Information (opéra)

Entrevue avec le compositeur Tim Brady | Un opéra comme porte-voix

Avec Espoir, massive série de quatre opéras présentés sur cinq ans, le compositeur et guitariste Tim Brady manie des thèmes imposants dont l’actualité est encore criante. Après Backstage at Carnegie Hall en 2022, « un opéra sur le racisme et la guitare électrique », c’est à Information de se déployer à l’Espace orange de l’Édifice Wilder à la fin du mois, cette fois-ci en s’attaquant à la crise d’Octobre et aux luttes pour le droit à l’avortement. Pour démêler le tout, Sors-tu? s’est entretenu avec le musicien d’expérience.

Je suis un peu obsédé par la notion du temps, admet Tim Brady. Si on était capable de prédire l’avenir, est-ce qu’on aurait le droit d’agir pour changer le cours de l’histoire? Ce sont des questions philosophiques, métaphysiques même, je sais [rires].

C’est une question à laquelle devra faire face la journaliste Mary Vance (Marie-Annick Béliveau), un des personnages principaux d’Information, quand une « voyageuse temporelle » l’informera de l’assassinat imminent du ministre Pierre Laporte. Le compositeur a récupéré la voyageuse de son dernier opéra Backstage at Carnegie Hall. Elle sert de véhicule pour les réflexions du musicien sur le passé, le futur et tout ce qui flotte entre les deux.

Ce dernier avait 14 ans en octobre 1970, quand la crise d’Octobre faisait rage. « Il y avait des soldats et des hélicoptères dans mon quartier », se souvient-il. Ces images l’ont marqué, si bien qu’il cultive depuis longtemps l’idée de s’en inspirer pour une œuvre.

Le compositeur Tim Brady.

En plus de couvrir la crise dans le cadre de son travail ー « il y avait encore beaucoup de préjugés à l’égard des femmes journalistes à l’époque », rappelle M. Brady ー le personnage de Mary Vance tombe enceinte et tente d’avoir recours à l’avortement, alors illégal. Rappelons que trois ans plus tard, le docteur Henry Morgentaler ouvrait sa clinique d’avortement, le début d’une longue bataille menée pour le droit des femmes de disposer de leur corps comme bon leur semble.

C’est donc là qu’est tracé le fil conducteur entre les deux évènements, mis à part leur cooccurrence temporelle : la place des femmes. Dans le métier de journalisme comme dans la lutte pour le droit à l’avortement.

De la maquette au livret

« Les situations compliquées, c’est ce qu’on aime dans l’opéra », lance M. Brady. Avec Information, le public sera assurément servi. « À la fin du spectacle, il reste plus de questions que de réponses », affirme le compositeur, qui signale toutefois que les thématiques progressistes choisies reflètent ses inquiétudes et idées comme citoyen aussi. « Le musicien et l’humain partagent le même cerveau, après tout. »

Pour tisser un récit chanté cohérent et pas trop lourd à digérer, le musicien a collaboré avec la dramaturge Mishka Lavigne, pour qui c’était la première expérience comme librettiste. « On a eu à s’entendre sur le nombre de syllabes, sur ce qui caractérise un texte chanté, explique le guitariste. Ça s’est super bien passé. On a presque rien eu à modifier. »

Ensuite, il s’est donné le défi d’intensifier, par le biais de ses compositions, les enjeux du texte. « Pour chaque opéra, il y a au moins 3-4 directions qu’on peut emprunter pour rendre les paroles plus tristes, joyeuses, mystérieuses », détaille-t-il. Si, pour plusieurs, l’idée de donner vie en musique à des thèmes aussi touffus donne le tournis, pour Tim Brady, ce n’est que la routine. « Imaginer le monde par le biais de la musique, c’est normal pour moi », partage-t-il.

Au Vivier seulement, qui a collaboré avec Bradyworks et la troupe d’opéra Chants Libres pour mettre Information sur pied, le compositeur montréalais a présenté plus de 25 œuvres.

Les deux opéras qui complèteront la tétralogie (le troisième est terminé, le quatrième en production) font honneur aux précédents dans leur éclectisme : on touchera à la colonisation spatiale, aux changements climatiques et à l’intelligence artificielle. Il va sans dire, Tim Brady s’attaque à des mastodontes. Comme si pour mieux digérer les maux de notre époque, il fallait les chanter. Pourquoi pas?

Information – Montréal Oct. 1970 est présenté le samedi 27 (une représentation à 14h et une autre à 19h30) et le dimanche 28 avril (14h) à l’Espace orange de l’Édifice Wilder. Billets et informations par ici.


* Cet article a été produit en collaboration avec le groupe Le Vivier.

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