Entrevue avec Barcella | Rendre le monde plus coloré

Alors que quelques flocons de neige commençaient à tomber sur Montréal hier après-midi, Sors-tu.ca a rencontré le chanteur français Barcella. Pour son 2ème passage à Montréal, le jeune artiste était encore émerveillé par les beautés de la ville. Poète, il a parlé de sa carrière, de ses albums et de sa volonté de rendre le monde plus éclatant.

L’écriture dès le plus jeune âge

Si l’on devait accorder un adjectif à Barcella, on lui associerait celui de poète. Autant dans ses chansons que dans la vie de tous les jours, l’artiste français s’exprime avec de belles expressions et métaphores, qui correspondent à son univers.

Cette passion des mots et de la langue française n’est pas née par hasard. En effet la mère de Barcella est professeure de lettres et l’a rapidement initié à la beauté de la langue. « J’ai eu autour de moi une femme qui adorait les mots et la langue française, et qui m’a guidé pour aimer la sonorité et la saveur de la langue française. Je me suis nourris de ça, et puis très petit j’ai mis mon imaginaire au service de l’écriture. »

Dès 8 ans, le chanteur s’est mis à écrire des poèmes, des bandes dessinées. Puis à 12 ans, son père lui a offert une guitare. La musique est donc arrivée très tôt chez Barcella «J’avais deux outils pour mettre mon imagination débordante d’enfant et de jeune adolescent au service de quelque chose de constructif. J’ai commencé à mettre toutes les émotions qui me traversaient en chanson. »

Un nom poétique qui reflète tout ce qu’est Barcella

Barcella est en fait le nom de jeune fille de la mère de Mathieu Ledevèze. L’artiste ne l’a d’ailleurs pas choisi au hasard. « C’est d’origine italienne et ça a une signification particulière : ça veut dire « petite barque ». J’aimais beaucoup l’idée d’une embarcation modeste, artisanale, chargée d’emmener voyager les gens d’un point A à un point B en chanson. » Cette idée d’embarcation correspond à ce que Barcella veut partager en musique, c’est-à-dire la sensibilité. Véritable « éponge émotionnelle » comme il le dit lui-même, l’artiste se sert de toutes ses expériences et voyages pour écrire.

Et le contact avec les gens, le public est une source importante d’inspiration. Barcella a ainsi participé à de nombreux ateliers d’écriture, que ça soit dans des écoles, des prisons, mais aussi avec des malades atteints d’Alzheimer ou des enfants du voyage. Ces nombreuses expériences ont joué un grand rôle pour l’artiste. « Toutes ces rencontres nourrissent un petit carnet de notes, et quand j’ai digéré toutes les émotions j’ai tendance à mettre des mots sur celles-ci. Une chanson comme La symphonie d’Alzheimer sur l’album précédent, c’est exactement ça. J’ai travaillé avec des gens atteints d’Alzheimer, ça m’a touché, et j’en ai fait une chanson. »

Un artiste inclassable qui a su trouver sa propre identité

Dans de nombreuses entrevues et critiques, on retrouve Barcella associé au terme « inclassable ». Il est vrai que l’artiste mélange diverses influences, parfois des choses d’un ancien temps, d’autres styles plus actuels. Souvent comparé à une ribambelle d’artistes, Barcella a fini par imposer son identité. « J’ai 33 ans, je suis né en 81 et j’ai grandi à mi-chemin entre les chansons qu’écoutaient mes parents : Brel, Brassens, Barbara, Bourvil, pour lequel j’ai une tendresse absolue, et en même temps très tôt vers 13-14 ans Oxmo Puccino, Hocus Pocus, dans d’autres courants plus urbains qui réinventaient la langue. » Le mélange des genres fait donc partie de ce qu’est Barcella, de son style.

L’artiste, qui ne s’est jamais déclaré inclassable, est toutefois heureux que lui on attribue cet adjectif. Etant un grand amateur de marche en altitude, Barcella a fait une belle métaphore pour décrire son parcours « Il y a tous ceux qui vont suivre le chemin établi, St Jacques de Compostelle par exemple, et ceux qui vont créer des voies. Sûrement pour arriver au même point culminant mais c’est là qu’on va apprendre des choses. Je fais partie de ces explorateurs-là, j’essaye d’ouvrir des voies, en rencontrant des gens, en voyageant, en me nourrissant de la sensibilité des autres et en ne me refusant absolument rien. »

On peut ainsi retrouver sur le dernier album de l’artiste, Puzzle, un duo avec Leeroy du Saïan Supa Crew sur Chou-Fleur dans un style assez urbain, et également un duo avec Emily Loizeau plus axé sur la chanson française.

Ce côté inclassable se retrouve aussi dans la voix de Barcella, qui a un timbre très particulier. Quand on lui demande s’il a travaillé cela, l’artiste avoue ne l’avoir jamais fait.

