L'Amant de Lady Chatterley (Grands Ballets)

L’Amant de Lady Chatterley (par les Grands Ballets) à la Place des Arts | Tendre et torride

Première mondiale jeudi soir à la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts pour la création par les Grands Ballets de Montréal de « L’amant de Lady Chatterley ». Une chorégraphie de Cathy Marston inspirée du roman à scandale de D. H. Lawrence publié au début du 20e et qui aura valu un procès et les affres de la censure à son auteur. Il faut dire qu’au ballet, comme à l’opéra, le sentiment amoureux ne s’exprime jamais en demi-mesure, et que les deux amants ici se montrent particulièrement torrides.

L’histoire est celle de Connie Chatterley, une aristocrate britannique qui sombre dans l’inanité depuis que son mari soldat est devenu paraplégique au retour de la Première Guerre mondiale. Au cours d’une promenade en forêt sur les vastes terres de leur château, elle surprend le solitaire garde-chasse Oliver Mellors en train de se laver à moitié dénudé avec un simple seau d’eau. La vision sera fatale, les laissant dans l’incapacité de résister l’un à l’autre malgré l’impossibilité de cet amour dévorant en raison du mariage de Connie et de l’incompatibilité de leur classe sociale.

L’œuvre se classe ainsi dans ce qui s’appelle un ballet narratif. La chorégraphe, qui a été un temps directrice artistique du Ballet de Berne, est une passionnée des grandes œuvres littéraires hors du temps. Elle a déjà travaillé tout autant à une transposition dansée de Les Hauts de Hurlevent, Jane Eyre et Liaisons dangereuses, pour ne nommer que ceux-là, la carrière de Cathy Marston s’étendant sur plus de 20 ans. En tant que chorégraphe associée du Royal Ballet, elle avait poussé l’audace jusqu’à créer un ballet remarqué à partir de Les revenants de Henrik Ibsen, ou encore en inventant carrément l’opéra-danse Écho et Narcisse à partir du tableau de Nicolas Poussin. Son répertoire comprend une cinquantaine d’œuvres interprétées dans pas moins de dix pays.

C’est la Française Éline Malègue, formée à l’École de danse de l’Opéra de Paris avant de rejoindre les GB en 2010, qui incarne en tant que demi-soliste cette Lady Chatterley qui se consume pour son beau garde-chasse. L’amant, quant à lui, est interprété par le soliste Raphaël Bouchard, un Québécois diplômé de l’École supérieure de danse du Québec, et qui a travaillé aussi bien avec Hélène Blackburn que Ginette Laurin. Il se dégage de lui une énergie tranquille érotisante, une sensualité au naturel qui sera dévastatrice.

Photo par Sasha Onyschenko

À leurs côtés, Vanessa Garcia-Ribala Montoya, originaire de Madrid, qui est avec les Grands Ballets depuis 2006, mais en y portant depuis peu le prestigieux titre de Première danseuse. Et un autre Québécois, Jean-Sébastien Couture, originaire de Saint-Jean-sur-Richelieu, avec les Grands Ballets depuis 2002 en tant que Premier soliste de la compagnie montréalaise que dirige pour sa première saison artistique Ivan Cavallari.

 

Souffle nouveau

Le vent de renouveau qui souffle sur les 60 ans d’existence de la compagnie fondée avec un immense courage par Ludmilla Chiriaeff, se traduit également avec l’arrivée toute récente aux GB de Marc Lalonde en tant que directeur général. M. Lalonde était jusque-là directeur général du Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec, après avoir occupé précédemment cette fonction à l’École nationale de cirque, ainsi qu’à l’Orchestre de chambre I Musici de Montréal.

La chorégraphie de Cathy Marston, sur la musique originale de Philip Feeney à partir des orchestrations de Scriabin et du travail étroit avec l’Orchestre des Grands Ballets et sa chef invitée, Dina Gilbert, est à ce point fluide qu’elle captiverait l’auditoire même en ne connaissant rien du roman de Lawrence. Un roman maudit qui ne manque pas de complexifier les rapports entre les personnages du fait, entre autres facteurs non anodins, que Lady Chatterley tombe enceinte du beau Oliver.

Tous les éléments d’une grande histoire d’amour mythique, à la manière de Pelléas et Mélisande, Daphnis et Chloé ou encore Roméo et Juliette, sont réunis. Et la chorégraphe redouble d’inventivité dans les mouvements contenus de ses danseurs pour que passent par le corps les émotions en jeu et les conséquences de celles-ci pour la suite du monde.

Photo par Sasha Onyschenko.

Mais le ballet L’Amant de Lady Chatterley tel que rendu par la danse et la musique est aussi une production qu’enveloppent de fort belle façon les décors et les éclairages de Lorenzo Savoini. Les éléments dont il se sert pour appuyer la narration dansée sont formés de tiges lumineuses blanches de différentes longueurs formant des figures géométriques qui se meuvent de haut en bas dans l’espace en sublimant tout ce qui se passe sur cette scène inclinée, en particulier durant les pas de deux envoûtants.

Et le moins que l’on puisse dire est que véritablement la magie opère, en y ajoutant de surcroît les costumes sobres conçus par Bregje van Balen. Le bon résultat du traitement de l’œuvre tire ainsi sa source à plusieurs origines.

Tendresse, langueur, sensualité, attraction charnelle, musique en douce, charge d’érotisme, finesse et esthétisme poussé font de ce ballet multipartiste une œuvre forte qui ira chercher ses inconditionnels dans un public de tout âge, pourvu qu’il soit épris de beauté.

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