Les muses orphelines

Critique théâtre | Les Muses orphelines au Théâtre Jean-Duceppe

La  pièce phare Les Muses orphelines de l’auteur Michel Marc Bouchard a été présentée pour une 120e fois en grande première. C’est le Théâtre Jean-Duceppe qui se fait cette fois hôte du spectacle, créé pour la première fois à l’été 1988 au Théâtre d’Aujourd’hui, dans une mise en scène du vénérable et respecté André Brassard. 

muses-orphelines-05Après moult traductions et tergiversations autour du globe, l’œuvre nous revient, toujours d’actualité et empreinte de sa saveur toute québécoise.  Abordées à la mise en scène par Martine Beaulne et portée par les acteurs Maxime Denommée, Léane Labrèche-Dor, Macha Limonchik et Nathalie Mallette, les Muses n’ont rien perdu de leur noblesse.

Un grand mur de planches gondolantes maintenant penchées par le temps tient lieu de rassemblement pour cette famille atypique du St-Ludger-de-Milot d’avril 1965.  Les enfants Tanguay ont été abandonnés par leur mère plusieurs années plus tôt, à la suite de sa rencontre avec un bel espagnol.  Il y a Catherine la sainte, la plus vieille qui a pris en charge les orphelins; Luc, unique garçon, confondant réalité et fiction, se convaincant que sa mère avait l’étoffe d’une Reine; Martine, la soldate qui aime les femmes, exilée pour sa liberté; et finalement, la benjamine qui rêve d’émancipation, Isabelle,  sans qui cette réunion charnière n’aurait jamais eu lieu.

Le secret des Muses

muses-orphelines-07Le secret de longévité des Muses réside probablement dans cet enchevêtrement d’intime et d’universel dans l’histoire de ces enfants abandonnés pour cause de la liberté. On reconnaît ces personnages dans leur déni et leur façon tout imparfaite de quémander de l’amour.  On reconnaît notre Québec de cette époque, emmuré dans son silence et son ignorance rurale, souhaitant l’ailleurs et l’appétit, mais redoutant le changement. Le fameux « J’hais ça quand tu me réponds par une question. », répété par Isabelle, dite retardée, en dit long sur nos origines.

Dans cette version, tous les ingrédients du succès sont réunis.  Outre les dialogues cinglants et touchants, les éléments théâtraux simples et efficaces déjà présents dans l’écriture, l’interprétation des comédiens atteint la cible.  Léane Labrèche-Dor, fraîchement sorti de l’école, n’a rien à envier à ses collègues expérimentés, et sa finale est nuancée et magistrale.  Macha Limonchik et Nathalie Malette sont très convaincantes et elles arrachent des rires tant leur répartie est juste.  Le seul personnage masculin, que défend solidement Maxime Denommée, se démarque de ce qu’on le voit faire habituellement, et prouve sa grande versatilité.

La scénographie aussi réussit à éblouir en imposant un sentiment de petitesse, comme si les personnages étaient confrontés à l’infini, à quelque chose de trop grand pour eux.  La mise en scène est efficace, menant la valse des manigances avec brio.

Les Muses orphelines, c’est un spectacle qui traverse le temps avec élégance et d’une si grande lucidité que les thèmes s’appliquent à tous les niveaux de toutes les époques; la survie à l’abandon, les rapports fraternels et le désir d’émancipation et de liberté.  Il est une ode à l’intelligence émotive et à l’instinct créateur.  Et de l’auteur nous pouvons emprunter sa propre phrase pour décrire l’oeuvre de Michel Marc Bouchard :  « […] avec son imagination, on sait jamais ce qu’il va faire avec ce qu’on y dit. »  À notre plus grand bonheur!

Présentée jusqu’au 30 mars à Montréal.

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