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Igloofest 2015 | Entrevue avec Nicolas Cournoyer

La 9ème édition du festival Igloofest est déjà terminée. Les blocs de glace n’auront pas fondu et les projecteurs n’auront pas gelés mais les oreilles des festivaliers en auront pris encore plein les yeux cette année. La fête aura été belle et enflammée, l’affluence du public témoigne désormais d’une confiance aveugle sur la programmation.

 

Sors-tu.ca a profité de l’occasion pour rencontrer Nicolas Cournoyer, l’un des quatre fondateurs de Piknic Électronik et de l’Igloofest, deux festivals qui rythment à la perfection nos saisons électroniques montréalaises. Discussion avec un passionné avec comme musique d’ambiance la douce mélodie des basses retentissantes sur le site du festival.

Depuis 2003, les amoureux de la fête en plein air s’en donnent à coeur joie tout l’été avec les Piknic Électronik. C’est une jolie réussite!

On voulait décliner et transposer la musique électronique dans d’autres contextes que ceux dans lesquels on la trouve habituellement. Plutôt que d’aller l’écouter seulement au petit matin, on voulait pouvoir offrir la chance d’admirer ces artistes dans des endroits accessibles à tous. Programmer ces prestations dans un cadre totalement différent comme les Piknic Électronik, c’est offrir un événement pour les jeunes, les moins jeunes et les familles. L’événement enregistre une augmentation de sa fréquentation chaque année mais conserve son esprit festif sans être dénaturé et c’est très appréciable.

L’été, ok on comprend… mais l’hiver! Comment est née cette idée folle de créer l’Igloofest?

Au départ c’était juste une blague. Au cours d’une réunion, l’un d’entre nous a lancé une blague: transposer un Piknic en plein hiver. L’idée est en réalité partie du constat de la réussite de cet événement estival pour lequel il y avait une énorme demande pour faire la fête en plein air. Ça nous a fait réfléchir car il y a un vrai besoin pour les gens de sortir en hiver et de s’occuper plutôt que de subir les assauts de la météo. Alors pourquoi pas? À Montréal, on a l’esprit festif et on s’est dit que si on donnait une bonne raison aux gens de faire la fête dehors, ils viendraient. Dès le début, les Montréalais ont embarqué et ça a pris de l’ampleur pour devenir le rendez-vous annuel que c’est aujourd’hui.

Qu’est-ce que vous vous dites quand vous regardez en arrière maintenant?

Le festival a beaucoup évolué depuis sa création. La toute première édition se déroulait sous la forme d’un seul week-end comptant deux soirées. Voyant la popularité de l’événement, le nombre de soirées a augmenté pour atteindre depuis trois ans maintenant douze soirs pour quatre fins de semaine. Une bonne partie de notre public vient pour l’ambiance, la fête et le caractère unique de l’événement plus que pour la programmation. On voulait démocratiser la musique électronique, on a réussi.

Cette année, c’est Gui Boratto qui a lancé la première soirée, c’était un choix pour l’ouverture du festival?

Oui, Gui Boratto a souvent joué pour nous, que ce soit aux Piknic Électronik ou à la Cabane à Sucre Électronique (ndlr: événement depuis arrêté). Il a joué dans toutes les ambiances et sous toutes les températures, c’est une des performances qu’on attendait vraiment le plus. C’est un artiste parfait pour l’ouverture de l’Igloofest parce que sa musique parle à un grand nombre de personnes. On a ça de particulier, de ne pas s’afficher comme un festival de musique électronique pur et dur, plein de gens non spécialistes participent à nos événements juste parce que c’est dansant et festif.

Dans vos événements, il y a toujours deux scènes. En quoi c’est important pour vous?

Certains festivals vont se spécialiser dans un créneau particulier pendant que nous on essaye de ratisser large. On a beaucoup de soirées par événement et en attirant toujours le même genre de monde, les gens finissent par se lasser.

Techno d’un côté ou house de l’autre, proposer deux scènes c’est offrir deux ambiances. On aime penser qu’on est assez hétéroclite sur la programmation pour attirer toutes sortes de gens, de tous les styles et de tous les âges. C’est un peu un microcosmos de Montréal qui vient nous visiter et on ne veut pas perdre ça. Par exemple, les soirées dubstep ne plaisant pas à tout le monde, la deuxième scène, c’est une alternative. Au départ, elle était plus petite et n’offrait pas une audience valable pour les artistes qu’on souhaitait mettre en avant. En créant la scène Vidéotron à l’Igloofest, on est passé d’une capacité de 150 à 700 personnes.

Mais on essaye aussi de prévenir en amont notre public en mettant toujours le programme détaillé de l’événement sur notre site internet qu’on enrichit avec les biographies des artistes et des liens vers leurs écoutes.

Justement, comment définissez-vous la programmation?

