Critique | Tu te souviendras de moi au théâtre La Licorne

Alzheimer. Un mot lourd de sens qui effraie, la tristesse résonne lorsqu’on l’entend. Tu te souviendras de moi de François Archambault est tout sauf triste. Avec humour et tendresse, l’auteur raconte telle une fable la progression vers la maladie d’Édouard Beauchemin et les dommages qu’elle causera sur son passage. Une pièce à la fois douce et touchante de laquelle se dégage une tendre sérénité.

La petite histoire

Édouard Beauchemin (Guy Nadon) — professeur d’histoire retraité et personnalité publique — homme au caractère bouillant et au savoir vaste, voit ses souvenirs disparaitre et s’embrouiller dans les brumes de l’oubli. Sa femme Madeleine (Marie-Johanne Tremblay), à ses côtés depuis de nombreuses années, n’en peut plus de s’occuper de son mari malade, à bout de souffle, elle se tournera vers leur fille, Isabelle.

Tu te souviendras de moi - ph S ONeillIsabelle (Marie-Hélène Thibeaut), elle, a trop de travail et trop de souvenirs qu’elle ne veut pas affronter pour s’occuper de son père. Il reviendra donc à son nouveau conjoint Patrick (Claude Despins) de prendre soin de l’homme à la mémoire déficiente et à sa fille Bérénice qui sera une des seules à parvenir à pénétrer la mémoire vacillante d’Édouard.

On aperçoit sur les murs en bois de la maison les traces laissées par de vieux cadres disparus; de ces anciennes toiles ne reste plus qu’un pâle reflet.

À l’image des souvenirs du vieux professeur, on y devine leur présence lointaine dont aujourd’hui on ne peut qu’apercevoir le contour de ces images du passé. Par ce détail tout en subtilité, la scénographie de Patricia Ruel vient appuyer avec délicatesse et poésie le propos de la pièce du temps qui passe et de la peur d’être oublié.

 

Oublier et se faire oublier

La peur d’être oublié se retrouve au centre de la pièce, Édouard craint plus que tout qu’on ne se souvienne plus de lui. Il notera tous ses derniers souvenirs dans son petit carnet noir, ce cahier deviendra un aide-mémoire et fera office de testament, gardien des derniers instants de lucidité de l’homme. Quel est le meilleur moyen de laisser une trace indélébile de nos jours? En se confiant à YouTube! Avec l’aide de la jeune Bérénice, Édouard enregistrera un poignant témoignage qu’il désire laisser derrière lui aux générations futures.

Tu te souviendras de moi - ph S ONeill 04Au-delà des souvenirs qui nous échappent se trouvent ceux qui ne nous quitteront jamais, ceux que même la maladie ne parvient pas à effacer.

Bien malgré lui, le professeur d’histoire obligera sa famille à affronter ces douloureux évènements auxquels on n’échappe pas facilement. Par son effronterie et son langage franc, Bérénice aidera le vieil homme à traverser ce pan de sa vie avec lequel il ne parvient pas à faire la paix. De voir ces deux personnes séparer par l’âge vaincre leurs préjugés et apprendre à s’apprivoiser est des plus attendrissants.

Avec patience et humour, ils parviendront à créer des liens et à contourner l’Alzheimer.

Il n’est pas aussi aisé pour tous les membres de la famille Beauchemin de faire abstraction de cette maladie qui transforme ceux qu’on a aimés. Pour Madeleine, prendre soin de l’homme qu’elle a aimé devient trop exigeant et difficile pour elle.

Quelques moments de lucidité d’Édouard nous permettront d’assister à des déclarations d’amour d’une grande sincérité venant d’un homme qui n’a plus rien à perdre. Alors qu’Isabelle tentera de profiter des derniers moments avec son père, de profiter de l’instant présent… qui de toute façon, sera rapidement oublié. À travers tout ça, Patrick tentera d’amadouer son beau-père avec patience et beaucoup de dérision.

 

Des acteurs impressionnants

Le texte de François Archambault est d’une grande sensibilité et d’une aussi grande intelligence – comme la scène où Patrick se lance dans la célèbre tirade du nez de Cyrano de Bergerac, en version voyage dans l’espace est délectable — et surtout, il est porté par de grands comédiens qui ont su livrer une performance toute en nuance. Marie-Johanne Tremblay, Marie-Hélène Thibeaut, Claude Despins et Emmanuelle Lussier-Martinez (une belle découverte) sont tous vibrants de vérité, jouant habilement avec les nuances.

Tu te souviendras de moi - ph S ONeill[1] 03Impossible de ne pas parler de Guy Nadon, à la fois bouleversant et drôle. Un moment, son Édouard est plein d’humour, malicieux, vif d’esprit et un peu « haïssable » même. Dès l’instant d’après l’homme est désemparé, prisonnier de sa maladie.

Une performance difficile à oublier tant elle est sentie, difficile de rester indifférent devant tant de talent. L’émotion habitait visiblement le comédien, émotion que l’assistance partageait avec lui, lorsqu’il a accepté les nombreux applaudissements de la foule.

Il fait du bien de voir une pièce de théâtre traiter d’un sujet aussi triste que la maladie d’Alzheimer avec autant de légèreté et d’humour. Bien étrangement, c’est assez paisiblement que l’on ressort de la salle, une fois les lumières éteintes. La force de Tu souviendras de moi réside bien sûr dans la qualité du texte et de ses interprètes; et, surtout, dans la finesse de tous ces petits moments parfois cocasses, parfois tristes qui font qu’on ne voit pas le temps filer.

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