Steve Hackett

Entrevue avec Steve Hackett | Regarder derrière pour mieux avancer

L’ex-guitariste de Genesis, Steve Hackett, a entrepris une tournée qui marque ses quarante ans de carrière en solo, intitulée Acolyte to Wolflight with Genesis Revisited Tour – The Total Experience.  Le spectacle s’arrêtera à Québec le 8 avril, à Montréal le 9, et à Gatineau le 10.  Le spectacle est une rétrospective de la carrière du musicien, de ses débuts avec Genesis en passant par l’ensemble de son oeuvre jusqu’à son plus récent album, Wolflight, lancé l’an dernier.

Sorstu.ca s’est entretenu au téléphone avec Steve Hackett à propos de la tournée actuelle, de son plus récent album et, bien sûr, de Genesis… Mais d’abord, quelques photos du spectacle à Québec, le vendredi 8 avril dernier :


 

SteveHackett2016

Photo par Entourage Talent Associates

Qu’est-ce qui vous a amené à vouloir revisiter l’ensemble de votre carrière avec cette nouvelle tournée, et comment avez-vous choisi les pièces que vous allez jouer?  Cela a dû être assez difficile…

SH: Oui. Je voulais faire une rétrospective, mais je souhaitais également faire en sorte que le public porte le regard vers l’avenir. Je joue plusieurs pièces du nouvel album, Wolflight. Le spectacle va de mes tout débuts à aujourd’hui. Nous fêtons cette année les 40 ans de mon premier album solo, Voyage Of The Acolyte.

Le spectacle se divise en deux parties. Premièrement, nous avons le matériel solo, de 1975 à aujourd’hui, et deuxièmement nous avons la musique de Genesis, des débuts jusqu’à 1975. Je le fais de cette manière pour donner aux gens une idée de ce que je faisais à l’époque, et ce que je fais maintenant.

Bien sûr, il est impossible de créer un spectacle qui montre tout ce que je peux faire, car ma carrière solo comprend tellement de styles différents. Dans un concert de trois heures, c’est impossible. J’ai tenté de donner aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre, pour qu’ils n’aient pas l’impression d’avoir gaspillé leur argent. Je suis toujours à l’écoute du public pour savoir quel serait le set idéal.

Plusieurs personnes ont demandé, par exemple, The Cinema Show de Genesis. Jusqu’à maintenant je ne la jouais jamais, mais je me rends compte que c’est la préférée des gens. C’est également une superbe chanson d’amour, et une pièce qui évolue de manière typiquement progressive.

Je joue également des pièces de l’album Foxtrot, telles que Get ‘Em Out By Friday et Can-Utility And The Coastliners.

Des choix très intéressants… 

SH: Oui, et des pièces que je n’ai pas jouées depuis très longtemps. Dans le cas de Can-Utility, je crois que Genesis ne l’a jouée en concert que 2 ou 3 fois à l’époque, lors d’une tournée italienne. C’est une chanson négligée que j’essaie de faire ressurgir des ténèbres.

J’ai lu quelque part que vous étiez le seul compositeur sur cette pièce, n’est-ce pas?

SH: Oui, je l’ai écrite.

Êtes-vous parfois étonné par les choix du public, lorsque celui-ci dit aimer telle ou telle chanson de Genesis ou de votre carrière solo, par rapport à vos propres chansons préférées?

SH: Oui, j’ai bien sûr ma propre vision de ces chansons, et le public a sa propre réaction. C’est une relation continue que chacun d’entre nous entretient avec ces pièces que nous aimons, mais en fin de compte, à mon avis, le vrai propriétaire des chansons, ce ne sont pas le compositeur ou l’interprète, mais bien le public. Si une chanson demeure vivante dans le cœur et l’esprit du public, elle prend alors une vie indépendante, peu importe ce qu’en pense son créateur.

J’aime toutes ces chansons. Elles avaient toutes quelque chose à offrir, qu’il s’agisse de quelque chose d’intelligent, d’inhabituel, ou du fait qu’elles étaient construites de manière étrange. Ce sont comme des enfants qui ont cinq parents, nous avons contribué à chacune d’elles et y avons mis une partie de notre âme.

