Matana Roberts

Suoni Per Il Popolo 2023 | une riche soirée de clôture avec Matana Roberts, Page Vide, Allison Burik et White People Killed Them

Pour terminer cette riche édition 2023 du festival Suoni Per Il Popolo, la soirée commence avec la musique introspective du duo Page Vide pour poursuivre avec les chansons revisitées jazz expérimental d’Allison Burik. C’est ensuite l’approche bruitiste et brutale de White People Killed Them pour terminer en apogée avec le projet Coin Coin de Matana Roberts.

 

Coin Coin, le projet épique de Matana Roberts à la Sala Rossa

Matana Roberts est un personnage plus grand que nature et le quatrième volet de son projet Coin Coin est là pour le prouver. C’est un projet touffu basé sur l’histoire des Noirs allant de ses expériences personnelles à l’héritage de la traite des esclaves, en abordant également des sujets non masculins.

Sur scène, elle est la cheffe d’orchestre et mène le groupe vers des improvisations personnelles avec des partitions graphiques et une utilisation de dés en mousse et des tarots pour guider les morceaux tout au long de la soirée.

Évidemment, la composition du groupe est tout aussi original : Matana Roberts (cheffe, compositrice, saxophone alto, lecture, chant), Hannah Marcus (violon, accordéon, guitare, voix), Sam Shalabi (guitare, oud, chant), Eric Lewis (trompette), Nicolas Caloia (basse, chant) et Lisek Gramble (batterie).

L’ensemble mêle incantations méditatives, thèmes mélodiques et improvisation libre pour un résultat hors norme qui nous emmène de compositions d’ensemble au free jazz avec utilisation non standard des instruments à une composition plus écrite qui rappelle étonnamment le Frank Zappa de 1968.

Il y a aussi la participation du public qui est requise pour une séance de méditation novatrice. Si Matana Roberts est assez bavarde, cela n’affecte pas pour autant la haute dynamique de la musique et aboutit à un résultat très cohérent et souvent déstabilisant que l’on ne rencontre pas tous les jours.

Une séance de Coin Coin tout à fait abouti et réussi pour terminer l’édition 2023 du festival Suoni Per Il Popolo.

 

Le duo de Sarah Pagé et Joni Void : une Page Vide rapidement pleine

La soirée a commencé à la Casa Del Popolo avec le duo de Sarah Pagé et Joni Void, nommé Page Vide. Avec la harpiste Sarah Pagé, on ne sait jamais à quoi s’attendre tant son registre est étendu. Ce qui peut sembler paradoxal tant la harpe est habituellement confinée à une niche réduite. Si le résultat surprend souvent, il reste que c’est souvent la promesse d’un bon concert. Par exemple, plus tôt dans la programmation de Suoni 2023, Sarah Pagé avait joué du koto basse avec le percussionniste Patrick Graham, un concert que j’ai malheureusement manqué.

Le duo Page Vide, c’est la harpe de Sarah Pagé souvent modifiée par de multiples pédales et Joni Void aux différents sons électroniques. Les deux musiciens travaillent à temps perdu sur le répertoire du duo et un album devrait voir le jour mais pas dans l’immédiat. Avec les quelques pièces déjà prêtes, le répertoire de ce soir est complété de titres tirés du dernier album Everyday Is The Song de Joni Void et de Voda de Sarah Pagé.

Accompagnant la harpe de Pagé, Joni Void ajoute des couches de sons principalement d’ambiance comme du vent, des bruissements de feuilles ou des pépiements d’oiseaux. Il y a aussi des rythmes de techno plutôt ambiantes et quelques basses en contrepoint de la mélodies. Il y a également des extraits du film Orphée de Jean Cocteau où sont interprétées des phrases sibyllines à la façon des messages codés diffusés par Radio Londres pendant la Seconde Guerre Mondiale, comme « le silence va plus vite à reculons. Trois fois. »

Pagé propose une large palette de sons, qui vont de la harpe traditionnelle, le son travaillé à travers diverses pédales et aussi des cordes frottées par un archet ou par un morceau de caoutchouc, les harmoniques sur les ambiances juste de Joni Void… Mettons que la surprise est toujours présente au détour d’une note pour notre plus grand bonheur.

 

Allison Burik et ses chansons qui revisitent la mythologie nordique

À la Sala Rossa, la soirée commence avec la montréalaise Allison Burik. Avec ses multiples casquettes d’improvisatrice, compositrice, saxophoniste, clarinettiste et chanteuse, elle nous propose ce soir des titres basés sur les mythologies, principalement Nordiques. Elle revient d’une résidence en Islande et la plupart des sons enregistrés proviennent de ce pays. C’est toujours plus impressionnant d’entendre le bruit de l’océan d’Islande qu’ailleurs!

Elle accompagne ses pistes enregistrées par le chant, le saxophone ou la clarinette basse. Tous les sons sont reliés à son ordinateur et souvent modifiés par divers effets. Elle a également un système autour du cou dont l’usage n’est pas tout à fait clair : est-ce un déclencheur pour diriger des pistes ou un capteur pour reprendre les sons qui sortent de sa gorge?

Nous sommes dans un terrain expérimental, qui allie une recherche sonore développée dans le cadre traditionnel d’une chanson. Un petit reproche tout de même, avec une installation sonore aussi complexe, le temps pour paramétrer toutes ses patentes entre chaque titre est assez long. Mais le résultat est très intéressant et nous emmène dans un beau voyage. C’est sûr que je retourne écouter Allison Burik dès que possible.

 

La tempête sonore de White People Killed Them

Avec White People Killed Them, c’est la tempête après le calme d’Allison Burik. Le trio américain aux influences bruitistes expérimentales est composés de Raven Chacon à l’électronique (Chacon est devenu le premier Amérindien à remporter le prix Pulitzer de musique en 2022 pour son œuvre Voiceless Mass), John Dieterich (Deerhoof) à la guitare et Marshall Trammell aux percussions.

Autant dire que le trio ne fait pas dans la dentelle et attaque rapidement le vif du sujet avec une guitare baryton distordue, attaquée physiquement par John Dieterich, dans une approche sonore plus qu’harmonique et qui n’est pas sans rappeler Arto Lindsay. Avec un set up de batterie minimaliste, Marshall Trammell n’est pas en retrait pour autant, très impliqué, travaillant souvent ses percussions à la main, avec une cloche omniprésente. Plus effacé, Raven Chacon semble assuré cependant la fondation de l’ensemble avec des nappes et rythmes électroniques.

La guitare en nappe de distorsion continue et le volume sonore engendré par le groupe est parfois un enjeu auditif. Cependant, l’ensemble sait rester inventif et rebondir au cours des trois quarts d’heure de leur prestation, en évoluant les structures et les interactions entre les musiciens, sans échanger aucun regard.

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