Midnight

Démoniaque spontanéité : rencontre avec Athenar de Midnight

Sexe, Satan et rock’n’roll. La horde masquée de Midnight rassemble de plus en plus de fidèles à coup d’albums blasphématoires, riffs tranchants irrésistibles et prestations enragées. Rencontre avec Athenar, l’homme sous le masque d’un des groupes de métal les plus rock’n’roll des dernières années.

L’avantage de jouer dans un groupe au visage caché, c’est que tu peux être incognito partout. C’est ainsi qu’Athenar passe devant nous plusieurs fois alors que nous le cherchons pour l’entrevue. Ayant finalement réalisé que c’était lui, nous descendons dans les loges du Théâtre Corona. Nous nous frayons un passage dans les couloirs étroits, entre les murs de vieilles briques et des black métalleux norvégiens maquillés (« Allo Abbath! »). Mais l’alarme incendie du théâtre retentit, nous devons ressortir : il semble que l’univers soit contre nous, ou l’aura chaotique du groupe…

Nous arrivons finalement à nous asseoir avec l’homme derrière Midnight, étonnement différent du démon qu’on peut voir sur scène. Poli et sympathique,  une voix calme, attitude posée, loin de la bête incontrôlable et explosive qu’on peut voir sur scène. Dans un monde politiquement correct et facilement irritable, Midnight continue son chemin blasphématoire aux paroles crues et sales depuis seize ans, qu’on pourrait résumer par Sexe, Satan et rock’n’roll : « C’est juste naturel pour moi d’écrire sur ce genre de sujets. », déclare Athenar, qui possède déjà une discographie imposante.

La scène en exutoire

Mais c’est sur scène que les démons prennent forme. Comme en témoigne le premier spectacle canadien du groupe il y a plusieurs années, où Midnight se fait virer du Sneaky Dee’s de Toronto après un quart d’heure.

« À cette époque, je jouais seul avec une bande son sur une cassette. J’avais cette croix inversée – enfin ça dépend dans quel sens tu la tiens j’imagine ! – que j’ai mis en feu. Elle était imbibée d’essence, et je dois admettre que ça a fait une flamme énorme, plus grande que j’aurais pensé. »

Tout ça, dans une petite salle remplie de monde au deuxième étage. « En bon Canadien, l’ingénieur de son m’a poliment demandé d’éteindre la flamme et de dégager. » Le moment a été immortalisé sur l’album-compilation Shox of Violence, où on peut effectivement entendre le très canadien Please, get the fuck out, sorry… « C’était une tournée de trois dates en Ontario, et je pense qu’aucun concert n’a duré plus que dix ou quinze minutes. » reprend Athenar. « Au deuxième show, les filles qui m’accompagnaient sur scène (ndlr : appelées à l’époque les Maîtresses de Midnight, qui fouettait les gens) étaient complètement saoules de vodka cheap. Une est tombée et a brisé ma guitare après trois chansons. » Une époque d’expérimentation, selon le musicien.

Midnight au Club Soda, avril 2017

Midnight délivre toujours des performances spectaculaires, parfois chaotiques et presque dangereuses, ce qui se fait rare de nos jours. Comme la dernière tournée avec Obituary et Kreator. Le groupe avait eu la brillante idée de demander des vieux instruments en offrandes dans chaque ville (en échange de marchandise) pour les fracasser sur scène. Mais pour Athenar, c’est plus de la spontanéité, rien de vraiment intentionnel. « Hier par exemple, il y avait une bouteille de plastique sur la scène, j’ai shooté dedans…mais elle était pleine ! Je me sentais mal pour le gars qui l’a reçu en pleine face…En fait c’est parfois dangereux pour moi aussi, je me retrouve avec des bleus, des coupures après les concerts. Mais il n’y a rien de malicieux, ou de méchant intentionnellement. » Bref, une façon de laisser sortir ses démons enfouis.

« Il vaut mieux que tu sortes ça sur scène plutôt que ça pourrisse à l’intérieur et que ça sorte dans la rue, par exemple. »

C’en devient presque une thérapie: « Parfois les gens me demandent Did you had fun ? Et non, c’était pas vraiment fun, mais il fallait que ça sorte. » Le heavy metal reste quand même un catalyseur de violence, de noirceur, et autre sentiments pour plusieurs.

