La Queens'

Entrevue avec David Boutin pour La Queens’ à La Licorne | La survivance des Franco-Ontariens en jeu

Souriant, détendu, affable, David Boutin ne connaît pas le trac. Même à quelques jours de la première de La Queens’ (ce mardi soir à La Licorne), la plus récente pièce de l’auteur franco-ontarien Jean Marc Dalpé, il s’amène en entrevue avec un calme renversant. Il faut dire qu’il est en terrain connu : c’est lui déjà qui jouait le personnage de Cracked dans le fameux Trick or Treat de Dalpé, dont l’adaptation lui a valu une nomination aux Gémeaux en 2001.

« Connaître l’univers et la langue de Dalpé est un avantage, confirme David Boutin. C’est comme une gymnastique. Il y a une musicalité dans sa façon d’écrire, une rythmique particulière. C’est leur rythme qui fait qu’on embarque tout de suite dans ses pièces. »

La Queens’ est un hôtel du Nord francophone de l’Ontario, dont la propriétaire vient de mourir. Ses deux filles, Marie-Élizabeth (Marie-Thérèse Fortin), une grande pianiste de concert reconnue à l’international qui veut se débarrasser au plus vite de cet héritage comme d’un souvenir honteux, et Sophie (Dominique Quesnel) qui adopte complètement la position inverse, soucieuse de protéger le passé, ses racines et sa culture minoritaire.

 

Un texte qui tombe à point

La pièce, qui a été écrite avant l’arrivée de Doug Ford comme premier ministre de l’Ontario, avec ses prises de positions prématurées anti-francophones, ne le paraît pas. « Jean Marc a écrit sur Facebook un super bon texte là-dessus qui a provoqué beaucoup de réactions, comme quoi les Franco-ontariens ont toujours eu à se battre pour préserver leur identité, dit David Boutin. Avec son opposition soudaine à l’implantation d’une université francophone en Ontario, on sent du mépris de la part de Doug Ford. »

C’est donc une pièce sur l’identité? « Énormément », répond aussitôt le comédien dont le rôle de Marcel est celui d’un entrepreneur louche qui veut mettre la main sur l’hôtel et réveiller la région pour laquelle on prévoit l’ouverture d’une nouvelle mine, et plein de prospérité à venir.

Le personnage de Marcel fait affaire aussi avec les Autochtones pour se trouver des partenaires. Il cherche à les charmer pour s’en faire des alliés. C’est un magouilleur, un opportuniste très ambitieux qui veut développer le Nord et faire de l’argent.

Le préambule décrit Marcel d’ailleurs comme un personnage comique mais dangereux. « Comique, de par son exubérance de bon vivant, sa volonté de communiquer très vite avec le monde et de les mettre de son bord. Dangereux? On comprend que Marcel et ses deux frères sont impliqués dans des trucs à la limite de la légalité, sans qu’on n’apprenne quoi, mais c’est sûr que ces gars-là ne se laisseront pas marcher sur les pieds, et pourraient devenir, disons, inquiétants », commente David Boutin.

* Photo par Suzanne O’Neill.

 

Les sacres à l’honneur

Le langage est cru, les jurons et les sacres ne manquent pas, et les répliques se complètent souvent par des bouts de phrases en anglais. « Les jurons, ça vient avec la façon de parler. Toutes les langues du monde ont leurs sacres, et ici, on trouve en plus du franglais. C’est normal, ils sont dans une mer anglophone, et ils vont utiliser l’anglais pour ajouter plus de force à ce qui est dit. »

David Boutin fait partie des privilégiés qui ont toujours eu du travail depuis qu’il a été diplômé de l’École Nationale de Théâtre. En 23 ans d’une riche et enviable carrière, il a été choyé tout autant par le cinéma et la télévision avec des rôles en or. Dès ses débuts sur scène, il a joué coup sur coup dans trois pièces de Wajdi Mouawad, dont Littoral. Aussi à l’aise dans les grands classiques, il a tenu le rôle-titre du Dom Juan de Molière, et celui de Tybalt du Roméo et Juliette de Shakespeare, toutes deux sous la direction de Martine Beaulne au TNM. Et il a travaillé avec tout ce qui compte de metteurs en scène importants au théâtre ici.

Le présent texte de Jean Marc Dalpé a été développé en résidence d’auteur à La Licorne. David Boutin retrouve à la mise en scène son complice des premiers jours, Fernand Rainville. Et on le verra prochainement dans le film Tu te souviendras de moi d’Éric Tessier, une adaptation de la pièce de François Archambault créée à La Licorne, son théâtre de prédilection, en 2014.

Le trac, donc? Vraiment pas pour lui. « Le trac, ce n’est pas une peur pour moi, ni quoi que ce soit de négatif. C’est plutôt du plaisir. J’ai le goût d’y aller. Après être passés par 125 heures de répétition, on a envie enfin de raconter l’histoire devant un public. »

Il est né à Montréal, et il atteindra bientôt le cap des 50 ans. Qu’est-ce que ça lui fait? « Pour l’instant, rien. Je n’y pense même pas. Peut-être que ce sera différent quand j’y arriverai. C’est un chiffre, ça ne me marque pas plus que ça. Je vis en couple, mais je n’ai pas d’enfant. Pour l’instant, c’est ça. Plus tard, on verra. Je ne sais pas pour l’avenir. En ce moment, je me concentre sur mon travail », conclue David Boutin avec un éclair vif traversant ses yeux pers, et une grande confiance en la vie.

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