Orgueil et préjugés au Théâtre Denise-Pelletier | Une nouvelle adaptation réjouissante de Rébecca Déraspe

Désormais réputée pour ses adaptations modernes de grands classiques de la dramaturgie, Rébecca Déraspe frappe encore avec cette solide réécriture de l’inégalable roman de Jane Austen, Orgueil et Préjugés. Dans une mise en scène truffée de succulents anachronismes, onze interprètes nous gratifient de leur humour le plus fin grâce au texte délectable et à la répartie sans faille des personnages. On n’aurait su rêver mieux comme distribution et comme autrice pour cette reprise carrément parfaite.

Il est rare que je ne trouve rien à relever à une création, mais celle-ci m’a enivré du début à la fin.  Nous retrouvons avec joie la famille Bennet, les parents et soeurs bien connues des fans de Austen, dont la cadette Élizabeth est un esprit libre et entêté à le rester. L’arrivée de Charles Bingley et de son ami Darcy dans le voisinage chamboule le quotidien des soeurs Bennet, car Bingley est un bon parti, célibataire et riche.

S’ensuit l’intrigue habituelle, le bal, Jane qui tombe malade chez Bingley, les échanges venimeux entre Elizabeth et Darcy, l’autre bal, l’arrivée de Collins, le cousin qui doit hériter du domaine des Bennet, la rencontre avec Wickham le soldat malhonnête qui dévergonde la benjamine et finalement, les aveux maladroits de Darcy sur son amour pour Elizabeth. Tout y est, enjolivé d’un phrasé qui, bien qu’inspiré de la langue du 19e siècle, reste beaucoup plus actuel, avec quelques touches queb ici et là, permettant aux presque deux heures de spectacle de passer en un éclair.

* Photo par Victor Lamich.

Rébecca Déraspe a ce génie de faire ressortir les thèmes universels des grandes oeuvres pour nous les servir avec de nouvelles saveurs, de nouveaux éclats plutôt que réchauffé et fade.

La notion de consentement, thème populaire des dernières années, ressort définitivement des comportements d’Elizabeth, autant avec ses soupirants qu’avec les figures d’autorité qui tente de régir sa vie. Miss Bennet a toujours été une figure indépendante et insoumise de la littérature, mais dans les mots de Déraspe, elle sonne moins comme une adolescente capricieuse que comme une femme qui s’affirme, qui ne fait pas de compromis sur les relations humaines.

Cette version du Théâtre Denise-Pelletier en co-production avec Advienne que pourra contraste tout à fait avec l’ère du temps ; un récit plein de promesses, de jeunes coeurs prêts à trouver le bonheur et à résister à l’amertume de l’âge adulte.  La mise en scène de Frédéric Bélanger laisse place à toute l’intelligence des interprètes, qui brillent chacun par de petits moments très humoristiques mais raffinés à la fois. La danse prend une place marquante dans certaines scènes, et la musique de club résolument dance crée une joyeuse disparité entre les costumes guindés du 19e et l’ambiance entre les jeunes.

* Photo par Victor Lamich.

J’ai envie de parler de tous les interprètes tellement chacun se démarque : les parents sont un duo d’enfer, avec une Sandrine Brisson aussi déchaînée qu’à l’habitude et Claude Poissant, dont les rares apparitions sur scène rend la présence d’autant plus marquante, qui rend bien l’opposition des deux personnages avec son flegme et sa répartie. Beaucoup de leurs interventions sont hilarantes et crève-coeur à la fois, car on sent bien que, malgré l’amour qu’ils portent à leurs filles, ils sont dans un mariage de raison.

Les deux protagonistes, Stéphanie Arav et Thomas Derasp-Verge, jouent parfaitement la tension attendue entre les deux, avec des silences éloquents et habités, en plus des répliques assassines qui fusent avec adresse. Les deux soeurs Bennet Caroline Bélanger et Flavie Bourgeois sont adorables et drôles, additionnées de Lamia Benhacine en meilleure amie d’Élizabeth, qui provoque l’hilarité à plusieurs reprises avec son ton pince-sans-rire.

Chez les garçons, Félix Lahaye propose un Bingley un peu naïf et soufflé par son coup de coeur pour Jane ; Maxime Isabelle s’éclate dans le rôle de Collins, avec un vocabulaire surchargé d’anglicismes mal placés et des bulles aux cerveaux absurdes ; Philippe Thibault-Denis tire son épingle du jeu en bellâtre tombeur de filles et manipulateur.

Finalement, Marie-Pier Labrecque démontre encore fois son incroyable polyvalence en incarnant à la fois la jeune soeur superficielle et hautaine de Bingley, et la vieille tante de Darcy, la détestable Lady Catherine de Bourgh, caricaturale pour la rendre plus comique.

Cette pièce insuffle une bouffée d’air en ces temps suffocants où l’on a bien besoin de fiction feel-good, de rire un bon coup, intelligemment et librement.  Il faut amener les jeunes voir cette pièce, car de par la mission d’Advienne que pourra, un soin est apporté à cibler des moments pour les accrocher et leur faire découvrir des oeuvres passées.

Je vous laisse sur une phrase de Rébecca Déraspe à propos de nos fictions :

Les réaffirmer, les raconter, les porter à la scène, les confier aux cœurs nouveaux, c’est pour moi une sorte de résistance.

Orgueil et préjugés est présenté jusqu’au 11 avril au Théâtre Denise-Pelletier à Montréal. Détails et billets par ici.

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Informations techniques

D’après l’œuvre de
JANE AUSTEN

Adaptation
RÉBECCA DÉRASPE

Mise en scène
FRÉDÉRIC BÉLANGER

Coproduction
THÉÂTRE DENISE-PELLETIER et
THÉÂTRE ADVIENNE QUE POURRA

Avec
STÉPHANIE ARAV, CAROLINE BÉLANGER, LAMIA BENHACINE, SANDRINE BISSON, FLAVIE BOURGEOIS, THOMAS DERASP-VERGE, MAXIME ISABELLE, MARIE-PIER LABRECQUE, FÉLIX LAHAYE, CLAUDE POISSANT et PHILIPPE THIBAULT-DENIS

Scénographie
FRANCIS FARLEY-LEMIEUX

Lumières
LETICIA HAMAOUI

Musique
GUSTAFSON

Costumes, maquillages et coiffures
JONATHAN BEAUDOIN

Chorégraphies
YANN ASPIROT