crédit photo: Sam Tanguay
Émile Bourgault

Entrevue avec Émile Bourgault | Un premier album pour une vieille âme

À moins qu’il le cache très bien, Émile Bourgault envisage la sortie de son premier album, Tant mieux, avec la sagesse d’un artiste d’expérience. Les dernières années l’ont préparé au grand saut : à 20 ans, l’auteur-compositeur-interprète a en poche une troisième place aux Francouvertes et des premières places au Grand Concours Hydro-Québec et à Ma première Place des Arts. Sors-tu? l’a rejoint au téléphone une poignée d’heures avant le dévoilement au grand jour de Tant mieux.

« Je sais trop où je m’en vais pour me laisser décourager par un album qui fonctionnerait pas, lâche le musicien. Si c’est ça qui arrive, je pars sur autre chose. »

Difficile d’atteindre ce lâcher-prise à cet âge et, qui plus est, à l’aube d’un moment aussi significatif, mais le ton de sa voix le confirme. Émile Bourgault est calme, prêt, et surtout reconnaissant devant toutes les personnes rencontrées sur le chemin des concours : des artistes qui représentent des pièces clés du puzzle de cet album tout frais, disponible dès aujourd’hui. Félix Dyotte (Pierre Lapointe, Évelyne Brochu), mentor du chanteur pendant Ma première Place des Arts, en signe d’ailleurs la réalisation.

De toute façon, pas vraiment d’inquiétude quant à la réception des dix morceaux baignant quelque part en eaux pop, rock et folk. Le jeune artiste offre un produit d’une grande richesse, ficelé plus habilement que les deux EP qui complètent sa discographie, Bleu pâle (2020) et Nous aurons toujours le ciel (2021).

* Émile Bourgault à Osheaga, en 2022. Photo par Jesse Di Meo

« Mon projet se tient plus qu’il y a trois ans. Ben, en fait, j’espère! », rigole-t-il. Cette ambivalence teinte les propos d’Émile tout au long de l’entrevue. Se côtoient un aplomb qui peut surprendre à un aussi bas stade de sa carrière, et un grand espace pour l’essai, l’incertitude et même le mystère.

Parce que foncièrement, le vent qui souffle dans le dos de l’auteur-compositeur-interprète est difficile à définir. « Quand je m’assois pour écrire, j’ai toujours la même pulsion, mais je sais pas pourquoi elle est là ni d’où elle vient, analyse-t-il. Et je veux pas le savoir. »

Cette façon viscérale de créer ー Émile a pratiquement tout écrit et composé sur Tant mieux ー représente selon lui un gage d’authenticité. « J’essaie le moins possible d’avoir une idée claire d’où une chanson va aboutir, indique-t-il. Je me suis beaucoup demandé comment je voulais que l’album sonne, avant de réaliser que je m’en fous un peu [rires]. »

Un ramassis (de qualité)

N’empêche, le vingtenaire bâtit tranquillement un son qui lui est propre, et bien que l’album soit bigarré (« J’ai pas le projet le plus clair de l’industrie! »), certains piliers le soutiennent. À commencer par des textes touffus, très introspectifs, souvent empreints de mélancolie ou carrément de noirceur. « J’ai de la difficulté à ne pas aller puiser dans le laid, dans le triste, concède le chanteur. Heureusement ou malheureusement, c’est mon principal véhicule d’émotions. »

En résultent de magnifiques pièces comme Noeud coulant, lente ballade portée par un chœur de cinq voix en plus de celle d’Émile qui demande : « Suis-je fou comme fait de métal j’ai les mains rugueuses comme les genoux / C’est tu demain c’est tu hier y’a tu un fucking timeline j’étais mort j’étais saoul ». Dans Nos amours cimetières, les voix de l’auteur-compositeur-interprète et de sa collègue Sofia Duhaime chantent sur fond de claviers et de contrebasse les angles morts des amours parallèles.

La première moitié de l’opus laisse toutefois passer plus d’air et de légèreté, malgré des arrangements chargés. Juillet, Les aiguilles et J’imagine campent dans une pop rock festive qui partage bien des similitudes avec le son de Valence. « Je suis content d’avoir une face A moins sombre. Je veux quand même avoir du plaisir avec mon groupe sur scène », explique Émile.

C’est du moins ce qui est à l’horaire pour la semaine prochaine. Le chanteur et ses huit (huit!) musiciens et musiciennes donneront deux spectacles de lancement : un au Cabaret Lion d’Or le 9 avril, qui affiche complet, et un à Québec trois jours plus tard, au Pantoum. « Ce show-là, c’est mon projet le plus réfléchi depuis que je fais de la musique. Même plus que l’album », lâche-t-il. Tout est pensé dans le moindre détail, de la mise en scène (Louis-Julien Durso) aux costumes en passant par l’interprétation des pièces et même les interactions avec le public. « Plus c’est préparé, plus je me laisse aller », affirme Émile.

Installé à Montréal depuis quelques années après une jeunesse passée sur la Rive-Sud, l’artiste a trouvé le moyen d’illustrer sur scène ce nouveau train de vie métropolitain qui mène à des évènements « parfois fun, parfois though. » Les ami.es et amours qui l’entourent depuis ces quelques années sont d’ailleurs les protagonistes de Tant mieux. Leur trace perce les mélodies et les mots et nous suit après l’écoute. L’auteur-compositeur-interprète semble avoir perfectionné le don de bien s’entourer.

C’est sans doute un peu en raison de son côté bon vivant et sa tendance à préférer le bouche à oreille aux réseaux sociaux. « Ma vision d’une carrière en musique est un peu déphasée par rapport à ma génération, admet-il. J’aurai pas de vidéos aux millions de vues ou de grosse montée en popularité. »

TikTok ou pas, Émile Bourgault tisse avec doigté la toile de sa carrière depuis un moment déjà. « Ça fait longtemps que je travaille tranquillement dans mon coin pour que tout ça arrive », exprime-t-il. Et comme pourrait dire un artiste du double ou du triple de son âge, ça finit par payer.

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