crédit photo: Nadim Zakkour
Bigflo & Oli

Bigflo & Oli au Centre Bell | Pour un frère

Deux frères, du rap, et une idée qui l’englobe : « l’amour triomphera toujours sur la haine ». Le duo toulousain à succès présentait ce vendredi son dernier long jeu, Les autres c’est nous, devant un Centre Bell plein à craquer et particulièrement jeune. Les artistes français peuvent se targuer d’avoir offert l’une des performances rap les plus riches de l’année à Montréal.

Quelques minutes avant 21h, les enceintes de l’aréna diffusent le morceau de Celia Cruz La Vida Es Un Carnaval, histoire de faire monter un peu la sauce. Le titre cubain est sampled sur l’ouverture du dernier album de Bigflo & Oli, La vie d’après, ce qui ne veut dire qu’une chose : les artistes vont arriver sur scène dès la fin de la chanson et débuter leur performance. Pas réellement, du moins pas à l’instant.

Suivant une vidéo amusante les présentant avec de la grande autodérision, l’écran derrière la scène affiche des visages de personnes au hasard en rafale, avant de présenter ceux de Bigflo & Oli. « Les autres c’est nous », on rappelle. Et puis, un compte à rebours apparaît, chaque numéro qui défile se faisant accompagner par la voix unie des membres de la foule. Au chiffre 0, les rappeurs vont enfin se présenter au public, non? Oui, mais pas comme le Centre Bell l’imagine.

Un projecteur s’allume et illumine les deux frères, entrés par les portes opposées des sections 100 des gradins de la salle. Bigflo & Oli se laissent acclamer de longues secondes, avant de descendre les escaliers et rejoindre la scène par le côté du parterre. Une entrée profondément atypique, et surtout loin d’être frileuse.

Oli arbore un maillot du C.F. Montréal, tandis que le DJ de la soirée porte une casquette des regrettés Expos. Olivio Ordonez, de son vrai nom, conserve le thème et débute la musique avec un freestyle inspiré et teinté de références à Montréal (quelques lignes retenues : « On a mis la barre très haute, plus haut que le mont Royal »; « On est passé du Club Soda au Centre Bell »; « Ce soir c’est la cerise sur le gâteau, la sauce sur la poutine »). Il enchaîne enfin et sans interruption sur la fameuse ouverture du dernier opus du duo, logiquement.

La vie d’après, premier titre de la soirée, tient en lui une sincérité éclatante. Après s’être accordé une pause de près de deux ans, les rappeurs toulousains débutaient l’année dernière leur quatrième album avec ce morceau s’apparentant à de l’ego trip, mais d’une manière bien plus fine, animés de cette rage d’atteindre des sommets encore plus hauts.

Malgré la « jeune jeunesse », malgré le fait que le public semble grandement composé de 12 à 18 ans, la fosse bouge étonnamment beaucoup d’emblée, sans non plus atteindre le stade des pogos. Enfin, comment ne pas être touché par la plume et le talent de ces deux frères?

 

Le réveil

Suivant l’excellent La vie d’après, Bigflo & Oli poursuivent leur spectacle avec J’étais pas là, sur le thème de l’absence. Une section de cuivre rejoint les autres musiciens. Devant des vidéos et photos de leurs aventures sur le globe captées au cours de sa fameuse pause, le duo revisite devant le Centre Bell un thème auquel tous se reconnaissent : le syndrome FOMO.

Et la conclusion tirée s’avère d’autant plus satisfaisante : « J’étais pas là, mais j’ai rien raté », chantent les deux frères dans le refrain. Vers la fin du morceau, Oli empoigne sa trompette et s’offre quelques notes devant le Centre Bell, tandis que Bigflo court sur le côté de la scène pour tenir le rythme à la batterie. De vrais musiciens, réellement, puisque Florian et Olivio Ordonez sont passés dans leur jeunesse au conservatoire de Toulouse.

 

Tout c’qui compte

La famille, la famille et encore la famille. Chez Bigflo & Oli, le respect de ses racines semble être au cœur de l’un des nombreux thèmes qui les caractérisent. Après avoir interprété Papa, sur l’importance que les frères accordent à leur paternel d’Argentine, Bigflo & Oli demandent au Centre Bell de ne plus faire de bruit, de recréer l’ambiance intimiste des salles plus modestes de leurs débuts. Deux guitaristes et un violoncelliste accompagnent les frères sur José et Amar, prénoms de leurs grands-pères d’Argentine et d’Algérie. Une véritable lettre d’amour, profondément touchante, à ces défunts hommes que les artistes de Toulouse n’ont jamais eu la chance de connaître, et un sujet que très rarement abordé dans le rap.