Renaissance par le blasphème

La pochette du dernier album Sweet Death & Ecstasy, est assez originale, réalisée par un artiste ayant déjà travaillé pour Mayhem notamment. « Je lui ai juste donné le titre et il m’a sorti ça. » Une pochette assez différente des albums de métal traditionnels, surtout avec cette dominante de couleur jaune. « Certains gens l’adorent, d’autres la détestent. Moi ça me va. » Et pour les curieux, c’est donc la pochette qui a inspiré la photo à l’arrière, et non l’inverse…

Un nouveau chapitre s’ouvre pour Midnight en janvier avec la sortie d’un nouvel album, Rebirth By Blashpemy. « Certains gens disent que c’est celui qui sonne le mieux. Que c’est un retour aux sources, un peu. Sur Sweet Death & Ecstasy il y avait deux longues pièces, ça a surpris bien du monde. Le nouvel album est plus direct: seulement 10 chansons qui arrachent. »

Autre changement : la signature sur un plus gros label, Metal Blade, après des années avec la plaque tournante de l’underground qu’est Hell’s Headbangers. « Il était temps de faire un changement. J’ai réalisé que je ne rajeunissais pas, et que j’allais arrêter de décliner des offres. » C’était le cas entre autres avec une première grosse tournée avec Kreator il y a deux ans. « Partir en tournée ? Non, non! Vingt jours ? Vous-êtes fous ? Faut que je quitte la maison ? Fuck that ! » (rires)

Parce qu’au départ, Athenar a créé Midnight seul dans son sous-sol. C’était pour se faire plaisir sans avoir à sortir de chez lui, et sans avoir à compter sur d’autres musiciens. « Mais j’ai réalisé que je ne pouvais pas rester chez moi, être un plombier ou un couvreur, je sais rien faire. A part écrire des chansons à moitié correctes, pas géniales mais juste médiocres. » En tout cas assez bonnes pour créer un groupe qui fait de plus en plus parler de lui et qui vient de signer chez l’une des plus importantes étiquettes de métal au monde. Et encore à ce jour, Athenar enregistre tout lui-même. « Je commence avec la batterie, en jouant les riffs dans ma tête, puis je rajoute le reste des instruments. » Si vous êtes musicien, vous réaliserez le talent du gars.

Mais la réalité du one-man project est totalement différente aujourd’hui avec Midnight, qui est devenu un vrai groupe qui tourne. « J’ai fini par l’accepter et je me sens bien avec ça maintenant. C’est un truc super cool, sentir l’adrénaline dans ton corps, ça fait du bien. Plutôt que de rester assis à la maison. Le seul truc, c’est que j’ai du mal à composer des nouvelles choses en étant sur la route souvent. Mais il y a d’autres bon côtés. » Partir en tournée crée une autre finalité, en plus de donner sa forme physique à Midnight. « Un but à atteindre chaque jour, tout pour ces 30 minutes de spectacle à jouer. »

Longévité et succès d’un groupe de métal

On parle un peu musique et groupes cultes avec Athenar, qui arbore un chandail de Megadeth. On discute entre autres de la réalité totalement différente aujourd’hui pour la musique heavy metal. On est loin de la gloire des années 80 où les groupes remplissaient des clubs immenses ou des stades après quelques albums.

« Si tu prends Iron Maiden, à partir du troisième ou quatrième album, ils remplissaient des stades mais ils étaient encore considérés comme un jeune groupe. Regarde Midnight, ça fait quand même seize ans que ce groupe existe. Iron Maiden après seize ans ils étaient rincés, finis ! (Rires). Mais est-ce que j’écoute toujours, et j’achète toujours leurs albums? Oui ! »

Le soir de l’entrevue, Midnight ouvre pour Obituary, qui fêtent les 30 ans de leur premier album. Une longévité bien différente des années 70. « Quand tu penses à Led Zeppelin ou même les Beatles, ce sont des groupes qui n’ont pas duré plus de dix ans. Maintenant il y a des groupes qui sortent des albums tous les dix ans. » Mais rares sont les groupes de métal récents qui peuvent remplir une arène, comme Ghost. « Je veux dire, Ghost… sérieusement ? C’est tout ce que tu peux faire ? » ricane Athenar.

Midnight au Théâtre Corona, octobre 2019

Est-ce que l’arrivée d’Internet et la facilité d’accès à toute la musique, point qu’on penserait positif pour les groupes, seraient en réalité ce qui fait disparaître leur succès ? « Tout est tellement disponible maintenant, ce n’est plus comme avant, où tu devais vraiment creuser pour trouver de quoi. »

« Il y a trop d’options, les gens sont surchargés au niveau sensoriel. Il y a beaucoup de bonne musique et de supers nouveaux groupes, mais les gens passent à côté. »

Dans tous les cas Midnight séduit de plus en plus de monde. « C’est cool. Je n’ai jamais rien calculé, j’ai toujours essayé de faire les choses le plus naturellement possible. » Et c’est peut-être bien ce qui plaît et fait le succès de Midnight, cette spontanéité, ce naturel chaotique et imprévisible. Ce côté rock’n’roll un peu dangereux et sale, dans un monde moderne où le métal est souvent aseptisé avec des groupes préfabriqués, aux sons édités par ordinateurs et aux performances réglées comme des pendules sur une séquence pré-enregistrée.

Rebirth By Blasphemy sortira le 24 janvier chez Metal Blade Records

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