attendant un plan de réouverture des salles de spectacles

Les 20 et 21 janvier, quelques acteurs des milieux des arts de la scène et du cinéma se sont réunis avec le cabinet de la ministre de la Culture et des Communications, Natalie Roy. L’objectif: une session de brainstorm et la quête d’une entente de terrain en vue d’un plan de relance à appliquer dès que la situation sanitaire le permettra.  Quelques moments avant cette réunion au sommet, Sors-tu? s’est entretenu avec les Scènes de Musique Alternatives du Québec (SMAQ) et l’Association des Salles de Spectacles Indépendantes du Québec (ASSIQ), qui étaient de la partie. Mise au point.

Les deux organisations se sont formées pendant la pandémie dans le but d’offrir une meilleure représentation aux propriétaires de salles et d’engager le dialogue avec les instances gouvernementales. Selon Jon Weisz, porte-parole des SMAQ, c’est un succès.

Au fédéral, on n’avait presque aucun lien [avec le gouvernement]. Maintenant, ces liens ont été bâtis. On a aussi su renforcer ces liens avec la ville de Montréal. Par exemple, ils étaient les premiers à sortir un programme d’aide pour les salles de spectacles indépendantes. À Montréal, évidemment. 

Il souligne que des liens étaient déjà construits avec le gouvernement provincial. « Même si le financement n’était pas là, on se parlait », affirme-t-il.

Les aides financières: suffisantes, pour l’instant

Karl-Emmanuel Picard, propriétaire de l’Anti Bar & Spectacles, insiste: toutes les aides financières terminent le 31 mars 2022. Au moment d’écrire ces lignes, aucune nouvelle quant à leur renouvellement n’a été annoncée.

Pour certains propriétaires de salle, les supports financiers sont arrivés trop tard. C’est le cas pour ceux de La Vitrola, fermée pour de bon en 2020. Les propriétaires, Kiva Stima et Mauro Pezzente possédaient aussi La Casa del Popolo ainsi que la Sala Rossa. À ce jour, seule cette dernière peut encore opérer. La première, transformée en boutique, est en voie de mettre la clef sous la porte pour raisons indépendantes à la COVID-19.

Sors-tu? s’est entretenue avec Mme Stima, qui affirme que les aides financières auxquelles les salles ont aujourd’hui accès auraient suffi à sauver La Vitrola. Cela étant dit, « elles ne viennent pas toutes du gouvernement ». Les propriétaires de la défunte salle du boulevard Saint-Laurent ne pouvaient plus payer le loyer sans la vente de billets et d’alcool.

N’ayant obtenu aucune collaboration de la part des propriétaires du local, ils ont dû fermer boutique. Aucun problème de ce côté pour les deux autres salles. « Nos propriétaires sont vraiment compréhensifs… Mais ce ne sont pas tous les proprios qui sont comme ça. On en a eu la preuve avec La Vitrola. »

Le gouvernement devrait s’adapter à la situation, estime Karl-Emmanuel Picard. Il propose de mettre en place un programme d’aide permanent plutôt que d’avoir à le repenser chaque année. Il juge qu’on n’en a pas fini avec les pandémies et que tout le monde a intérêt à apprendre à vivre avec la situation. À l’Anti, la salle a été transformée: les concerts sont présentés en formule hybride et une régie a été installée au sous-sol. Le propriétaire affirme que les représentations diffusées en ligne sont un franc succès. Nous en avions d’ailleurs fait le portrait dans cet article plus tôt cette semaine.

L’expérience des spectacles virtuels est différente de salle en salle. Selon Michel Sabourin, président du Club Soda, ça ne fonctionne tout simplement pas. « Ne ne sais pas à qui tu as parlé, mais ça ne vend pas, ça n’intéresse personne. »

« Le milieu de la culture est celui qui a le plus souffert de la pandémie », lance-t-il au téléphone, lui qui est également le porte-parole de l’ASSIQ. Il faut dire que les salles membres de cette association sont beaucoup plus grandes que celles des SMAQ. Bien que les aides gouvernementales soient proportionnelles, il est beaucoup plus difficile de se revirer sur un dix sous pour une grande salle.

Nous, on est comme un petit voilier dans la tempête, alors que les grosses salles sont comme de gros paquebots. C’est plus difficile de naviguer là-dedans, illustre Karl-Emmanuel Picard.

C’est donc clair, partout dans l’industrie, le mot d’ordre reste le même: sans prévisibilité, le milieu du spectacle ne tiendra pas le coup. Selon Messieurs Sabourin et Weisz, il faut absolument un renouvellement des aides financières après le 31 mars.

