crédit photo: Pierre Langlois
Swans

Swans au National | Cet heureux chaos

Swans, produit pur de la scène underground new-yorkaise du siècle dernier, donnait une performance au National mercredi soir. Deux heures et demie éreintantes à recevoir les expérimentations les plus folles de Michael Gira, défendant avec les autres musiciens les titres de son plus récent album, The Beggar.

Bon, par où commencer. Peut-être en expliquant qu’en décidant de prendre part à un concert de Swans, il ne faut pas sentir une boule dans l’estomac facilement. Michael Gira a vieilli, il est loin d’asséner des coups ou de tirer les cheveux de personnes dans le public comme racontent les plus anciens, mais la brutalité musicale de la formation ne se perd pas pour autant. Chatouillant régulièrement les 110 décibels, il semble nécessaire de prévenir qu’assister à un spectacle comme tel sans une paire de bouchons, c’est une mission suicide (pour les tympans, évidemment). On remarque que les auditeurs moins avertis se couvrent les oreilles des minutes durant, certains quittant même la salle dès le premier morceau.

À rappeler que la formation s’avérait déjà de passage au National deux fois dans la dernière décennie, en 2014 et en 2015.

Le cygne noir

La joyeuse troupe monte sur scène vers 21h, avant de s’accorder quelques secondes dans le silence le plus total, devant un public attentif et friand que la soirée puisse débuter. Le calme avant la tempête.

Assis sur un tabouret en bois à la manière d’un chansonnier d’antan, Gira empoigne sa guitare sèche et commence à gratter le même accord en boucle, signe du début du morceau The Beggar. Sans surprise, la sauce ne monte pas tout de suite, il faut prendre son mal en patience avant que cela ne décolle réellement. Et non quelques instants. L’ouverture du concert de Swans s’étale sur environ vingt minutes, sans explorer énormément d’avenues musicales différentes, le morceau tout de même marqué par des pulsations fortes des instrumentistes pour revigorer le résultat.

Deux choix s’offrent au National cette soirée : soit on rejette complètement les compositions du groupe new-yorkais, ne sachant tirer l’essence propre de cet univers noise singulier. Soit on l’embrasse, on se laisse pleinement s’engouffrer dans cette musique répétitive, lugubre, hypnotisante, on se laisse prendre dans la boucle.

À l’évidence, la foule penche davantage vers la deuxième option, l’attitude générale du public laissant croire que nous avons affaire à des amoureux du groupe et non à des néophytes ayant acheté leur billet au hasard.

Vers la fin de The Beggar, Michael Gira tourne le dos au public et guide le reste de Swans comme un chef-d’orchestre, la main au ciel pendant que les musiciens donnent leur maximum à remplir chaque recoin de la salle de cette brutalité artistique.

Compliqué de croire que ce n’était que le premier morceau.

Si l’apocalypse pouvait résonner

Tandis que Michael et sa bande poursuivent sur The Hanging Man, on reconnaît une ambiance assez particulière au National. Le meneur énonce les paroles de ses morceaux à la manière d’un gourou, les membres du public s’abreuvant religieusement et sans se distraire de chaque mot prononcé. Les membres du groupe se retrouvent entourés du même éclairage rouge orangé durant le concert en entier, alors que la salle ne baisse également pas les lumières du parterre et du balcon. En regardant autour de soi, on aperçoit encore mieux les visages, sans expression, profondément attentifs, ajoutant encore davantage à cette ambiance sectaire installée par Swans.

Quand on se rend compte que le groupe passe parfois plusieurs minutes d’affilée sur le même accord, il n’est pas surprenant de savoir que seuls les trois premiers morceaux interprétés durant la soirée s’étalent sur plus d’une heure. Chacun pourrait être qualifié d’un voyage, d’une aventure en soi : on flirte avec le planant, avant de sombrer dans l’oppressant et pour conclure, ce sentiment de dégoût se fait ressentir, tant la musique proposée tient cet effet de pouvoir pousser l’auditeur dans ses limites.

La chaleur monte dans la salle, à l’image du crescendo malsain perpétué par Gira; celui-ci, bien que statique, se laisse porter par ses propres compositions, semble transcendé par le son Swans.

Après avoir exploré des titres de son plus récent projet, soit No More of This, Ebbing ou The Memorious, Swans conclut cette soirée inqualifiable avec Birthing, vers 23h30.

Gira pose sa guitare, remercie maintes fois le public de s’être déplacé avant de quitter la scène, laissant derrière lui cet heureux chaos figé dans le temps.

Swans ne rejoint pas les masses. On ne verra plus que probablement jamais la formation seulement même à la Place Bell, malgré sa création remontant à il y a de cela 40 ans (le temps de se former un petit bassin, disons). Peut-être que c’est dû à son caractère totalement niché, dur d’accès. Ou d’un autre côté, peut-être que la musique de Swans s’avère simplement trop avant-gardiste. À voir comment ces compositions traverseront la dure épreuve que l’on appelle le temps. À voir si Gira s’éteindra dans l’oubli, ou si l’artiste suivra le chemin d’un Robert Johnson, influence pour une génération entière sans être saisi par sa propre époque.

Consultez notre correspondance philosophique avec le meneur de Swans, tenue quelques jours auparavant.

Patience, mère de toutes les vertus

Norman Westberg, membre de Swans, assurait en solo la première partie de la soirée.

Vers 20h, le musicien ouvre le spectacle dans la même optique que ce qui s’annonçait : lent, et expérimental. Le côté agressif de Swans reste tout de même perdu, on touche davantage au domaine du planant. Westberg gratte doucement sa guitare, sous le même accord électro diffusé. Une nouvelle fois, un silence que les élèves les plus sages même ne sauraient tirer se ressent de la part du public. Après une quarantaine de minutes, l’artiste salue la salle sans parler au micro, débranche sa guitare et quitte la scène.

Grille de chansons

1 – The Beggar

2 – The Hanging Man

3 – Ebbing

4 – The Memorious

5 – Cathedrals of Heaven

6 – No More of This

7 – Leaving Meaning

8 – Cloud of Unknowing

9 – Birthing

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