Dans le cas de Can-Utility, j’ai écrit la musique et le texte, et la chanson fut développée par le groupe. Les aspects progressifs furent ajoutés par tout le monde, un peu comme dans une course à relais où le coureur passe le bâton au prochain et ainsi de suite. L’énergie que l’on obtient lorsqu’on a cinq compositeurs qui travaillent ensemble peut être très puissante.

Le nouvel album, Wolflight, est un disque très riche, très dense musicalement. A-t-il été difficile de le transposer sur scène, et pensiez-vous à la scène lorsque vous étiez en studio?

SH: Lors de la composition d’une chanson, du moment qu’on est un peu ambitieux, on se dit: « Je veux créer la chanson ultime ». Je ne veux pas trop me restreindre en pensant à la manière de la jouer sur scène. De plus, lors de l’enregistrement, avec les studios de nos jours, nous ne sommes plus limités par le nombre de pistes disponibles. Les ordinateurs ont une mémoire illimitée.

Quand je travaille avec Roger King, il lui arrive souvent de me faire remarquer que nous en sommes à deux cents pistes pour une seule chanson!  Cela arrive tout le temps! C’est à ce moment que je me dis: « Ok, j’aurai cinq musiciens avec moi sur scène, comment vais-je faire pour reproduire tout cela? »  Avec les claviers aujourd’hui, il est possible de faire beaucoup de choses.

En gros, on ramène la pièce à ses éléments essentiels. Un peu comme lorsqu’on cuisine un plat et qu’on se dit: « Quels ingrédients pourrais-je enlever sans que ceux-ci ne manquent à qui que ce soit? ».

Vous mentionniez il y a quelques instants l’aspect « communautaire » de la création dans Genesis. Quel genre de liberté créative vos musiciens actuels ont-ils eue en studio lors de la composition des morceaux de Wolflight?

SH: Eh bien, par exemple, lorsque je travaillais sur la pièce titre avec Malik Mansurov, originaire de l’Azerbaïdjan, ce que j’aimais le plus c’était de l’écouter jouer du târ par lui-même. C’est de cette manière que la chanson s’ouvre. Et nous l’avons mélangé avec du didgeridoo, enregistré séparément, mais que nous avons mixés ensemble.

Lorsque je travaille avec le groupe principal, je leur donne habituellement leur propre solo. Je travaille de près avec eux, mais je leur laisse habituellement une grande place et une grande flexibilité pour s’exprimer.

Prenez par exemple Rob Townsend, qui joue du duduk sur Corycian Fire. J’avais écrit quelques passages au milieu de la pièce, que je jouais à la guitare en essayant de la faire sonner comme un duduk, mais je n’y arrivais pas. Et Rob me dit alors: « Je viens tout juste de m’acheter un duduk, sauf que je n’en ai jamais joué. On pourrait essayer ». Il m’a semblé avoir une capacité naturelle à en jouer, et nous avons fini par garder le son du duduk avec celui du Ebow, s’échangeant chacun des phrases musicales, tous les deux produisant un son qui semblait venir du même instrument. C’est une très belle chanson, une dont je suis très fier.

Je crois que tout ceci repose sur l’influence des pays que j’ai visités. On peut entendre à plusieurs endroits des styles musicaux qui n’ont rien à voir avec ce que l’Occident produit, comme de l’oud arabe au Maroc, par exemple. Ou encore en Hongrie, qui selon moi est une sorte de croisée des chemins de toutes ces influences, au beau milieu de l’Europe. Des influences qui viennent parfois de l’Est, mais parfois aussi des États-Unis, par le biais de musiciens de jazz américains. Ou encore des musiciens gitans. Je trouve cela fascinant de regrouper tous ces gens et de les écouter.

Je crois que si l’on ne comprend pas la musique que quelqu’un est en train de jouer, il faut s’immerger totalement dans son univers musical et de le laisser faire ce qu’il fait de mieux. Il ne faut pas essayer de lui imposer une direction. Il faut développer une attitude passive pour déclencher des réactions en chaîne. Être ouvert, flexible, et permettre quelques fois des erreurs de se produire.