Jon Weisz

Bien qu’il soit confiant quant à la possibilité d’un renouvellement, le directeur des SMAQ dresse un portrait dramatique si ce n’est pas le cas.  « Ça enchaînerait la fermeture très importante de salles de spectacles, d’agences, probablement aussi d’autres fournisseurs de service comme des attachés de presse ou ceux qui travaillent en grande partie pour les tournées », explique-t-il.

Qu’une hémorragie à ce niveau survienne, que ce soit dans une seule région sur l’ensemble du Canada, serait catastrophique pour l’écologie fragile qu’est celle de l’industrie du spectacle. « Cela affecterait tout le monde parce qu’un artiste ne peut pas faire une tournée pancanadienne s’il n’y a pas de salles entre Toronto et Winnipeg, ça n’a pas de sens », exprime Jon Weisz.

Il explique également que la fermeture d’une petite salle serait dangereuse pour l’entièreté de cette écologie. Si une ville de région n’a qu’une seule salle pouvant accueillir 200 personnes ou moins (par exemple), et une grosse salle, la fermeture de la petite salle empêcherait les artistes émergents de se bâtir un public dans cette ville hypothétique.

Émilie Tremblay, directrice générale du Pantoum (membre salle-diffuseur des SMAQ), est inquiète: « On a eu pas mal d’aide et on est reconnaissants, mais là c’est que ça ne va pas suffire, il faut de la stabilité. » Selon elle, « il y a pas mal de petites salles qui ne vont pas faire long feu. » Sans vouloir en nommer, elle pointe le doigt vers les régions. Sors-tu? n’a pu s’entretenir avec les salles en question.

L’instabilité, dur sur le moral

L’ouverture des salles à pleine capacité, au mois de novembre, n’avait pas fait que des heureux. L’impossibilité de pouvoir prévoir au-delà de quelques semaines pèse sur le moral des acteurs du milieu. « C’est difficile pour tout le monde, pas juste les petites salles », rappelle tristement Jon Weisz. « Les gens sont brûlés ».

L’incertitude génère beaucoup d’angoisse chez les membres des SMAQ. Mêmes sentiments du côté de l’ASSIQ, dont le porte-parole semble avoir épuisé sa patience. Il exige lui aussi de la prévisibilité pour les propriétaires ainsi que la main-d’oeuvre de l’industrie du spectacle. Selon lui, celle-ci ne pourra perdurer beaucoup plus longtemps dans la situation actuelle.

« Ce n’est pas possible à chaque deux semaines de changer son plan de salle » et de gérer les remboursements aussi régulièrement, martèle Jon Weisz.

On veut rouvrir dès que possible, mais pas si ça nous remet dans une situation de yo-yo. Il faut que les choses restent stables parce que les gens sont tannés. Logistiquement ça pose problème, ça pèse sur le moral aussi. On sent que la santé mentale commence à en souffrir.

Angles morts inquiétants

« Je pense que les artistes ont déjà été affectés par ces deux ans de pandémie. Il y en a qui ont perdu un cycle d’album complet ou qui n’ont pas vu leur public en personne depuis deux ans. Je pense que si on a une chance pour que nos artistes retrouvent leur public et nos salles, il faut vraiment qu’on puisse leur offrir un contexte stable le plus tôt possible », dit Jon Weisz, inquiet de l’affaiblissement des liens avec le public.

Les artistes ne sont pas le seul angle mort des mesures d’aides du gouvernement. Les propriétaires de salles ont tous exprimé beaucoup d’inquiétude pour leurs employés, principalement les travailleurs autonomes: « Je trouve [qu’ils]  étaient vraiment des angles morts en 2020 et 2021 », dit Jon Weisz.

Celui-ci a affirmé qu’il comptait en discuter lors des réunions avec le ministère québécois de la Culture et des Communication. Aux dernières nouvelles, la ministre Natalie Roy n’était pas présente puisqu’elle prenait part à une autre rencontre en lien avec la Loi sur le statut de l’artiste. « Un topo sera fait à la santé publique et à la ministre » suite aux discussions avec les acteurs du milieu, affirme le cabinet de Natalie Roy. 

Nous n’avons pas eu de retour du cabinet quant à notre demande d’entrevue.

Sors-tu? prépare présentement un dossier au sujet des employés des salles de spectacles, des travailleurs autonomes du milieu et des artistes. N’hésitez pas à nous écrire si vous avez des informations ou des témoignages à partager sur la question : vasb@fbefgh.pn

 

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