Critique | Coeur de Robert Lepage à la Tohu

CŒUR, deuxième volet de la tétralogie Jeux de cartes, se déploie en un véritable tour de force scénographique à la Tohu jusqu’au 9 février. Un théâtre tridimensionnel voire sculptural où une histoire mêlant famille, politique et artistique transcende le temps et les frontières pour se révéler tranquillement à nous. Le tout mis en scène par le maître de la créativité scénique, Robert Lepage.

Après avoir présenté PIQUE, du 14 au 25 janvier, où le monde militaire s’associait aux machines de guerre, CŒUR est intiment lié au monde de la magie et des illusions. Anciennement, le Cœur était la coupe, associée à la superstition et aux systèmes de croyances.

Photo par Pascal Leduc.

Photo par Pascal Leduc.

Le grand maître du théâtre d’images offre une chorégraphie qui se déroule tantôt en France, tantôt en Algérie coloniale de la fin du XIXe siècle, avant de bifurquer vers l’Europe des années 1960 et le Québec contemporain. Chaffik (Reda Guerinik), jeune chauffeur de taxi maghrébin vivant à Québec, tente de faire la lumière sur le passé trouble de sa famille. Sans trop mêler les cartes, les destins de cinq générations de personnages se croisent, se recroisent, se chevauchent avant de se concrétiser en un point culminant. Ce rendez-vous décisif d’une durée de 3h30 avec entracte traite du passage d’un univers ancien teinté de magie, de croyances et d’illusions à un monde moderne où le savoir et le matérialisme règnent en maitres.

 

Scénographie circulaire

Le metteur en scène sans barrière appuyé des éléments techniques de la compagnie Ex Machina propose au spectateur de plonger dans un état d’esprit où tout est possible : une expérience, voilà ce à quoi nous sommes conviés.

La mise en scène déployée en circulaire joue un rôle de premier plan dans l’aspect performatif de la création. Elle fait d’abord référence à la table  autour de laquelle on joue aux cartes. Les comédiens dont l’énergie diffère d’une traditionnelle création en frontal, se doivent d’être créatifs sur tous les angles. Les personnages, parfois stationnaires, pivotent lentement. Cette disposition scénographique invite à la complicité avec le spectateur. Au rythme des mouvements du décor modulable divers éléments surgissent par l’une ou l’autre des 36 trappes.

Photo par Pascal Leduc.

Photo par Pascal Leduc.

La scène, surélevée d’un mètre, dissimule les coulisses sous celle ci. Techniciens et acteurs y fourmillent à l’intérieur. Robert Lepage et le scénographe Jean Hazel ont conçu un plateau versatile et ingénieux qui est imprégné d’illusions. Et quel défi que de faire de la magie en circulaire ! Un rassemblement s’impose par cette disposition : le spectateur est constamment conscient qu’il est au théâtre. La présence du public et son énergie enrichissent l’expérience théâtral.

Un écran circulaire tombant du plafond englobe toute la scène. Puisque CŒUR se déroule parfois à Paris, à l’époque de l’invention des daguerréotypes et aux débuts du cinéma, les références au 7e art et à la photographie sont nombreuses. George Méliès et Félix Nadar, grands illusionnistes du siècle dernier, sont parties prenantes du spectacle. Diverses images sont donc projetées sur cet immense écran renvoyant au thème récurrent du cinéma.

La configuration circulaire influe également sur les sujets abordés. Les thèmes cycliques reposent sur des chronologies. Chaque scène propose des déplacements sans début ni fin.

Treize comédiens, tels les treize cartes d’un jeu, donnent vie à la tétralogie. Ils étaient 6 à se produire dans PIQUE. Provenant de divers univers, divers horizons (certains sont québécois, espagnols, anglais, allemands etc.), les 7 acteurs de COEUR sont avant tout profondément créatifs. Les personnages sont attachants, émouvants. Mais c’est véritablement Kathryn Hunter qui se révèle et éclipse les autres. L’actrice anglaise d’origine grecque, qui a notamment joué dans Harry Potter et l’Ordre du phénix, est captivante et d’une précision quasi chirurgicale : sans elle la pièce n’aurait pas eu le même écho.

La rencontre de l’autre est le fil conducteur de cette création.

La rencontre avec l’œuvre de Robert Lepage est fascinante.

Nous sortons, la main sur le cœur.

Photos en vrac
par Pascal Leduc

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