La Grosse Noirceur

Entrevue avec Olivier Morin pour La grosse noirceur (du Théâtre du futur) | Les trois R : Raconter, Rigoler, Réfléchir

Avec La Grosse Noirceur, Olivier Morin, l’une des trois têtes pensantes du Théâtre du Futur avec Navet Confit et Guillaume Tremblay, nous offre sa vision de la fin de la civilisation, dans laquelle les gens se sauvent pour se rassembler en communautés d’esprits semblables. Que fuient-ils vraiment ? Sauront-ils vivre loin des autres ? Revivre en société est-il possible ? Ce sont les questions qui trouveront – peut-être une réponse.

Après – entre autres – La Vague parfaite, Les Secrets de la Vérité et Le Clone est triste, la troupe continue de nous mettre face à nos travers, nos enjeux sociétaux inaboutis et les conséquences de nos actes plus ou moins réfléchis. Dans La Grosse Noirceur, librement inspirée de leur offrande virtuelle et pandémique, La Colère des doux (disponible en ligne jusqu’au 30 juin 2022), les gaillards savourent leurs retrouvailles avec le public, au point de le transformer en personnage principal de cette fable douce-amère, dans laquelle l’humanité se divise pour mieux se séparer.

Alors La Grosse Noirceur, est-ce que c’est :

a) une prémonition angoissante

b) Une anticipation épeurante

ou c) Une fiction dérangeante ?

Seul le Théâtre du futur nous le dira !

Charleyne Bachraty : La Grosse Noirceur découle logiquement de La Colère des doux. Diriez-vous que c’est « juste » une transposition scénique ou bien avez-vous dû adapter l’histoire ou le propos pour cette transition ?

Olivier Morin : Toutes ces réponses ! La Colère des doux a été fait pendant la pandémie. On s’est dit « Bah si on est pour pas avoir de public… ». Mais en même temps, pendant l’écriture, on avait en tête l’idée de la jouer. Les supports sont très différents – virtuel contre réel – et on voulait vraiment que La Grosse Noirceur devienne un show en soi, quelque chose de singulier. En plus, c’est vous, toi, moi qui sommes les personnages principaux, donc ça raconte autre chose. On avait des contraintes au départ, qu’on a fait évoluer pour mettre le monde au centre de l’histoire. On fait participer les gens, on n’est pas des G.O., mais on anime. Et pas besoin de voir La Colère des doux pour embarquer, mais ça nous ferait plaisir que vous le voyiez pareil !

CB : Et quelle est-elle cette histoire ?

OM : La Civilisation s’écroule, et c’est l’éclatement, c’est la catastrophe, c’est un cocktail explosif ! Tout le monde est tendu et ne sait pas comment interagir avec les autres. Les gens sont à fleur de peau, dangereux, sensibles. Le paradoxe, c’est qu’ils ne se demandent pas pourquoi. Ils vont juste se regrouper dans des villages qui leur ressemblent. Ils commencent une sorte de road-trip, et se demandent où est-ce qu’ils vont être bien. Ils doivent réapprendre ce qui constitue l’essence d’une communauté. Et dans chacune de leurs communautés, ils sont supposés penser la même chose. Mais est-ce vraiment mieux quand tout le monde est d’accord ?

CB : Le fait de l’avoir longtemps appelée « Œuvre mystère », était-ce une façon de faire mousser les ventes ou de prendre le temps de consolider le spectacle ?

OM : On s’est effectivement demandé : qu’est-ce qu’on fait avec ce titre ? On voulait respecter l’intégrité de La Colère des doux, qui est une patente web. Pour La Grosse Noirceur, on a bonifié l’histoire, on a développé des trames, on en a laissé tomber d’autres. Il fallait s’en détacher dans une adaptation libre, d’où cette longue réflexion au niveau du titre et la proposition finalement retenue.

CB : Sans voler le punch, comment comptez-vous faire participer le public en tant que personnage principal ?

OM : Un peu comme dans Le Clone est triste, tous les interprètes sont vous. Tout le monde joue tout le monde. On prend la posture du narrateur, donc on peut être un homme, une femme, petit, grand, peu importe. On devient le porte-parole du public en respectant les conventions théâtrales.

* Le Clone est triste (2019). Photo par Josée Lecompte.

CB : À quoi doit s’attendre le public ? À réfléchir sur son existence ? À passer un bon moment, ni plus, ni moins ? À comprendre ce qui est en train de lui arriver ?

OM : Encore une fois, toutes ces réponses ! Parce que rigoler et réfléchir, c’est le mandat de la compagnie. On essaie de sortir des formes conventionnelles du théâtre pour susciter la réflexion. Avec Les Secrets de la vérité, on parlait déjà des complotistes, mais ça n’avait pas encore éclaté ! On n’est ni Nostradamus ni un oiseau de malheur, mais on donne des clés pour amener à l’analyse de notre société et faire le tri. On ne prêche pas les convertis, mais on pince le flanc de nos propres convictions, car ce n’est pas parce qu’on est des gens du théâtre avec un public de théâtre qu’on est tous d’accord !

Avec Le Clone est triste, on était à mi-chemin entre l’hommage et la critique, mais encore là, on soulève des questions : où est-ce que l’on se situe ? Est-ce qu’on est mieux ? Est-ce que cette génération mérite un passe-droit ? Donc, vraiment, on donne des clés pour remuer un peu tout ça… Avec certaines qui ont des klaxons pour rigoler un peu !

CB : Les communautés qui sont créées sont-elles absurdes et clichés – un peu votre marque de fabrique – ou ont-elles au contraire, des traits plus subtils dans lesquels le public pourrait facilement accepter de se reconnaitre ?

OM : On pousse l’exercice de la satire. On regarde une société normale de gens et on a évité de pousser pour avoir d’un côté des véganes prêts à brûler des steaks, et de l’autre des matantes complotistes. Mais on peut quand même avoir des guerriers de la justice sociale. La question, c’est de savoir ce qui se passe quand ces gens se retrouvent uniquement entre eux ? Où sont les autres contre qui ils se battent ? Malgré cette soif de ne pas être en contact, on bénéficie de l’autre, même si on n’est pas d’accord avec lui. S’il n’y a pas d’autres gens, il se passe quoi ? Une mutinerie ?

On met de l’avant ce contresens. Dans l’une de nos communautés, les gens aimeraient repartir dans les années 90, avant l’an 2000 donc, parce qu’ils sont nostalgiques, mais ça vient avec des limites. Dans une autre – très woke – tout le monde veut y aller, mais personne ne peut y aller, car les critères sont stricts !

CB : Justement, pour utiliser un terme à la mode et pas mal brassé dans tous les sens en ce moment, diriez-vous que vos pièces s’inscrivent dans la tendance woke ?

OM : On offre une chose et son contraire. On est le Théâtre du futur, mais on aime le rétro. On est woke, mais on est aussi réactionnaire. Les deux ne sont pas incompatibles et les deux sont pertinents quand il s’agit de faire un spectacle proche du public, ce même public qui a un grand besoin de rigoler et d’exorciser.

CB : Et les autres projets du Théâtre du futur, ils disent quoi ?

OM : Oui, on a d’autres projets, mais c’est pas pour rien qu’on s’appelle comme ça : on ne veut pas être le Théâtre de l’avant-veille et caler des shows trop de bonne heure ! Mais une chose est sûre : on continue d’explorer d’autres choses, comme avec La Colère des doux, dans laquelle on a touché au dessin animé au cinéma expérimental… Dans la forme troubadour, parce qu’on n’a pas une cenne ! (rires)

Détails et billets ici.

Vos commentaires