Pour une grosse partie, c’est une question de goût. Si on avait voulu il y a longtemps aller dans le commercial, on aurait pu le faire. Les quatre organisateurs que nous sommes sont mélomanes, on écoute toutes sortes de musique, mais certains créneaux électroniques nous siéent moins comme l’EDM (ndlr: Electronic Dance Music, un genre musical principalement dédié aux clubs et discothèques). Il y justement aussi une bulle avec ce style-là et les cachets n’ont plus de sens donc on travaille beaucoup en découverte. Il faut souvent payer entre 50 et 100$ pour aller écouter certains noms de la musique électronique. Nos événements regroupent plusieurs grands artistes mais restent cependant abordables (ndlr: à partir de 15$ pour les Piknic et 25$ sur place pour l’Igloofest) et on tient absolument à garder ça. Si un cachet est trop élevé pour nous permettre de conserver ces billets d’entrées, ça ne nous intéresse pas. On préfèrera se passer des têtes d’affiche et rester accessible au plus grand nombre.

La scène locale est aussi très importante pour nous parce qu’on a bâti les deux festivals là-dessus. Et souvent les gens se surprennent quand on place des artistes qu’ils découvrent. La recette fonctionne si tu fais une bonne sélection.

Et du côté des artistes, comment est reçu l’Igloofest?

Ils tripent dans ce contexte incroyable, en plein hiver le monde est complètement déjanté et ils adorent le côté unique de ce festival. Que ce soient des artistes locaux ou internationaux, chacun prend beaucoup de plaisir à vivre cette expérience. Le bouche-à-oreille est incroyable et c’est de plus en plus facile pour nous d’attirer des talents mais tout le monde n’est pas non plus partant.

Dans cet univers, les mois de janvier et février sont pour beaucoup synonymes de vacances et d’accalmie donc faire un voyage outre-mer seulement pour l’Igloofest ne les intéresse pas, d’autres refusent car ils détestent le froid. À l’opposé, certains tentent l’expérience et n’en reviennent pas de voir 5 à 10 000 personnes les suivre dans leur délire!

Photo de courtoisie par Pété Photographie

Photo de courtoisie par Pété Photographie

Depuis sa première édition, le festival semble avoir pris une ampleur gigantesque en finalement peu de temps. Répondre aux attentes du public, habitué à en recevoir de plus en plus chaque année, n’est pas compliqué?

On a basé notre évolution sur l’achalandage sans vouloir faire trop grand trop vite. On réalise aujourd’hui l’Igloofest avec des prix abordables pour ce type d’événement et la scénographie qu’on a mais c’est vrai que l’installation était bien moindre au départ! Les commanditaires se sont ajoutés au fil du temps et on a choisi d’utiliser cet argent pour amuser les gens et animer le site plutôt que de juste placarder de la pub. Ça donne la possibilité aux festivaliers de jouer sur des shuffleboards, de participer à un hockey-sumo, de glisser sur un toboggan en glace géant…

Dans nos défis, on voulait que les gens arrêtent de chialer contre la météo mais surtout qu’ils retombent en enfance parce qu’avec le temps on s’installe dans le confort de nos vies. Mais on a le droit d’avoir encore du plaisir et de s’amuser dehors, de faire des batailles de boules de neige, de glisser! Se garder le coeur en enfance, c’est ce qui se passe ici et c’est pour ça que les gens capotent. Ils tripent à se griller des guimauves! On est fier, on a le mérite d’avoir mis ça sur pieds, mais en même temps ce sont les festivaliers qui font l’événement. On est chanceux qu’ils embarquent dans notre folie. Par exemple, s’ils ne participaient pas à notre délire de déguisement, l’événement ne serait pas du tout le même!

C’est vrai que le concours de onepiece est devenu un incontournable!

Oui, c’est parti de notre maxime du moment qui était « le ridicule ne tue pas ». On a voulu proposer cette compétition parce que se retrouver l’hiver avec tout son accoutrement habituel n’est pas très fun. On a vu les gens embarquer dès la première année! C’est génial, ça participe tellement à l’interaction sociale. Dans certains événements, tu t’en tiens à ta petite gang, le clivage entre les festivaliers est plutôt marqué mais là les gens vont interagir, se féliciter et se prendre en photos ensemble! Et puis maintenant ce n’est plus juste un onepiece: c’est un défilé de perruques, d’accessoires fluo et de mascottes. C’est Halloween en hiver et un des côtés excentriques de l’Igloofest!

Températures polaires, plein air, milliers de festivaliers, installations gigantesques… C’est loin d’être un événement sans contraintes techniques et pourtant les soirées semblent se dérouler sans embûche.

Effectivement, on dispose d’un espace restreint et gérer les déplacements d’une foule c’est très compliqué. On affiche parfois complet parce qu’on veut garantir une circulation. L’aménagement est le fruit d’un très long travail de réflexion, on fait en sorte que le plancher de danse soit assez grand et que les différentes ambiances du site soient accessibles en tout temps. Le festival prend de l’ampleur d’année en année alors on s’améliore, on propose de nouvelles choses et on agrandit le site.

