Le Prince

Le Prince au Théâtre Denise-Pelletier | Le pouvoir, c’est la création!

Invités à créer une oeuvre (très) librement inspirée du Prince de Machiavel, Olivier Morin et Guillaume Tremblay du Théâtre du Futur ont sauté sur l’occasion pour mettre sur pied… un « space opera » rétro-futuriste déjanté! Dans la lignée savoureusement cabotine de leurs œuvres précédentes (Le clone est triste, La grosse noirceur, La colère des doux) mais avec encore plus de moyens, Le Prince puise autant dans les réflexions sur les mécaniques du pouvoir de l’œuvre éponyme du XVIe siècle que dans l’esthétique kitsch de Flash Gordon ou de Star Trek. L’ambitieux et désopilant résultat est présenté du 28 janvier au 22 février 2025 au Théâtre Denise-Pelletier.

Le récit nous projette au « IVe siècle de l’ère post-Google », alors que les humains errent à bord de vaisseaux-entreprises nommés des Globotrons. Ceux-ci portent des noms de franchises commerciales connues : Dollarama, Couche-Tard, Ashton ou encore Yoplait. Et Midi-Six, petit vaisseau innocent au sein duquel un jeune Prince maladroit et peu confiant expérimente sa première journée à la tête de l’entreprise familiale. Il devra rapidement faire face à une tentative d’invasion au cours de laquelle se mettront en mouvement toutes sortes de péripéties liées au pouvoir, au contrôle, à l’idéalisme de la jeunesse et à la civilisation, abordant au passage toutes sortes de notions démocratiques par le biais de personnages loufoques interprétés par Ann-Catherine Choquette, Stéphane Crête, Marie-Claude Guérin, ainsi qu’Olivier Morin et Guillaume Tremblay eux-mêmes.

Le tout est ponctué de jingles exquisément racoleurs signés Navet Confit, éternel complice du Théâtre du Futur. On y retrouve même des petites chorégraphies très TikTok, à des moments pour le moins inattendus.

Flyée comme proposition? En effet. Comme en témoigne la bande-annonce créée par intelligence artificielle avec l’aide de Francis-William Rhéaume :

Initier les jeunes au théâtre par l’absurde et la politique

Les représentations en soirée débuteront ce soir. Il s’agira de la grande première devant public et médias. D’ailleurs, notre collaboratrice Charleyne Bachraty y sera. Critique à venir plus tard cette semaine.

Mais nous avons eu l’occasion d’assister à une avant-première mardi après-midi, en compagnie de quelques groupes scolaires, une pratique courante du côté du Théâtre Denise-Pelletier. À en juger par les rires et l’écoute généralement attentive, la proposition des gars du Théâtre du Futur risque fort de convertir quelques ados au théâtre.

Olivier Morin se rappelle lui-même d’avoir eu la piqûre dans un contexte semblable. « Je me souviens de la première fois que j’étais venu ici à Montréal, au Théâtre Denise-Pelletier, on avait fait un voyage organisé en autobus de Québec, nous raconte Morin. On était venu voir Rhinocéros d’Ionesco. C’était monté par René Richard Cyr, et c’était Alexis Martin qui faisait Béranger. Je me souviens d’avoir trouvé ça cool : il y avait une dimension politique et un côté absurde. Quand tu es ado, le théâtre de l’absurde, c’est pile le bon moment. En tout cas, pour moi, ça avait été un moment marquant et je trouve qu’il y a une boucle qui se boucle ici. »

Morin et Tremblay insistent toutefois que le spectacle a été créé dans la plus pure folie propre au Théâtre du Futur. Les adeptes, adultes ou pas, ne sentiront en rien un effort édulcoré d’adapter le registre à une foule plus jeune, même si la moitié des représentations du Prince seront des représentations scolaires.

L’usage de l’humour absurde n’est par ailleurs pas la seule arme qui permette au Prince de séduire un public étudiant. La réflexion sur le pouvoir, la démocratie, et la dimension politique, mais universelle du propos s’inscrivent dans les préoccupations naturelles de la jeunesse.

Selon Guillaume Tremblay, le personnage de Catalina, porté par Ann-Catherine Choquette, peut particulièrement porter cette vision. « Moi, je l’ai encore en moi, cette affaire-là au cégep où, dès qu’on parle de politique, ça évoque une réaction vive. Les jeunes, quand ils vont à l’école, ils sont confrontés à ça, à des profs qui leur disent « Hey, dans tel pays, il y a telle affaire ». Ils sont baignés là-dedans, puis eux-mêmes sont sous le joug de l’autorité constante, de leurs parents ou autres. À quelque part, ils expérimentent le pouvoir. »

D’autant plus que les propos de la pièce tombent à point à un moment où l’entrée au pouvoir de Donald Trump fascine et inquiète, tout comme les hommes puissants qui l’entourent, à la Elon Musk. « [Le Prince de Machiavel] c’est un traité sur le pouvoir, comment tenir le pouvoir. Puis c’est quoi le pouvoir? Ça peut être plein d’affaires, poursuit Olivier Morin. C’est des écrans de fumée, des shows de boucanes, de la dictature, le rêve socialiste, le dictateur éclairé ; il y a tout ça en même temps qui est dans l’air du temps. C’est juste de le placer au bon endroit dans notre grande courbe Indiana Jones d’aventure. »

En tout, ce sont 6800 étudiants provenant du public scolaire qui verront Le Prince lors de matinées scolaires et/ou en soirée.
Près de 1200 de ces jeunes spectateurs et spectatrices recevront également un atelier en lien avec la pièce avant de venir la voir en salle, puisqu’une médiatrice culturelle donnera 33 ateliers de médiation dans différentes écoles.

Moi, ce que je souhaite, c’est leur faire vivre le plaisir d’être dans une salle de théâtre ensemble, à être complice d’une forme de dissidence, de délinquance artistique, exprime avec vigueur Olivier Morin. Il y a de l’électricité dans l’air, et ça sert à ça, les arts vivants. C’est un mauvais coup qu’on a fait. Puis on place les jeunes complices de cette affaire-là. Au fond, on leur dit : les arts vivants, c’est pour vous que ça se passe. Profitez-en : mangez-en, faites-en, partez un band, écrivez du théâtre!

Le spectacle est une production du Théâtre du Double signe, à Sherbrooke, qui a lancé le défi aux créateurs du Théâtre du Futur de s’attaquer à un classique en le réinventant. La compagnie avait d’ailleurs foulé les planches de la Salle Fred-Barry à quelques reprise par le passé avec des concepts semblables pour les spectacles Une fille en or (Librement inspiré par Les Métamorphoses d’Ovide) ou encore Britannicus Now (Britannicus de Racine).

Le Prince est à l’affiche du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 22 février 2025. Détails et billets par ici.


* Cet article a été produit en collaboration avec le Théâtre Denise-Pelletier.

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