crédit photo: Thoams Mazerolles
Spectral Wound

Rencontre avec Spectral Wound | Dans la noirceur éthylique des convulsions de notre époque

Avec le remarquable album A Diabolic Thirst sorti l’année dernière sur Profound Lore Records, la formation Spectral Wound a affirmé sa place dans les fers de lance du black metal montréalais, se produisant en tête d’affiche d’une soirée de la dernière édition de la Messe des Morts. On a pu les rencontrer cet hiver et échanger quelques mots sur leur dernier disque et le contexte qui l’a entouré, et les retrouver dans leur repère secret derrière un immeuble industriel de la ville, par une soirée aussi glaciale que leur musique.

Si le quintet montréalais s’était déjà fait un nom et même de l’autre côté de l’océan, la pandémie les aura vu sortir une de leurs meilleures œuvres à ce jour, malgré la situation mondiale perturbant leurs plans. On se demande si ce contexte chaotique a pu infuser cet album. « Impossible de dire comment aurait été l’album s’il avait été conçu sous d’autres circonstances, mais il y a certainement un déchaînement et une obsession maladive nés de la pandémie », confie le groupe en évoquant le mélange de misère et torpeur relatif à la situation.

Retardé en 2020 par les évènements, l’enregistrement de leur album se termine finalement dans le studio récemment monté par leur guitariste, Feral Gates. « Cela nous a accordé plus de flexibilité pour nous adapter aux contraintes, en plus de nous permettre de consacrer une attention méticuleuse à la conception de l’album. »

Imperial Saison Noire

De la pochette de l’album aux titres comme Debauchery et Diabolical Thirst, ou encore la pièce Imperial Saison Noire, on évoque la soif de débauche et la thématique alcoolisée infusant cet album, même si le groupe nuance les interprétations hâtives. « Les gens se pressent trop à prendre cette allusion littéralement. Bien que l’ivresse soit au fondement de l’ethos de Spectral Wound, la pièce  Imperal Saison Noire a peu à voir avec la bière. Il y est plutôt question de ce moment interminable, la saison noire et funèbre de l’empire.

Ces étranges convulsions de notre temps, alors que le ver conquérant cesse d’être le protagoniste de l’Histoire et que nous demeurons dans son ventre monstrueux, le regardant dépérir de l’intérieur.

Néanmoins le groupe reste ouvert à l’idée d’une collaboration en fût, même si les Dieux du Ciel ont déjà sorti une saison noire impériale. « Il va sans dire que nous apprécierions toute microbrasserie qui souhaiterait brasser une bière à notre nom. » Avis aux brasseurs amateurs de black métal!

 

Une soif diabolique transcendantale

En novembre dernier, Spectral Wound fait un retour sur scène triomphal en prenant la tête d’affiche de la deuxième soirée du festival la Messe des Morts, miraculeusement passé entre deux confinements. Et ce soir-là, le groupe transcende sa Diabolical Thirst puisque le Piranha Bar bat un record de vente d’alcool. « Effectivement, quel hommage adéquat! Nous sommes fiers de tous les fucking maniacs qui ont bu à notre honneur ce soir-là. »

Dans l’ivresse, le groupe évoque le rapport à la mort, au déclin, à l’effondrement du tout.

Spectral Wound a toujours été dévoué non seulement à la boisson, mais à la débauche, la décadence et le déclin. Alors que d’autres parlent de force et de pureté, nous embrassons la corruption et la dissolution.

« Rabelais a écrit : « Je bois pour les soifs de demain. Je bois éternellement. C’est pour moi une éternité de beuverie et une beuverie de toute éternité … Je bois, tout ça de peur de mourir. Buvez toujours, vous ne mourrez jamais. », mais la peur de mourir n’est pas la seule raison de boire.

On peut aussi boire à la mort, et avec la mort, en prenant le graduel anéantissement comme projet créatif. Ce qui distingue la boisson de l’alimentation est qu’elle contrecarre l’impératif biologique et défie la tyrannie de ce qu’on finit par croire comme « naturel ». C’est un mouvement contre le vivant, contre la vie. Une sorte de Saufen-zum-Tode, on pourrait dire…»

Liberté et résistance de l’underground

On parle évidemment de cette étrange période pour les spectacles et la vie culturelle, les nombreuses restrictions, la menace éventuelle de certains lieux de concerts qui ont fermé ou peinent à survivre, entraînant un manque d’endroits d’expression pour l’art alternatif et la musique underground. « La situation est désastreuse, mais il ne fait aucun doute que l’underground persistera. Les difficultés vécues par les salles de spectacles se sont intensifiées avec la pandémie, mais l’érosion des espaces underground est un processus en cours dans la ville depuis des années déjà. »

En évoquant Montréal et la disparition même avant la pandémie de lieux clés de la scène alternative comme le Café Chaos ou les Katacombes, le groupe mentionne qu’il est déprimant de constater à quel point la ville s’est aseptisée au cours des dernières années.

Mais bien avant le chaos mondial récent, les membres de Spectral Wound évoquent notre plus grande soumission en général, au-delà des restrictions sévères des gouvernements relatives à la pandémie.

Il s’agit d’un problème mineur à nos yeux. Il nous semble que l’on vivait déjà dans une soumission (nauséabonde) – et souvent volontaire – à tant de tyrannies débiles que de se lamenter sur la « liberté » à ce point-ci semble être une fondamentale incompréhension de la situation. La liberté n’est qu’une farce.

En attendant le déclin, Spectral Wound s’apprête à repartir en Europe cet été pour enfin défendre leur dernier album, disponible ici.

Oh. Et Anthony Fantano a aimé l’album :

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