crédit photo: Cassandra Lacroix
Viagra Boys

Viagra Boys au Théâtre Corona | Douces mononcleries punk

« Quessé ça!? », de me répondre un ami lorsque je lui demande, tout excité, s’il viendra au spectacle des Viagra Boys au Théâtre Corona. Pas juste parce qu’il ne connaît pas ça. Mais parce que ça s’appelle Viagra Boys. Le nom du groupe se prête aux pires blagues : de « ça doit être du HARD rock » à « wow, ça doit LEVER SOLIDE en show! »  En même temps, ce n’est pas comme si le chanteur Sebastian Murphy ne prêchait pas lui-même par (charmante) mononclerie…

Alors réglons une chose pour ceux qui ne sont pas familiers avec eux : Viagra Boys est un groupe de post-punk suédois — dans la foulée des collègues britanniques comme Squid ou shame par exemple — qui lance des très bons albums avec une régularité impressionnante. L’EP Consistency of Energy était fort charmant en 2016, puis Street Worms en 2018 démontrait que ce n’était pas un coup de chance. Avec Welfare Jazz en 2021 et Cave World l’an dernier, les Viagra Boys prenaient un abonnement aux décomptes des meilleurs albums de l’année.

Sur disque, le contraste entre la tonitruante et entraînante musique un peu dance-punk et le flegme du chanteur fait son effet.

Comme on s’en doute, ça ressemble à ça sur scène aussi. Les cinq musiciens sont appliqués et efficaces. Ils tiennent le fort. Et dès la deuxième chanson, Ain’t Nice, Murphy, lui, retire son chandail, exhibant son dad bod tout tatoué et sa craque de plombier, tout en gardant ses lunettes fumées. Sa danse consiste en une série de dandinements patauds, et il gueule dans son micro entre deux gorgées de White Claw.

Sebastian Murphy, c’est un peu l’oncle que tes parents n’aiment pas trop et qui inquète ta grand-mère, mais qui, toi, te divertit dans les partys de famille, tant qu’il se tient dans les limites raisonnables de l’alcoolémie. Et il est toujours sur la fine ligne éthylique, à l’orée du débordement.

Lorsqu’il aborde la foule entre les chansons, on ne sait jamais trop où il s’en va avec son histoire, ni combien de temps ça durera.  Mais on est pendu à ses lèvres. Tôt dans le spectacle, il invective les policiers canadiens — tout en spécifiant à un spectateur un peu too much qu’on peut « les détester sans les tuer » — et raconte une très longue mais fort divertissante anecdote de sac de poudre saisi aux douanes canadiennes qui s’est avéré être du détergent à lessive, avant de déclarer à la blague que les Viagra Boys étaient désormais un « Political Anti-Canadian-Cops Band » et de lancer Punk Rock Loser.

Plus tard, il explique que les premières chansons du groupe parlaient essentiellement de trois choses : se faire pisser dessus, consommer des drogues et les dysfonctions érectiles. Liquids parle du premier sujet. On s’en doutait avec les paroles « She ain’t no human, ain’t no ape / I want her liquids all on my face ».

D’ailleurs, belle référence dans cette chanson à un certain prolifique groupe de rock psychédélique australien :

She’s got me sick now to my gizzard
She speaks just like some kind of lizard
She’s dressed in robes like some weird wizard

Mais il n’est pas question que de douche dorée, de mush et de défaillance virile.

Au fil des albums, les propos des Viagra Boys se sont étendus jusqu’à la critique de la droite autoritaire, au rejet de la masculinité toxique et à toutes sortes de choses que les drogues aident à imaginer, comme d’être enterré sous terre et se faire manger par les vers entouré des siens (Worms) ou de rejeter la société pour redevenir un singe (Return to Monke).

Ce petit côté un peu primal que l’on retrouve dans plusieurs chansons des Viagra Boys prend tout son sens avec les agissements de Murphy sur scène. On comprend qu’on a affaire à une personne libérée du jugement d’autrui, un homme profondément punk et quelque peu enivré, mais pas pour autant esclave du comportement toxique qu’on constate souvent chez les soi-disant punks qui emmerdent la société et l’autorité.

Bref, ça rentre au poste, comme on dit, et la soirée se passe merveilleusement bien en compagnie de cet étrange être attachant et sa troupe musicalement très solide.

D’ailleurs chapeau à Oskar Carls, qui en plus d’exhiber les cuisses les plus douces de la scène post-punk moderne, ajoute à la musique une suave touche de saxophone somptueux mais souvent savoureusement dissonant (et parfois une deuxième guitare, si ça se prête).

Cette heure et demie en compagnie des Viagra Boys, par un froid lundi de février, était la dose parfaitement équilibrée de fête et d’étrangeté qu’on avait besoin.

 

Grille de chansons

Ain’t No Thief
Ain’t Nice
Punk Rock Loser
Baby Criminal
Slow Learner
Big Boy
It Ain’t Enough
Cold Play
Creepy Crawlers
Liquids
Troglodyte
Sports
Shrimp Shack

Rappel

Return to Monke
Worms

 

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