crédit photo: Sebastian Sevillano
Lomepal

Lomepal à la Place Bell | C’est beau la folie

Quatre ans après son passage remarqué au MTelus, le rappeur français Lomepal éclaboussait la Place Bell de son talent deux soirées de suite, le 11 et 12 octobre. Une performance comme telle confirme une nouvelle fois à quel point Antoine Valentinelli mérite sa place parmi les grands artistes de son domaine.

Suivant une première partie sympathique de Keroué, le rappeur offrant une bonne performance sans que le public y prête forcément énormément d’attention (un sentiment souvent ressenti durant l’entrée en matière d’une soirée), Lomepal entre sur scène peu après 21h.

Pour les néophytes, Lomepal constitue l’une des figures de proue du rap francophone anti-commercial et aisé, aux côtés d’artistes comme Roméo Elvis, Nekfeu ou Caballero & JeanJass. Aucune revendication concrète quant à sa situation précoce, plutôt des textes sur les questionnements relationnels poignants du rappeur portés par des instrumentales poussées. Cette variante est régulièrement qualifiée de « rap de iencli » par les mauvaises langues, alors que ces artistes cités s’avèrent nettement plus talentueux que des JuL, PNL ou Ninho, d’un point de vue personnel.

 

Impénétrable

Lomepal accède lentement à son micro, en contre-jour, après ses musiciens, sur l’accompagnement mystérieux d’Auburn. Très, lentement. L’artiste prend une trentaine de secondes à marcher 20 mètres, se laisse désirer par le public déjà réchauffé de la Place Bell. Là réside le charme propre de Lomepal. Après s’être fait rejeter par nombre de femmes dans sa vie par le passé, après avoir été complètement invisible à leurs yeux, Lomepal plaît maintenant, il attire tous les regards par sa notoriété et son physique. Et il se sert de cette situation comme point d’ancrage de son univers artistique.

On retrouve une pointe toxique dans ce comportement, mais cet état d’esprit ténébreux a le mérite de plaire à une partie de son public féminin. Tout comme à son penchant masculin. Dès les premiers morceaux de la soirée, des mosh pits se forment dans le parterre, principalement initiés par des hommes cherchant cette adrénaline dans la brutalité.

Suivant l’ouverture, le Parisien enchaîne sur des titres de son plus récent opus, 50°, À peu près et la chanson homonyme du projet, Mauvais ordre. Lomepal, bien qu’avouant ouvertement dans ses morceaux être un égocentrique avéré, ne s’accorde pas le feu des projecteurs à lui seul durant la soirée. Quatre musiciens l’accompagnent sur scène, rajoutant une profondeur à ses morceaux déjà musicalement riches.

Durant l’interprétation de Mômes, l’artiste invite son guitariste à jouer devant le parterre, un signe de respect de Lomepal, les rappeurs ne laissant souvent qu’un beatmaker dans le fond et dans l’ombre les accompagner.

« On va revenir encore plus dans le passé, en 2017 », lâche Lomepal après une version de X-Men, se tournant alors vers son succès de la première l’heure, l’excellent Yeux disent.

La chanson traduit à merveille cette nouvelle facette du rap, cette façon d’emmêler le flow et le chant pour arriver à ce résultat profondément intéressant et accessible.

Si les titres de Mauvais ordre seront logiquement présentés en majorité, Lomepal puise également dans Jeannine, sa version deluxe, et évidemment ce petit chef-d’œuvre du rap francophone moderne du nom de Flip.

Bécane, Pommade, Lucy : des morceaux de très grande qualité, réellement un album marquant, un point tournant pour le rap en France.

 

Le calme avant la tempête

Dès le tiers de la soirée, l’ardeur se transforme en apaisement, prouvant une nouvelle fois que, en plus des styles variés, Lomepal sait alterner entre les ambiances dans sa performance, maîtrise le secret d’un concert réussi. Les flashs de téléphone s’allument, le public use de ses cordes vocales jusqu’à ses limites. Le côté toxique du rappeur se ressent tout autant dans les paroles de ces titres plus calmes, cette façon de parler des femmes, de ses relations, qui ont visiblement eu le pouvoir de le traumatiser. Une ambiance posée, jusqu’à ce que le piano entame les premières notes de Lucy.

Les éclairages et le caractère global du concert retournent vers la brutalité dont une partie de la fosse raffole. Brutalité, mais toujours dans le sourire, aucun débordement ne survient, heureusement, et ce malgré la musique agressive.

« Là on était au niveau deux, on va passer au niveau trois maintenant, je veux des cercles partout », encourage Lomepal après avoir aperçu le mosh pit le plus impressionnant de cette première partie du concert sur Lucy, désirant que les mouvements continuent (premier mosh pit, sans cacher un brin de fierté, intégralement lancé par votre rédacteur).

Alors que le spectacle tire à sa fin, Valentinelli interprète l’un des plus gros tubes de son dernier opus, Decrescendo. On lit sur les lèvres de la foule les paroles chantées à la perfection, religieusement. Quittant la scène après la fin du morceau, Lomepal et ses musiciens regagnent les planches et entament Tee en rappel après une heure et demie de performance. Déjà plus que respectable comme durée, le rappeur pousse encore plus loin. Lomepal suggère que le morceau pourra s’étaler aussi longtemps que possible, répétant en boucle le refrain combiné aux paroles de Mauvais ordre. Devant une foule bouillante, Lomepal retire son haut et vient chanter à genoux devant les limites du parterre, attrape les mains de membres du public, étire la sauce sur une dizaine de minutes.

« J’oublierai jamais cette date un grand merci, à la prochaine », conclut le rappeur parisien.

Un artiste généreux sans autotune, sans play-back, une bête de scène qui tient réellement à divertir son public. Un comportement que l’on retrouve de moins en moins dans la nonchalance du rap d’aujourd’hui.

Des artistes, des performances pareilles permettent de se rendre compte à quel point le rap francophone compte des joyaux dans ses rangs, à quel point la francophonie européenne a su s’imposer comme l’une des références mondiales dans le hip-hop.

Après trois longs projets tous plus réussis les uns que les autres, il sera intéressant de suivre le reste de la carrière de Lomepal, voir si celui-ci parvient à accéder aux sommets qu’il mérite amplement.

À moins que la justice en décide autrement.

*NOTE : Les photos de l’article proviennent de la soirée du 11 octobre, alors que la rédaction a été assurée après le deuxième spectacle de Lomepal.

 

Grille de chansons

1 – Auburn

2 – 50°

3 – À peu près

4 – Mauvais ordre

5 – X-Men

6 – Yeux disent

7 – Crystal

8 – Mômes

9 – Hasarder

10 – Bécane

11 – Flash

12 – Etna

13 – Lucy

14 – Trop beau

15 – Ma cousin

16 – Pommade

17 – Decrescendo

Rappel

18 – Tee / Mauvais ordre

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