Nathaniel Rateliff

Nathaniel Rateliff joue Cohen à la Place des Arts | Aucune craque, beaucoup de lumière

Si vous doutiez encore de l’impact multigénérationnel et multiculturel (et multitout) de Leonard Cohen, un coup d’oeil rapide à l’intérieur de la salle Wilfrid-Pelletier en ce lundi frisquet aurait suffi pour vous convaincre.

Dans quel autre contexte se seraient côtoyés une Westmountaise endimanchée, un jeune couple d’adolescents et un dude coiffé d’un mohawk aux proportions bibliques portant un jersey du CH avec la mention « FUCK BOSTON » en guise de nom de famille?

Cette dualité, au fond, est à la base même de l’oeuvre claire obscure de notre Grand Montréalais, et on la retrouvait aussi à même le concept de la soirée présentée hier: un petit barbu tatoué surtout connu pour sa voix soul, puissante et haute perchée qui chante l’oeuvre d’un grand poète ténébreux au murmure abyssal, le tout accompagné d’un orchestre de 40 pièces.

Eh oui, c’était aussi bon que vous l’imaginez.

Phil Cook, pianiste aux allures classiques, mais au répertoire résolument folk et pop (on a reconnu des airs de Gillian Welch dans la setlist, d’ailleurs), met la table avant l’hommage.

Voûté sur l’ivoire et l’ébène de son instrument, le nez à hauteur de jointures, il enchaîne les mélodies accrocheuses et les blagues – une approche décontractée qui allège immédiatement la formule protocolaire qu’un concerto pour piano seul peut souvent assumer.

Entracte. Rafraîchissement.

Nous voilà maintenant assis devant les cordes, les cuivres et les vents du Wordless Orchestra, que certains connaissent peut-être déjà de par leur travail avec les post-rockeurs islandais de Sigur Rós.

On remarque aussi un drum sans drummer, une basse sans bassiste et un orgue sans organiste sur la scène, signe avant-coureur de l’arrivée éventuelle des musiciens plus rock (qui s’avéreront au final des membres des Night Sweats, le groupe de blue-eyed-soul de Rateliff).

Puis entre Nathaniel, dans un complet bien taillé qui le recontextualise complètement. Exit l’auteur-compositeur-interprète rough n’ tough, bonjour le crooner.

Il nous explique que le menu de la soirée se concentrera sur les cinq premiers opus de Cohen, et qu’un jour, peut-être, il aura la chance de nous présenter les dix autres. Il nous exprime aussi sa reconnaissance de pouvoir non seulement interpréter une si grande oeuvre, mais en plus de pouvoir le faire devant le Montréal natif de l’homme qui l’a pondue.

Pis ça part.

Quelques notes à peine de Bird on the Wire et on entend déjà quelqu’un dans la rangée derrière nous retenir des pleurs. Puis Suzanne. Au tour de ma voisine de siège d’ouvrir la champlure oculaire.

Pas eu la chance de voir si le partisan du CH mohawké pleurait lui aussi, par contre.

J’aime m’imaginer que oui, à chaudes larmes.

Un peu plus tard, on reconnaît la version de Famous Blue Raincoat que Rateliff avait déjà endisquée en 2022 sur l’album Here it Is: A Tribute to Leonard Cohen du mythique réalisateur Larry Klein.

C’est peut-être sur cette pièce qu’il est le plus possible d’apprécier à quel point ce registre vocal plus bas sied finalement à merveille au chanteur qui a pourtant, d’ordinaire, plutôt tendance à s’époumoner.

Rateliff reste confiant, inébranlable, séducteur même, à travers toutes ces chansons beaucoup plus calmes et posées que ce à quoi il a l’habitude. Comme si l’esprit de Cohen avait décidé de venir faire un dernier p’tit tour à la Place des Arts avant de repartir.

Nathaniel se laisse réellement aller pour la première fois sur l’inévitable Hallelujah, à la fin de laquelle il rejoint ses choristes dans les hautes notes.

J’veux pas dire qu’à ce moment-là, c’était à moi de contenir mes émotions, mais…

La chanson se termine. Ovation debout. Sortie de scène du chanteur et du maestro (mais les 43 autres musiciens restent là, donc les plus perspicaces d’entre nous devinent qu’un rappel est probable).

Retour sur scène.

« That’s a tough one to follow », de lancer Rateliff. « I guess the only way to go now is with a proper goodbye ».

So Long, Marianne commence. Le braillage suit.

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