Si l’on veut vivre une vraie aventure musicale, en tant que musicien, compositeur, etc., il faut tout d’abord admettre que l’on ne connaît pas tout soi-même, et être ouvert aux idées des autres. Il faut être, en quelque sorte, un explorateur et un archéologue. Porter le regard vers le passé et tout autour du monde. Et se familiariser avec l’inconnu.

Un album comme celui-ci est, en quelque sorte, la somme de rencontres, de voyages et d’expériences. Je crois que l’on peut affirmer sans aucun doute que vous n’auriez pas pu faire ce disque au tout début de votre carrière.

SH: Oh non, je n’aurais pas pu. Vous avez tout à fait raison.

En spectacle, Genesis était très théâtral, dû aux costumes et au jeu unique de Peter Gabriel. Il y a également quelque chose de très théâtral dans ce que Nad Sylvan fait lors de vos concerts. Je sais que Phil Collins a déjà affirmé que l’aspect théâtral dans Genesis ne lui plaisait pas. Quelle est votre opinion de tout ceci?

SH: Avec le genre de presse que l’on retrouvait à l’époque, nous avions besoin de quelque chose qui ferait jaser. Peu importe à quel point la musique ait été géniale ou que les musiciens aient été talentueux, ou pas, il fallait quelque chose pour attirer le regard des médias.

Je n’avais aucune idée, lorsque je me suis joint à Genesis, que Pete (n.d.l.r.: Peter Gabriel) avait ce désir de théâtralité. Mais ça a aidé les ventes, ça a aidé à raconter les histoires, ça a certainement aidé au niveau des photographies. Il est plus facile d’écrire à propos d’un chanteur qui se présente sur scène avec la tête d’un renard et une robe rouge que de discuter des changements d’accords et les menus détails de la musique. C’est quelque chose de tangible, de physique. Et Pete était extrêmement charismatique et doué pour ce genre de choses.

Ça nous a permis également de mêler les genres, non pas seulement musicaux, mais également le théâtre, la pantomime, la comédie, et de permettre la représentation visuelle des histoires que les chansons racontaient.

Et je crois que Nad Sylvan fait un excellent travail dans vos spectacles.

SH: C’est tout à fait vrai. Nad possède un look unique, une superbe voix. Il vit les chansons. Il a toujours été un très grand admirateur de Genesis et, non seulement il chante très bien les pièces de Peter Gabriel et celles de Phil Collins, mais nous faisons également une chanson que j’ai écrite pour Richie Havens, et il la chante de façon admirable. Il est un vrai caméléon.

Il vient de lancer son propre album solo sur lequel tout le groupe a joué, et je suis très heureux que le public l’accepte et voit à quel point c’est un interprète charismatique et talentueux.

L’an dernier, une nouvelle version de votre pièce instrumentale Spectral Mornings a été lancée pour une œuvre de charité, avec des paroles écrites par David Longdon de Big Big Train, et chantées en duo par Longdon et Christina Booth du groupe Magenta. Qu’avez-vous pensé de cette version, et est-ce que les paroles correspondent à votre vision de cette pièce musicale?

SH: Lorsque j’ai imaginé la mélodie, à l’origine, j’ai toujours cru que cet instrumental deviendrait une chanson. Je l’ai jouée devant mon premier groupe, à la fin des années 70, seul à la guitare pour leur donner une idée de la mélodie et ils m’ont dit: « Pourquoi n’en fais-tu pas un instrumental?  Elle fonctionne très bien ainsi. »

Je trouve les paroles très intéressantes, et ils m’ont invité à participer à l’enregistrement. Nous avons changé la tonalité pour que la pièce soit plus facile à chanter. Et bien sûr, l’œuvre de charité pour les victimes de la maladie de Parkinson, me touche beaucoup puisque mon père fut lui-même victime de cette maladie. Spectral Mornings est donc, pour moi, le symbole de la survie spirituelle.

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