 

Inclusif

Les entrées à travers la foule ne se révélaient qu’être la pointe de l’iceberg d’une autre marque du duo : l’inclusivité. Après un medley de leurs anciens succès, Bigflo & Oli demandent au parterre de se séparer en deux afin que les artistes puissent rejoindre une petite scène carrée dans le fond de la fosse. « On oublie personne ce soir on y va tous ensemble », lance Oli durant l’interprétation de Demain, maintenant entouré d’un fragment différent du public.

Après une autre pointure passée à Laval il y a deux semaines au nom de Ninho, doté d’un traitement absolument répugnant envers son public au cours de la soirée, la générosité et la chaleur humaine initiées par Bigflo & Oli apparaissent comme un vent de fraîcheur sur une industrie de plus en plus individualiste.

Des bracelets lumineux distribués à chaque membre du public avant le concert représentent un autre point fort de leur performance, illuminant le poignet des auditeurs du Centre Bell de la profondeur de la fosse jusqu’aux derniers sièges dans le fond des sections 400.

 

Bon enfant

Malgré la plume aiguisé de Bigflo & Oli, les artistes toulousain n’arrivent souvent pas à rejoindre les puristes du rap francophone. Trop commerciaux? Trop jeunes pour réussir? Trop sympathiques? Trop proches des artisans du YouTube game français? Il est évident qu’une majorité de morceaux proposée par Bigflo & Oli ne s’apparentent pas à du rap pur et dur et que les thèmes abordés résonnent davantage aux oreilles des très jeunes qu’à la clientèle première, les amateurs du style déjà à l’âge adulte.

Certains y verront le réconfort, d’autres une porte d’entrée.

Malgré tout, si une grande partie du public rap préfère largement le penchant sombre et agressif du courant (votre rédacteur inclus), il est indéniable qu’un tel amas de positivité apporté par les deux frères ne peut que faire du bien. Et puis, défiez des artistes comme Koba LaD ou Gazo de sortir un texte comme le freestyle de 10 minutes d’Oli sur Skyrock. Juste pour voir un truc.

 

Comme avec un vieil ami

Tout au long de la soirée, une certaine relation émerge entre les artistes et le Centre Bell. Bigflo & Oli répètent tellement de fois que la foule montréalaise s’inscrit comme l’un des publics les plus vibrants de leur tournée que l’on comprend que leurs propos ne touchent plus à une certaine forme de politesse. Suivant l’enchaînement des morceaux Booba et Le son préféré de mes potes, compositions se rapprochant presque à de la trap, Bigflo & Oli calment le jeu avec Copier / Coller, douce chanson où les frères jouent de leurs instruments.

Bigflo reste au piano, tricote quelques secondes sur des « Olé olé olé » (le chant s’installera durant la soirée comme un certain running gag), avant d’entamer les premières notes de Dommage. Tous les « +1 » comme les fans de la première heure chantent cet immense succès du rap français moderne en chœur. Les paroles sont montrées sur l’écran, sans grande utilité puisque le Centre Bell entier les connaît déjà.

Entre Coup de vieux et Dernière, les deux artistes tournent un Reel Instagram pour montrer la fébrilité du public montréalais, mais surtout « mettre de la pression », de leurs propres mots, sur le public parisien de La Défense Arena. Bigflo & Oli payeront une visite au stade de 40 000 places le 8 décembre prochain.

« À chaque fois que je me dis qu’on devrait venir vous voir plus souvent », laisse tomber Bigflo en quittant la scène. Les deux artistes reviennent en rappel sur Bons élèves, composition en collaboration avec le grand MC Solaar, avant de quitter d’arrache-cœur le public montréalais pour de bon. Les deux artistes regagnent les gradins après deux heures de spectacle, comme au début de la soirée, lâchent un discours sur la brutalité du monde dans lequel nous vivons et disparaissent des yeux d’une foule conquise.

En se concentrant seulement sur la performance, Bigflo & Oli ont offert ce vendredi 24 novembre un exemple absolument magistral du traitement que chaque artiste rap devrait réserver à ses fans. Chapeau, vraiment.

 

Grille de chansons

1 – La vie d’après

2 – J’étais pas là

3 – Papa

4 – Plus tard

5 – Nous aussi / Alors alors / Bienvenue chez moi / Comme d’hab / Pour un pote / Gangsta / Ça va trop vite

6 – Demain

7 – José et Amar

8 – Sacré Bordel

9 – Sur la lune

10 – Les gens tristes

11 – Aujourd’hui

12 – Booba

13 – Le son préféré de mes potes

14 – Copier / Coller

15 – Dommage

16 – Coup de vieux

17 – Dernière

Rappel

18 – Bons élèves

 

Photos en vrac

Événements à venir

Vos commentaires