Mais bien sûr, on est tributaire de la météo. Cette année, il a fait très froid et certains soirs, la pluie a commencé à tomber. Heureusement, elle s’est transformée en neige et la soirée n’en a été que plus magique. Ici, les écarts de températures sont plutôt extrêmes et je me souviens d’une année où il a plu toute la journée jusqu’à 16h avant de se transformer en tempête de neige, on a passé la journée à siphonner l’eau sur le site pour pouvoir accueillir le monde. Mais c’est aussi une question de médias: lorsque la météo annonce un vortex polaire, les gens ont du mal à se préparer mentalement à aller participer à une fête en plein air. On sait d’avance que les gens sortent davantage le samedi mais d’une soirée à l’autre, l’affluence ne réagit pas de la même façon.

Et l’effectif pour gérer tout ce monde représente combien de personnes?

Cette année on est rendu à 570 dans le staff incluant le bureau pour une présence de 270 chaque soir. C’est une grosse logistique. Nous n’avons pas de sous-traitants (excepté les partenaires), ce sont nos employés pour l’entretien, l’accueil, la sécurité, les bars, etc. C’est une manière pour nous de conserver la valeur de l’événement et un esprit de famille malgré les conditions difficiles. Les festivaliers n’ont pas affaire à une compagnie de sécurité dans la répression mais à des membres du staff Igloofest qui prennent du plaisir et qui le répercutent sur les festivaliers.

Organiser un tel événement en plein air sur le Vieux-Port de Montréal entraine forcément des répercussions sur les riverains des alentours.

En effet, c’est pourquoi nous prenons notre cohabitation très au sérieux durant ces quatre week-ends. C’est un travail constant que de ménager leur bien-être: on écoute les plaintes, on va faire des tests de sons chez les gens mais, malheureusement, encore là nous sommes tributaires de la météo. Le premier samedi de cette édition 2015, un vent du sud a emporté le son sur une plus grande distance que d’habitude jusque dans le centre-ville de Montréal. On n’imaginait même pas que ce soit possible.

Monsieur White, président de l’Association Québécoise de la vie nocturne s’est exprimé dans une lettre ouverte sur l’impact de la concurrence déloyale de la présence l’Igloofest sur l’activité économique des acteurs de la nuit à Montréal. Vous et Monsieur Roy, président-directeur général du Regroupement des événements majeurs internationaux, vous êtes défendus.

Bien sûr! Les pôles d’attraction traditionnels sont présentement en éclatement vers des quartiers comme Saint-Henri ou Villeray. Ils s’excentrent et il devient de plus en plus difficile de capter une clientèle. Est-ce que la raison d’une chute de fréquentation en cette période hivernale doit être incombée à notre présence ou au contexte économique? Dans ce coin de la ville, personne ne se plaint d’une baisse d’activité en raison de notre présence, au contraire. L’Igloofest termine autour de minuit, heure à laquelle les gens sortent habituellement.

On encourage grandement nos festivaliers à continuer la fête par le biais de collaborations sur des afters mais aussi en faisant des suggestions de sorties avec des lieux qui ne sont pourtant pas nos partenaires. Bien sûr que l’hiver est un créneau plus difficile pour tout le monde mais si nous avons répondu à un besoin et pris une place qui était inutilisée, on ne vole le business de personne. Chacun est libre de lancer ses initiatives. La réaction du public par rapport à cette attaque est plutôt positive mais je trouve ça dommage qu’on écorche ainsi le festival. Nous sommes dans une économie libérale, libre à tous d’attirer les gens avec de belles promotions.

Et la suite s’annonce comment?

Nos opérations montréalaises (Piknic Électronik et Igloofest) sont stables. On fêtera le 10ème anniversaire de l’Igloofest l’année prochaine donc il y aura forcément quelque chose de particulier pour l’occasion mais pour le moment on travaille beaucoup le développement international.

Les Piknic Électronik sont installés depuis 3 ans à Bracelone et enregistrent une très bonne réponse du public. On attend le retour de Melbourne qui le vit depuis moins d’un mois mais on est confiants. Il est fort possible que dans quelques mois, ce soit une ville en Amérique du Sud qui vibre sous l’événement. Ce concept s’exporte très bien donc on travaille sur une édition à Paris, Madrid et Lisbonne dès l’été prochain. C’est un événement facile à répliquer et on constate une réelle volonté de faire partie de ce réseau.

L’Igloofest est quant à lui moins facile à exporter. Il faut de bons producteurs capables d’avoir les reins assez solides pour mettre en place et gérer cette machine qui demande beaucoup de scénographie. On pourrait éventuellement l’imaginer dans les pays nordiques parce que le concept ne fonctionne pas non plus sans température hivernale. À suivre donc!

 

Pour ceux qui n’auraient encore pas idée de ce qu’est vraiment l’Igloofest, visionnez donc la capsule officielle de l’édition 2015 et tentez de ne pas taper du pied. Tuque, onepiece et chaufferettes rangées avant la reprise du Piknic Électronik cet été dont la programmation sera annoncée le 15 mai prochain. On s’en reparle!

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