crédit photo: Mathias Benguigui
Orchestre de Paris

L’Orchestre de Paris à la Maison symphonique | La ville lumière retrouve la ville aux cent clochers

Sortez les trompettes, l’Orchestre de Paris est en ville. L’ensemble mené par la sensation finlandaise Klaus Mäkelä a interprété mardi Prélude à l’Après-midi d’un faune de Debussy, le Concerto pour piano no 2 en do mineur de Rachmaninov et L’Oiseau de feu de Stravinsky. Rien que ça. Une soirée maîtrisée et marquante de la part de l’Orchestre, qui n’avait pas foulé les terres du continent nord-américain depuis plus de 20 ans.

Seules quatre villes ont pu se mériter une visite de l’Orchestre de Paris dans le cadre de sa tournée : New York, Boston, Ann Arbor et Montréal.

L’Orchestre débute sa performance avec Prélude à l’Après-midi d’un faune, une pièce typique à la patte du Français derrière la partition et hautement populaire parmi son répertoire. Dur de briser la glace comme tel, mais l’œuvre débute avec une belle entrée de la flûte en solo. La pièce, s’inscrivant dans la lignée de la musique impressionniste, est douce, planante et rêveuse, mais manque peut-être un peu de conviction dans son interprétation . Très loin d’être une mauvaise performance, mais le caractère onirique rappelant une prairie du sud de la France où soucis n’existent pas et laisser-aller est le mot d’ordre, une ambiance si magnifiquement retranscrite par Debussy, ne semble pas être à son apogée aujourd’hui. La pièce ne dure qu’une dizaine de minutes à peine et laisse place à un opus plus costaud signé Sergueï Rachmaninov.

Une mention à l’existence du mode Avion, pour ceux n’étant pas encore familiers avec le concept : disons qu’une sonnerie de téléphone venant chatouiller l’accord final d’une pièce aussi contemplative que Prélude à l’Après-midi d’un faune vient légèrement briser l’écoute attentive de la Maison symphonique.

* Photo par Mathias Benguigui.

Un incontournable

En deuxième lieu, l’Orchestre de Paris sert au public l’immensément populaire Concerto pour piano no 2 en do mineur de Rachmaninov. C’est le virtuose coréen Yunchan Lim, ayant fraîchement fêté ses 20 ans, qui prête ses doigts à l’interprétation de la fameuse œuvre.

Et que vaut-il? Techniquement, c’est superbe, surtout à l’Allegro Scherzando, particulièrement adapté au style du pianiste et qui permet de démontrer l’étendue technique de Lim. Nous avons toutefois eu ici certaines réserves quant à l’interprétation de l’Adagio sostenuto, mouvement romantique et tendre de l’œuvre ayant été repris dans la chanson All by Myself d’Éric Carmen (qui elle, a été reprise par la Céline nationale). Yunchan Lim montre peut-être un visage un peu trop mécanique et « parfait », mis entre guillemets, car cette recherche de la perfection technique prévaut souvent sur la recherche émotionnelle chez les jeunes pianistes, sans que cela ne soit forcément un problème.

* Photo par Mathias Benguigui.

Beethoven disait tout de même : « Jouer une fausse note est insignifiant, jouer sans passion est inacceptable ». Sans tomber dans le cinéma de Lang Lang, un mouvement lent comme l’Adagio sostenuto aurait sûrement pu être un brin plus appréciable sans cette pointe de rigidité. Non dans le visage et les mouvements, cela ne change rien au jeu, seulement dans l’interprétation. Malgré tout, Yunchan Lim est doté d’un immense talent, et la fin de l’œuvre, aux sublimes airs orientaux, confirme les espoirs donnés au plus jeune lauréat de l’histoire du concours international Van-Cliburn pour le reste de sa carrière.

Après la dernière note, Lim se fait acclamer plusieurs minutes, rentre et sort de scène sans cesse, et offre la magnifique Étude op. 10 no 3 de Frédéric Chopin en rappel.

* Photo par Mathias Benguigui.

Sur un plateau d’argent nous est servi en dernier lieu le légendaire Oiseau de feu de Stravinsky, la pièce maîtresse de ce programme chargé. Si Yunchan Lim est un réel phénomène de la musique classique moderne, le chef Klaus Mäkelä l’est tout autant, voire plus. La partition est ample, elle contient du romantique, du mélancolique comme du contemporain, des séquences dissonantes, obsessives, lyriques, solennelles, oppressantes. Mäkelä parvient à tirer le meilleur de ses musiciens, et sait s’adapter aux ambiances et aux énergies aussi drastiquement différentes de cette œuvre avant-gardiste et révolutionnaire. Le danger avec ce genre de partition si populaire et surjouée à travers le monde est qu’elle sera comparée à d’autres versions, et chaque erreur ou chaque passage un peu moins réussi sera davantage remarqué par les mélomanes.

L’Orchestre de Paris s’en sort pourtant admirablement bien, et le second tableau donne la chance au public de constater la puissance pouvant être proposée par l’ensemble, magnifiée par des cuivres plutôt discrets sur les deux autres partitions de la soirée. Le triomphe offert par la Maison symphonique est grandiose et mérité, et l’ensemble invité peut se targuer d’avoir tenu une soirée mémorable à l’aube du printemps.

Dame Nature décide d’envoyer quelques flocons le soir même après la performance, qui accueillent ces Parisiens et qui permettent d’entretenir la vision européenne d’un Québec arctique, l’illusion d’un Québec qui doit encore composer avec la rudesse de l’hiver.

* Photo par Mathias Benguigui.

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