crédit photo: Marie-Claire Denis
The Smile

The Smile à la Place Bell | Le magnifique trip de Thom et Jonny

Pour les fans de Radiohead, aller (re)voir The Smile en show équivaut à assister à un concert du Mr. Bungle nouveau pour leurs plus fervents admirateurs: tout en sachant pertinemment qu’il ne vont jouer ni les hits ni tes pièces préférées malheureusement, tu sais pourtant que ça va être excellent.

Comme Radiohead est présentement sur la glace (et qu’on a aucune idée de quand – et si – il ressortira du congélo), se rendre à la Place Bell samedi soir était la chose à faire, pour tout vieux fan se respectant.

Pour celles et ceux ne connaissant ni d’Ève ni d’Adam le nouveau trio de Thom Yorke et Jonny Greenwood (complété du batteur Tom Skinner; ex-Sons of Kemet, Wild Flowers, London Brew…), on pourrait les comparer à une version alternative de Radiohead, qui aurait bifurqué il y a une couple de décennies de sa trajectoire, pour moins donner dans le synthétique que l’organique, voire même plus free jazz alternatif, genre. Sans jamais oublier de flirter avec l’expérimentation de haut niveau et les mélodies aussi recherchées qu’accrocheuses, bien évidemment.

Du coup, ne cherchez pas trop d’électronique à la Idioteque, The Gloaming, 15 Steps et autres Feral, comme The Smile est assez loin du son Yorke en solo (quoi que… on y reviendra). Ici, l’approche est plus robuste et jazzy, mâtiné de prog, limite math-rock, tout en restant dans le même multivers. Il faut dire que le trio est fait de fort polyvalents multiinstrumentistes, et ont semblé prendre solidement leur pied sur toute la durée de la centaine de minutes qu’à duré cet excellent concert.

 

Maudit bon baume au dôme du palindrome

Et si vous vous demandiez de quoi avait l’air la Place Bell, après avoir su qu’on vendait les billets restants à rabais la semaine précédente le concert (avant de carrément les distribuer gratuitement), eh bien sachez que c’était tout de même bien rempli finalement. Fort heureusement, car ç’aurait été un peu honteux que le groupe se produise devant un aréna en forme de gruyère. Et ce, même si on convient que c’était quand même un peu (beaucoup) ambitieux de programmer le groupe dans un si grande salle à peine huit petits mois après leur dernier passage dans le coin (au MTelus à la fin novembre). Et qui plus est, au lendemain de leur passage au Festival d’été de Québec.

Votre scribe est arrivé peu après la fin du premier acte (Robert Stillman, collaborateur de Skinner et The Smile, entre autres), alors les techniciens s’affairaient à compléter la balance de son. C’était avant que, pour nous mettre dans le bon état d’esprit, résonnait tranquillement une musique atonale en mode voyage spatio-temporel, nous téléportant dans une sorte de futur antérieur pour le moins inquiétant. Car pendant les 105 minutes (1h15, plus 30 minutes de rappel, quand même!) que durerait ce trip supersonique, on allait vivre une fort belle introspection, alors qu’on jouerait presqu’en entier A Light for Attracting Attention (à l’exception de la pièce Free in the Knowledge), le seul album du groupe paru en mai 2022, en plus de six nouvelles chansons (deux de plus qu’au MTelus l’an dernier), pour finir avec une pièce assez heavy merci tirée du répertoire solo de Yorke.

En pièces semi-détachées

À l’extrême droite se trouvait la batterie de Skinner, derrière laquelle se trouvait une station incluant clavier, séquenceurs et autres machines. Au centre un peu en retrait, c’était le spot de Greenwood, avec ses multiples pédales et amplificateurs, en plus d’un clavier, pour lui-aussi. Devant à gauche, on avait installé un beau piano droit noir pour Yorke. Et finalement, le trio était justement épaulé au saxophone ici et là de leur compatriote Stillman. Comme sur la toute première chanson, l’hypnotique Pana-Vision, avec l’inquiétant piano et la voix envoûtante (ce falsetto!) de Yorke qui donnait littéralement des frissons dans le dos (et aux poils de nos avant-bras). Tout en donnant le ton à la prestation.

Ensuite, plusieurs techs sont débarqués subito-presto pour rapidement reculer le piano, avant que Yorke ne prenne une guitare et que Greenwood se rend à son clavier pour Speech Bubble. Et encore une fois, la voix aérienne, voire impériale, de Yorke nous donnait un sourire grand comme ça. Et que dire des effets d’éclairages, ici bleutés et formant des horizontales vagues, avant la finale avec Greenwood à la harpe.

Pendant que Greenwood et son technicien s’affairaient à régler des pépins techniques, Yorke tentait tant bien que mal de meubler cette pause imprévue en jammant un peu sur sa guitare, avant ses plutôt cocasses premières prises de parole, accueillies par les éclats de rires du public (lâchant des typiquement british well shit et oh fuckin hell, avant de nous sommer d’aller prendre une tasse de thé pour patienter, le taquin). L’attente en a valu la chandelle car The Opposite suivait, un autre moment fort de la soirée. Par ailleurs, cette aussi dissonante que captivante pièce nous a rappelé le premier album des excellents Battles (même la scéno et les éclairages nous renvoyaient à ceux du clip de la pièce Tonto). De plus, Yorke s’est adonné à sa typique danse en mode asymétrique, qui nous a encore une fois fait sourire.

