Margie Gillis à Montréal | Rien n’arrête l’électron libre…

C’est une Margie Gillis courageuse qui s’est présentée mardi soir sur la scène de la Maison de la culture du Plateau Mont-Royal, car elle souffre d’une vilaine grippe. Elle n’a pas voulu annuler, par respect pour le public qui la vénère depuis 40 ans et qui était fidèle au rendez-vous. Mais elle a cru bon écourter le spectacle de deux pièces qu’on aurait bien aimé revoir, soit Waltzing Matilda (1978) sur la musique de Tom Waits, et son si bouleversant Broken English (1980) sur une musique de Marianne Faithfull. Deux pièces qui la définissent si bien comme un électron libre de la danse sur le plan international.

Margie Gillis a 62 ans. Peut-être valait-il mieux ne pas le dire, car elle est simplement sans âge aux yeux de ses admirateurs de toujours? Mais, c’est elle qui a voulu marquer ses 40 ans de carrière avec ce spectacle, Florilège, où elle a réuni six chorégraphies qui ont assuré sa pérennité et qu’elle promène dans le cadre du programme Le Conseil des arts de Montréal en tournée. « 40 ans de poèmes chorégraphiques », peut-on lire sous le titre du spectacle.

Son répertoire compte une bonne centaine d’œuvres, incluant ses célèbres solos, des duos, et des collaborations de groupe avec des compagnies réputées. Elle sait, comme les grands artistes de sa trempe, mais aussi personnellement, car elle ne ressemble à personne, elle sait traduire en mouvements les différentes facettes de l’âme humaine.

 

Reconnue de tous

Il ne faut jamais oublier, en évoquant sa singularité, qu’elle a été la première Occidentale en 1979 à être invitée en Chine au lendemain de la révolution culturelle, pour prodiguer ses enseignements et introduire la danse moderne dans un pays en pleine mutation. D’ailleurs, elle  enseigne encore à l’occasion à la prestigieuse Juilliard School de New York. Maintes fois récompensée, elle est connue et adulée aussi bien en Asie, qu’en Inde, en Europe, au Moyen-Orient, et en Amérique du Nord et du Sud.

Mardi soir, donc, portant en tresse ses longs cheveux légendaires, elle a commencé, toujours généreuse d’elle-même sur scène, avec The Little Animal, sur la musique de Eugene Friesen. En 1986, cette chorégraphie s’aventurait dans des sentiers jusque-là inexplorés de la danse moderne. En intro, de sa voix douce et mélodieuse avec son bel accent, Margie Gillis a expliqué qu’il lui avait fallu dix ans de recherche pour en arriver à ce numéro de trois minutes sur l’innocence de l’enfance.

Suivait Bloom (1989) composé à partir d’un texte puissant de James Joyce dont Siobhan McKenna assurait la narration, en parfait synchronisme avec les mouvements saccadés de la danseuse. Joyce avait imaginé sa Molly Bloom vivant une crise existentielle au beau milieu de la nuit, comme coincée dans un manège où tous les éléments de sa vie se mettaient à basculer dans le chaos.

Elle qui le plus souvent a fait « cavalière seule » sur scène, se trouvait ensuite en duo avec Marc Daigle pour un extrait de The Light Between (2013) dont la version originale fait près d’une heure. Fruit d’une collaboration avec des artistes de la danse comme Randal Newman, Paola Styron et Holly Bright, résultat d’un long processus de réflexion sur la nature fondamentale de l’être humain que nous sommes, Margie Gillis portait une robe longue noire satinée dévoilant sa chute de reins avec une sensualité encore probante.

Et pour clore la soirée, une pièce toute récente celle-là, Soul’s Horizon (2015), qu’elle livre avec une grâce infinie vêtue d’une saisissante robe longue rouge, les cheveux dénoués lui tombant jusqu’au bas du dos. La thématique cette fois est le besoin de voir loin, les yeux grand ouverts, une vision claire face à l’éternité. C’est Pierre Lavoie, un complice de création des 30 dernières années, qui signe, tout en nuances, la conception des éclairages.

 

Dialogue entre la jeunesse et la maturité

Dans les notes trouvées dans le programme, la chorégraphe et danseuse dit avoir voulu avec Florilège s’intéresser au « dialogue entre la jeunesse et la maturité », et tout ce qui se trouve entre les deux. Elle questionne la mémoire physique, dans son corps, aussi bien que la passion spirituelle qui garde allumée sa flamme, en écrivant : « Qu’est-ce qui a changé et qu’est-ce qui a subsisté? Quelle est l’âme d’une œuvre? »

On le voit, 40 ans d’acharnement n’ont pas suffi pour Margie Gillis à trouver des réponses à son questionnement. Et c’est tant mieux, car on veut qu’elle continue de danser encore longtemps, pieds nus, crinière en liberté, comme ce qui a fait sa marque, avec sa fragilité aussi de toujours.


* Margie Gillis sera en spectacle le 9 mars à la Salle Félix-Leclerc de Val-d’Or, le 10 mars au Théâtre du Cuivre de Rouyn-Noranda, pour ensuite terminer en beauté sa tournée en revenant à Montréal le 31 mars à la Maison de la culture Marie-Uguay.

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