crédit photo: Pierre Langlois
Godspeed You! Black Emperor

Godspeed You! Black Emperor au MTELUS | Le fruit d’une relation respectueuse

Le phénomène des jaseux qui envahissent les salles de spectacle pour se raconter leur week-end pendant qu’on tente d’apprécier un concert tranquille n’est pas sur le point de se résorber. Mais heureusement, il y a des poches de résistance, des spectacles encore à l’abri de ces distractions fâcheuses des m’as-tu-vus gossants. Et ce n’est certainement pas étranger à la relation que les artistes ont entretenu avec leurs fans au fil des ans.

Godspeed You! Black Emperor commande le respect. Sans même dire un mot.

La troupe est si intègre et soucieuse de son honorabilité que les fans qui les suivent n’ont pas besoin d’être avertis.  Ils les ferment, leurs gueules.

Mercredi soir, lors du premier de deux spectacles de Godspeed You! Black Emperor au MTELUS, personne ne pouvait se plaindre d’avoir eu la vue cachée par des dizaines de téléphones braqués vers les artistes.  Presque personne n’a osé jaser avec son voisin durant la prestation, non plus.

C’est sans doute parce que Godspeed joue son post-rock explosif TRÈS FORT. Genre 117 db, selon notre mesure maison. Selon Amazon AWS, on s’approche dangereusement du niveau « Avions à réaction (au décollage) ».

C’est pratique, parce qu’on peut aller aux toilettes et ne rien manquer. On entend chaque note jouée lors de notre passage à l’urinoir au fin fond de l’étage du balcon. C’est dire le niveau sonore.

Mais au-delà de jouer fort, Godspeed joue bien et contrôle avec une précision hallucinante les contrastes entre les moments tranquilles et mélodieux et les maelström violents qui arrachent tout.

On en avait l’exemple le plus probant dès le départ, alors que Thierry Amar et Sophie Trudeau s’installent tranquillement, respectivement à la contrebasse et au violon. Les premières notes (ou plutôt les premiers sons) de Hope Drone se font entendre, et progressivement, les autres musiciens vont s’y joindre, ajoutant leurs particules à la pièce ambiante dont l’intensité grimpe lentement mais surement.

Ils seront finalement huit sur scène. Deux basses, deux batteries/percussions, trois guitares et un violon, devant des murs d’amplificateurs et avec des pédales de loop à n’en plus finir au plancher. C’est la démesure sonore.

Dans la plus belle tradition shoegaze, les musiciens sont assis, ne s’adressent jamais au public et regardent le plancher. Il n’y a rien à voir vraiment et pourtant on ne peut s’empêcher de les regarder travailler.

En fait, si, il y a quelque chose à voir : les projections. Parce que pour ceux qui l’ignorent, Godspeed You! Black Emperor travaille avec deux projectionnistes : l’illustre Karl Lemieux et Philippe Léonard.

Ce qui est projeté derrière les musiciens n’a rien d’un montage préfait, simplement diffusé sur écran durant le concert. Que nenni.

Les deux artistes — qui sont officiellement considérés comme des membres de Godspeed — manipulent des bobines de film, en ralentissent le défilement, superposent des négatifs et les font fondre, créant carrément de l’art visuel en mouvement devant nos yeux. Durant l’interprétation de Mladic, pièce phare de leur abum de retour Allelujah ! Don’t Bend ! Ascend ! en 2012 (qui leur avait permis de remporter le Prix Polaris), c’était particulièrement enivrant. On en prenait plein les pupilles, tout comme on en prenait plein les tympans!

Ce n’est donc pas rare de voir des spectateurs faire dos au spectacle pour observer les deux collègues projectionnistes travailler derrière la console de son.

Au bout d’un peu plus de deux heures de titres grisants, dont First of the Last Glaciers, du dernier album G_d’s Pee AT STATE’S END!, les musiciens programment des boucles les dernières notes de BBF3 à partir de leurs propres instruments et quittent, laissant derrière eux un chaos contrôlé auto-généré, un brasier sonore qui prendra près de dix minutes à s’éteindre.

Comme d’habitude, on en ressort un peu secoués, ébranlés, mais purgés de tout souci. On ressent comme un grand soupir de plénitude collectif, comme le relâchement d’une grande tension musicale soutenue durant plus de 120 minutes.

C’est remarque de constater que, près de trente ans après leurs débuts, GY!BE est encore une force majeure capable de créer des moments de catharsis inégalables de la sorte. Et surtout, le standard de qualité et d’intégrité qu’ils ont entretenu au fil des ans leur permet d’avoir droit à une écoute quasi-religieuse qui est d’autant plus appréciable en cette ère de distractions. Ça donne des beaux mercredis soir, disons.

Moor Mothers

À notre arrivée vers 20h15, Camae Ayewa, alias Moor Mother, était installée sur scène à déclamer une poésie violente sur fond de bruitisme, derrière une table sur laquelle étaient disposés des ordinateurs, bidules électroniques et consoles. Et beaucoup de fils.

On ne la connaissait que de réputation : membre du collectif Black Quantum Futurism, on la savait poétesse et militante, mais on croyait comprendre qu’elle donnait dans le R&B soul, et non la performance expérimentale comme ce qu’on nous a proposé avant le spectacle de Godspeed You! Black Emperor.

Sa proposition artistique, qu’on pourrait qualifier de spoken word expérimental, est pour le moins déroutante, engagée et enragée. « I know a lot of the shit I talk about is heavy. But it is not heavy enough », exprime-t-elle entre deux pièces, sans concession.

Son plus récent album Jazz Codes est un hommage à la puissance du jazz. « You motherfuckers don’t listen to jazz enough », lancera-t-elle alors au public, un peu moralisatrice, avant de prétendre que nous « préférons écouter du Taylor Swift que du jazz ». Quand même pas, Camae. Mais on comprend ses doléances et on apprécie l’approche frondeuse.

Elle terminera d’ailleurs sa performance sur April 7th, qui insuffle un peu d’espoir, de lumière et de groove à une prestation autrement un peu austère mais qui ébranle (dans le bon sens du terme).

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