Ensuite, lors d’un segment bruyant et assez grunge, Yorke est passé aux claviers, pendant que son batteur s’activait sur ses cymbales et que son vieux comparse malmenait un archet sur sa six-cordes, avant qu’on n’enchaine sur la vaporeuse A Hairdryer et ses envolées vocales, qui se chevauchent, qui impressionnent. La suivante, Waving a White Flag, était plus synthétique, le batteur délaissant ses tambours pour aller bidouiller un beat tout en escalier sur ses machines et claviers, avant de retourner battre la cadence.

Suivait la nouvelle-nouvelle pièce Under our Pillow (que le groupe n’avait pas joué au MTelus), un peu dans la même veine que Thin Thing qui serait jouée quelques chansons plus tard. Lorsqu’a commencé l’entrainante et enivrante We Don’t Know What Tomorrow Brings, on savait qu’on vivait un autre moment fort de la soirée. Avec la grosse ligne de basse de Greenwood, Yorke aux enivrants mantras et salves de clavier des plus spatiales. Mention spéciale aux parfaites harmonies vocales de Skinner.

Une autre nouvelle chanson suivait, Colours Fly, avec ses guitares arabisantes, ses éclairages chauds, son beat jazzy et le sax de Stillman, suivie d’une de nos préférées : la minimale et dépouillée Thin Thing, qui est à la fois simple et étourdissante, toute en crescendo frénétique, avec en prime une sporadique voix de robot, gracieuseté d’un Yorke en mode bassiste. Juste après, il troquait la 4-cordes pour une hollow body, afin d’enchainer un pièce encore plus fraîche intitulée Teleharmonic. Mettant en vedette la lancinante guitare mais surtout la céleste voix de Yorke qui transportent, la basse de Greenwood qui enveloppe et les rythmiques complexes de Skinner qui épate. Et le sax est repassé faire un petit tour, avant (pendant? On ne sait plus) l’apaisante Skrting on the Surface.

Et hop, les techs ramenaient le piano en avant pour un autre moment d’intensité, The Same, avec Greenwood au piano et Yorke à la guitare, Skinner s’activant sur les boutons de ses machines, qui pulsent une basse digitale et génèrent toutes sortes de sons issus d’un autre monde (rappelant la musique des jeux vidéo 8-bit). Avec en prime un Yorke dansant, qui gesticule comme un épileptique, rappelant par moment feu Ian Curtis (leader de Joy Division; 1956-1980).

La nouvelle pièce Read the Room précédait la finement excellente The Smoke (une autre favorite), et son petit riff très fun, plutôt relax, avant de clore le segment principal par You Will Never Work in Television Again, sur une note plus rapide, un poil punk, avec Greenwood et Skinner en guise de section rythmique aussi jazz que galoppante, Yorke à la guitare et Stillman au sax.

Rappel musclé pour finir en beauté

Pour le rappel, on avançait le piano pour que Yorke nous émeuve en douceur avec Open the Floodgates, suivie de deux nouvelles chansons, soit l’aérée People on Balconies (qui devient un délire ultra jazzy en mode piano-bar en fin de parcours) et la touffue, tordue et éclectique Bending Hectic (une pièce fleuve de 8 minutes sortie il y a quelques semaines). Lourde et mordante, sa conclusion s’enchainait parfaitement avec le point final du concert, soit la pièce FeelingPulledApartByHorses de Yorke solo circa 2009, fermant la parenthèse en lion, sur une note rapide, punchée et prog, sous un tonnerre d’applaudissement.

On s’y attendait : ou cours de la soirée, à part le bref moment de flottement mentionné plus tôt, Yorke ne s’est adressé à la foule que rarement, sinon pour dire merci en français à plusieurs reprises. Pas de problème, pas besoin de toute façon, leur musique se passe d’introduction ni d’explications. S’il y avait souvent dans sa voix quelques effets (écho, étrange, et cetera), ce n’était non pas pour l’arranger, mais plutôt pour la magnifier, le rendant magistralement géant.

Mais quelle maitrise, des musiciens d’expérience, des vieux pros, qui trippent solide avec leur nouveau band, affranchis de tout le bagage de celui d’avant, donc de jouer ad vitam aeternam les mêmes succès usés à la corde. The Smile, c’est comme un reset, ou après avoir soufflé dans’ cassette, on redémarre une autre machine, et on repart pour un autre trip.

À 22h45, on quittait Laval en planant sur des effluves britanniques, rappelant le meilleur de grands comme Portishead, Neil Cowley (un trio jazz contemporain que vous vous devez d’aller découvrir) et, bien évidemment, Radiohead. Encore!

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