crédit photo: Okan Caliskan

Protégez-vous, bon dieu!

Je ne fais pas référence ici à la protection de latex qui fait ricaner les adolescents, bien qu’elle soit tout autant essentielle à la préservation de votre santé physique, mais plutôt aux bouchons d’oreilles, et aux chocs auditifs.

J’ai vécu l’année dernière l’un des moments les plus angoissants de ma vie. Me réveillant d’une courte nuit habituelle, à force d’écrire dans l’immédiat à la suite d’un spectacle, le bourdonnement perçu quelques minutes après la performance de The Lemon Twigs le mercredi 10 mai au Ritz PDB m’a suivi jusqu’au matin.

De la peur instantanée, mais surtout, un tas de questions qui se bousculent dans le ciboulot. L’acouphène va se poursuivre et s’installer dans le creux de mes oreilles? Je vais terminer comme mon père et mon frère, traînant avec eux ce fardeau depuis des années? Je dois déjà dire adieu au silence, à seulement 20 ans, je dois déjà faire le deuil du calme à jamais?

Ma rétroaction, guidée par la peur, a été particulièrement payante. Rendez-vous à l’ORL, acupuncture, bouchons sur mesure : ce que vous voulez, j’ai tout tenté pour me soigner. Et petit à petit, ce bourdonnement incessant qui me faisait la vie dure s’est envolé. Non, je ne fais pas le deuil du silence, pas encore.

J’ai eu de la chance, j’en suis reconnaissant, mais je sais que ce n’est pas le cas pour tout le monde.

 

Incommodant

Une étude de Statistique Canada avait rapporté en 2019 que 37% des Canadiens avaient souffert d’acouphènes dans l’année précédente. Et contrairement à la croyance populaire, la majorité de ces personnes étaient de jeunes adultes (46% de la population entre 19 et 29 ans, contre environ 35% des Canadiens âgés de 30 à 75 ans).

Pour cause, les casques d’écoute et les écouteurs, plus utilisés chez les jeunes, qui minent lentement mais sûrement l’audition. Le problème n’est pas de s’en servir, mais plutôt comment s’en servir. Vous voyez, l’alerte sur votre téléphone qui vous suggère de baisser le volume d’une chanson (sur iPhone, en tout cas), l’alerte dont beaucoup se moquent.

Il est vrai qu’il est agréable d’écouter fort sa musique, ça transporte, mais il est vrai aussi qu’il est un peu moins agréable d’essayer de fermer l’œil quand ce tintement incessant vous fredonne la même note aiguë aux oreilles.

Cette fameuse alerte, je l’ignorais également l’année dernière, jusqu’à ce fameux choc auditif, jusqu’à mon acouphène. J’ai depuis activé la fonction « sécurité des écouteurs », limitant le volume de mes écouteurs à 90 dB. Et c’est bien assez.

La naissance d’acouphènes ne se produit généralement pas après un unique choc auditif, bien que quelques secondes d’exposition à peine à 120 dB ou plus sans protection peut entraîner des conséquences irréversibles, mais davantage à l’usure, qui cause une fatigue auditive.

Plus l’exposition est forte, plus il vous faudra réserver du temps pour reposer vos oreilles. Même si cela ne dure que quelques secondes. Je vous laisse un tableau du site Perception-audiologie, qui met en perspective la fatigue auditive causée par les différentes expositions sonores.

Je vous ai déjà parlé de mon frère et de mon père, qui doivent entendre à longueur de journée ce fameux acouphène, mais ce ne sont pas les seuls membres de ma famille à vivre avec cette réalité. Mon oncle, le frère de mon père, était le batteur d’un groupe de rock dans sa jeunesse. Bon, groupe de rock comique et caricatural, un espèce de RBO wallon – en encore plus bête! –, Les Gauff’ au Suc’ (le nom de la joyeuse troupe) ne faisaient pas grimper les décibels en concert comme un AC/DC ou un Metallica. Tout ça pour dire que la première mouture du groupe s’est séparée au début des années 2000 notamment à cause des problèmes d’audition de mon oncle, qui commençaient à se développer dangereusement à force de jouer sans bouchons. Il chérit cette période rocambolesque de sa vie et y repense souvent du haut de sa cinquantaine, mais il traîne encore à ce jour avec lui ce passé dans l’oreille. Il l’a accepté, il s’est adapté, mais il l’entendra tout de même à jamais. Sa définition du silence n’est plus la même.

* Les Gauff’ au Suc’.

L’exemple donné est une histoire qui s’est passée non loin de moi, mais les mésaventures similaires de musiciens populaires sont loin d’être rares : Phil Collins, Brian Johnson (pas très étonnant dans ce cas-là…), Bob Dylan, Eric Clapton, Lara Fabian, Bono, Neil Young. Et souvent le même discours entendu : c’est dur d’en parler.

À la place d’en parler, pourquoi ne pas le chanter. Angèle, qui souffre également d’acouphènes, s’était justement lancé dans cette tâche qu’est celle d’exprimer sa réalité en chanson, de mettre le doigt sur ses émotions en musique. Et elle s’en est très bien sortie. Comme toujours.

Apportez des bouchons aux concerts, protégez-vous, bon dieu.

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