Après avoir écrit des chansons, il s’est improvisé chanteur, ce qui finalement lui plaît beaucoup. «D’autres artistes que j’aime beaucoup ont des voix atypiques, c’est ce qui fait qu’on a été retenus par le public. Je pense à Renaud, Vincent Delerm, Souchon… Et dans des formes qui nous appartiennent, on a réussi à créer des espaces qui sont les nôtres. Mais je n’ai aucune prétention par rapport à ça, je ne suis clairement pas un chanteur à voix, je suis plus auteur. »

 

L’écriture comme moyen d’expression

La passion de Barcella pour l’écriture est impressionnante. En 6 ans, il a sorti 3 albums, et dit ne jamais s’arrêter d’écrire. Comparativement à des artistes qui auraient besoin d’être à l’écart pour composer, Barcella fait figure de contraire. « J’écris tout le temps. J’écris par rapport à ce qu’on est en train de se dire, par rapport aux gens que je rencontre et comme je voyage beaucoup, j’ai toujours de l’inspiration. »

Ce qui est certain c’est que Barcella a une facilité pour écrire. Quand on lui demande comment ça se passe pour la composition, il répond : « Quand une mélodie me touche, une fois que je suis seul, je réfléchis à des trucs et d’un coup je trouve une phrase. Dès que j’ai la phrase en 2h j’ai fini d’écrire la chanson. C’est que j’ai digéré l’émotion et que je me fais rattraper par des choses. »

Présenté comme timide dans certains articles, l’artiste rectifie cela en s’attribuant le fait d’être « pudique ». Barcella n’a clairement pas de problème de contact avec les autres, mais a tendance à cacher une grande part de ce qu’il ressent. « Si on considère la timidité comme une réserve qui t’empêche d’aller vers les autres, non je ne suis pas timide. Je suis pudique par contre, je vais parler de toutes les choses qui me bouleversent mais il y a énormément de choses que je garde pour moi. Il y a beaucoup de chansons que j’écris qui n’ont aucune vocation à être sur un disque, j’écris parce que c’est une mécanique qui me sauve. »

 

L’enfance comme moyen d’inspiration

Sur les deux premiers albums de Barcella La Boîte à Musique et Charabia, la nostalgie  était très présente. Sur son 3^ème opus sorti cette semaine au Canada, Barcella semble  avoir passé un cap. Son premier album composé en 2007 contenait des textes écrits dix ans auparavant. Charabia, quant à lui, montrait une vision très enchantée de ce qu’était  l’enfance, de l’insouciance et de l’imagination que l’on avait à cet âge.

Sur Puzzle, Barcella a passé le cap des trente ans et la nostalgie de l’enfance s’est petit à petit éloignée. « Aujourd’hui la vie va vite, le monde  avance, là j’arrive sur autre chose, j’ai 33 ans, le syndrome de Peter Pan étant dépassé,  c’est plus le même regard. Je ne vais pas réécrire l’Âge d’or mais plus l’Ile au trésor,  je traite toujours de l’enfance mais avec mes yeux de père. » Un changement donc, même si  Barcella avoue que la famille est un idéal auquel il ne peut pas goûter pour l’instant, étant  la plupart du temps en tournée.

Sur ce dernier album toutefois, l’artiste a fait participer une chorale d’enfants sur 2 chansons Soleil et Sur la Route. L’enfance est d’ailleurs une grande source d’inspiration pour le chanteur. «Je pense que l’imagination débordante et la maladresse de l’enfance sont des vecteurs poétiques incontournables. D’ailleurs énormément d’auteurs te diront que l’enjeu pour un artiste c’est de devenir adulte sans perdre son âme d’enfant. Il faut rester un enfant dans l’âme et s’appliquer aussi à vivre avec des responsabilités. J’aime l’idée de l’enfant qui voit une fabrique à nuages à la place d’une centrale nucléaire. »

Poésie, imagination, et aussi un côté « solaire » dans la façon de voir les choses.

 

Rendre le monde plus coloré

Tout au long de l’entrevue, Barcella a souvent répété les mêmes mots, qui le décrivent bien d’ailleurs : « sensibilité, curiosité, artisanat, soleil, poésie ».

Utilisant souvent l’humour dans ses chansons pour rendre les choses plus colorées, Barcella n’hésite par exemple pas à raconter cyniquement dans Le Suicide toutes les tentatives ratées d’un homme  pour mettre fin à ses jours. « J’espère qu’elle [la chanson Le Suicide] sera remboursée par la Sécurité Sociale un jour, je rappelle que le rire pour moi est la première soupape par rapport à la cruauté du monde. Je préfère y mettre des mots et du rire, plutôt qu’une colère contre moi-même. Il y a quelque chose de très thérapeutique dans l’écriture. »

Barcella évoque ainsi son admiration pour Bourvil, qui passait la plupart de son temps à faire rire les gens malgré une grande sensibilité. « Je pense que Bourvil avait une idée assez précise de ce qu’est la cruauté du monde, on était dans l’après-guerre, et pourtant il nourrissait moins ses chansons de vagues lancinantes. Il a passé toute sa vie à faire des chansons légères : La Tactique du Gendarme, Salade de Fruit… Mais aussi La Tendresse, ou Le P’tit Bal Perdu, et là on est sur quelqu’un qui dévoile une sensibilité remarquable, et je trouve son chemin courageux. »

L’artiste français est donc très admiratif des chanteurs qui réussissent à donner un côté lumineux au monde. Barcella veut d’ailleurs faire de même, et essayer de rendre les choses belles pour donner de l’espoir. « Evidemment le monde est dans une situation délicate et rien ne va dans le bon sens. Soit on continue à le dire et à être spectateur d’un monde qui court à sa perte, soit on s’applique tout de suite, sur les petits espaces de liberté que sont les nôtres, à reconstruire un monde plus coloré et essayer de faire quelque chose de plus solaire. » Tout est dit.