Rêveurs définitifs

Rêveurs définitifs au St-Denis | Voyage par le trou de la serrure…

Rêveurs définitifs promet de fusionner la «magie nouvelle» avec l’art de l’illusion plus traditionnel. À l’affiche du 29 juin au 15 juillet 2017 au Théâtre St-Denis, ce spectacle est mis en scène par Raphaël Navarro et est produit par Juste pour Rire et la Compagnie 14:20 de Paris. La musique originale est composée par Madeline Cazenave et Camille Saglio. Rêveurs définitifs veut nous inciter à l’évasion, tel un Baudelaire faisant miroiter une «Invitation au voyage»… Retour sur un spectacle ludique, un peu disloqué, mais tout de même surprenant.


Un triptyque éthéré

On est d’abord plongés dans la noirceur totale, au son d’un doux piano joué par Isabelle Mathieu. Le spectacle ouvre ses rideaux sur Suspension consentie, avec Ingrid Estarque. Il s’agit de danse plutôt saccadée, où la protagoniste tombe à la renverse en finale, visiblement tenue par des fils invisibles. Beau premier numéro.

Amendement à la question de la pesanteur en est la suite, où Ingrid Estarque explore les micro-mouvements et la déconstruction du corps. Transportée d’un côté à l’autre de la scène, elle semble si fragile et forte à la fois. Le tout devient de plus en plus fluide, et ses mouvements, moins rauques, laissent place à des courbes souples et amples, comme si elle glissait dans une substance qui rend ses pieds sans apesanteur. Magnifique.

Imago, en fin du spectacle, ne comporte plus aucun geste convulsif, mais seulement la grâce volatile acquise auparavant. Un hologramme est superposé à la danseuse, qui est d’ailleurs très synchronisée avec celui-ci. Puis, des traînées de fumée digitale suit ses mouvements – un magnifique voile diaphane qui s’estompe. Elle laisse par la suite des «empreintes» de silhouettes blanches, alors qu’elle prend diverses postures. Effectivement, « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté»…

Vacuité et superflu

Foin de lapin, avec Éric Antoine, est un numéro de magie plus traditionel, où il fait entre autres apparaître des oiseaux, sortir une cage de sa chemise, apparaître un chapeau au bout d’un fil enflammé… Puis un jouet de type « slinky » prend vie et le clownesque personnage interagit avec lui comme s’il s’agissait d’un petit animal capricieux, l’entraînant à faire des petits tours. Ça traîne un peu en longueur, mais le public vit un bon moment de divertissement assez facile.

Plus loin, un numéro qui s’appele Entracte, ç’aurait pû être surprenant, mais ça commence à sentir le remplissage. Éric Antoine effectue des tours de magie de cartes classiques et un peu banals, sur fond de blagues France/Québec… Bien que les tours soient bien réussis et que le public soit captif, ça sent le déjà-vu. Une spectatrice est toutefois prise d’un fou rire persistant, et notre animateur volubile et exubérant l’invective à coeur joie.

L’essence du spectacle

Le sommeil de la raison nous récompense de notre patience. Au son d’un piano inquiétant, Léonie St-Onge arrive sur le côté de la scène, portant une lampe frontale. Elle crée une méduse, avec la dite lampe, et un sac de plastique transparent. Les rubans blancs ondoyants flottent, alors qu’elle prend son envol au-dessus des têtes… Le luminescent volatile frôle même de très près le public captivé, qui crie de surprise. Puis la créature se scinde ensuite en trois, puis en cinq! Et s’ensuit un combat à l’épée, et les méduses-spectres attaquent leur dompteuse. Les tentacules ensevelissent complètement sa tête, et lorsqu’elles décampent, c’est un tout autre visage qu’on découvre : âgé et sans cheveux! Belle surprise, très bien réalisée.

Un numéro magistral ressort du lot : La traversée des apparences (ou De l’oeuf à la poule). Éric Antoine et Calista Sinclair sont tellement bien synchronisés avec l’écran et les hologrammes qu’on devient confus entre le digital et l’analogue. Vers la fin, Calista Sinclair aspire son propre hologramme et le recrache en une version minuscule d’elle-même. Numéro multimédia monumental, rodé au milimètre près, qui résume à lui seul l’essence de Rêveurs définitifs.

Baltass est un numéro simpliste mais hilarant de Yann Frisch. Un jongleur roux au crâne dégarni tente d’organiser des objets sur la table à laquelle il est assis, semblant être atteint de troubles d’obsession-compulsion. Il joue frénétiquement avec plusieurs petites balles rouges, les cachant et les faisant apparaître dans plusieurs tasses. Il se cogne même la tête sur la table à plusieurs reprises, dans une suite de mouvements rapides et illogiques. Des spasmes cocasses d’un cerveau névrosé – attachant et sympathique!

Entre deux numéros, Patrick Watson arrive seul avec son yukulélé, le temps d’une chanson. Il interprète une pièce calme et joyeuse, et monte même au balcon pour sérénader son public. On apprécie d’ailleurs sa voix qui se superpose parfois au piano dans quelques numéros. Trop court et délicieux intermède musical.

Invitation un peu ratée

Bref, Rêveurs définitifs possède un rythme bizarre, oscillant entre «beauté réfléchie» et «rigolo facile» de façon un peu trop opposée. D’ailleurs, on aimerait davantage d’éléments multimédias actuels et innovatifs, pour que sa promesse aboutisse. Rêveurs définitifs possède un excellent potentiel d’idées, mais on a seulement aperçu L’invitation au voyage par le trou de la serrure, sans pouvoir réellement y accéder (sauf pour La traversée des apparences)… Tout de même – «Les soleils couchants revêtent les champs ; Les canaux, la ville entière, d’hyacinthe et d’or ; Le monde s’endort dans une chaude lumière»!

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