Kiciweok par treize artistes autochtones au Centre du théâtre d’Aujourd’hui | La paix des braves

En langue anishinaabemowin, le mot « kiciweok » signifie « avoir une voix forte et claire ». Le titre complet de ce rare spectacle sur la scène du CTD’A est : « Kiciweok : lexique de 13 mots autochtones qui donnent un sens ». L’entreprise se veut une réponse à la publication d’Olivier Choinière « 26 lettres : abécédaire des mots en perte de sens ».

Découverte des langues

C’est Émilie Monnet, artiste en résidence au CTD’A, qui a eu l’idée d’inviter treize artistes autochtones à s’emparer d’un mot issu de leur première langue respective, et de nous en communiquer les multiples sens. Le résultat est aussi probant que franchement étonnant.

Déjà en 2011, Émilie Monnet avait fondé à Montréal les Productions Onishka – un mot qui signifie « réveille-toi » – dans le but de créer des ponts. Elle nous faisait alors découvrir la richesse de ces cultures séculaires, mais aussi cherchait à rapprocher entre elles les onze Premières Nations du Québec en leur donnant une occasion salvatrice de garder en vie les langues kanien’keham, anishabanemowin, cri, atikamekw, inuktitut, innu-aimun, wendat ou na-dené, et la diversité des cultures qu’elles représentent.

Le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, dont la raison première est d’être le berceau et l’illustration de la dramaturgie québécoise, présente ce spectacle deux soirs seulement, comme un petit supplément d’âme qui fait le bonheur des spectateurs curieux et volontaires. À tour de rôle, les artistes viendront témoigner de leur survivance par le biais de poèmes, de chansons et de monologues, une somme culturelle qui ne demande qu’à être reconnue et, en premier lieu, à continuer d’exister.

*Photo par Maryse Boyce.

La plupart de ces artistes sont ignorés par les Blancs que nous sommes restés, mais on y retrouve aussi des noms plus familiers, parmi lesquels la poète Joséphine Bacon, l’écrivain Tomson Highway et l’historien et philosophe Georges Sioui. Presque tous parlent un français sommaire, mais la traduction de leur prise de parole est affichée en sur-titres français. Ensemble, ils témoignent de la grande mosaïque protéiforme canadienne, et sont engagés au rapprochement non pas des deux solitudes mais de leur troisième.

Le feu comme concept central, le silex, la Terre-mère, la famille, le culte envers la sagesse des ancêtres, la notion de territoire, la communion avec les lacs, les rivières et toute la nature dans leur habitat, la spiritualité, le langage des tambours et leurs cris face à l’existence sont au cœur de la manifestation à laquelle nous assistons.

Des personnalités marquantes

Parmi les artistes de la soirée, Joséphine Bacon, 72 ans, une écrivaine innue reconnue dans la francophonie. Originaire de Pessamit, elle écrit en innu-aimun et en français. Elle est également réalisatrice de films documentaires et parolière. Petite femme déterminée, elle a collaboré au spectacle de Chloé Sainte-Marie. Frêle et ayant une canne pour appui, Joséphine Bacon a tout de suite conquis l’auditoire en parlant d’art divinatoire et de la pratique ancienne de lire les omoplates. Mais, c’est pour nous dire ensuite, l’œil mouillé, qu’elle porte un foulard rouge pour honorer ses sœurs disparues ou assassinées.

*Photo par Photo par Maryse Boyce.

Son premier recueil, paru en 2009, portait le joli titre de Tshissinuatshitakana / Bâtons à message. L’âme en paix avec elle-même et les siens, elle a été nommée Personnalité du quotidien La Presse en mai 2019, suite à la parution de son recueil Useh – Quelque part. Sans contredit, c’est elle, souriante, affable et attachante, qui a été la vedette de la soirée.

Mais elle est suivie de près par le dramaturge Tomson Highway, 68 ans, un Cri de Brochet, à la frontière du Manitoba et du Nunavut. Fils du légendaire chasseur de caribous Joe Highway, il est l’auteur d’une trentaine de livres, après avoir été pianiste de concert dans sa jeunesse. Jovial et drôle dans sa façon ostentatoire de communiquer son identité autochtone, il a été décoré de l’Ordre du Canada. Sur un ton rieur, il nous apprendra qu’il y a, selon le contexte, cinquante-deux façons différentes de dire le mot « aller » en langue dah’goh’dne, l’une des plus difficiles à apprendre, même par eux.

Le Métis Moe Clark signe en direct la trame sonore de cet émouvant  Kiciweok, un louable rassemblement d’artistes autochtones autrement épars, et qui nous donne vraiment envie de mieux les connaître. Leur participation, ni revendicatrice ni culpabilisante, à cette soirée très spéciale a été des plus chaudement applaudies.

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