Le collectif Lunes réagit à l’absence de parité et diversité dans certains festivals

Melyssa Elmer et Elyze Venne-Deshaies ont mis sur pied le collectif Lunes, en 2016. L’idée: une série de soirées mettant de l’avant la musique féminine. Le but: répondre au manque de femmes dans la programmation des festivals cette année-là. Aujourd’hui, ces soirées visent à mettre de l’avant la diversité de genres en général et la diversité culturelle et ethnique à travers l’art, principalement la musique. Entrevue avec Melyssa Elmer au sujets des récents dévoilement de programmations pour l’été 2022.

Le festival sur toutes les lèvres la semaine dernière, c’est le Festi-Plage de Cap Espoir. La programmation de ce festival situé en Gaspésie a été largement critiquée par son manque de diversité: tous les artistes invités étaient des hommes. À noter que le lendemain de notre entrevue, suite au désistement d’Émile Bilodeau et la pluie de critique, l’organisation a annoncé, dans une publication Facebook, qu’elle effectuerait « des ajouts » à sa programmation.

De voir qu’en 2022 on est encore là, que des gens qui ne sont pas du tout conscients des problématiques sont aux rênes de programmations et qu’ils n’ont aucune idée de tout le travail qui est fait [pour promouvoir la diversité], ça montre qu’on est pas encore rendu assez loin. Pourtant c’est le sujet de l’heure, que ce soit en politique ou dans différents milieux artistiques.

« D’un point de vue personnel, je trouve ça plate que toute l’attention soit sur ce seul festival parce qu’il n’est clairement pas le seul problème », nomme toutefois Melyssa Elmer. Elle souligne que d’autres festivals, comme Le FestiVoix de Trois-Rivières, ont très peu de femmes dans leur programmation. « C’est juste que [dans le cas du Festi-Plage] c’est vraiment frappant parce qu’il n’y en a aucune. »

Selon la programmatrice et organisatrice de Lunes, ce manque de diversité n’est pas dû à de la mauvaise foi à proprement dit, mais plutôt à de l’ignorance. Ce seraient plutôt « le manque de diversité dans les radios, le manque d’accessibilité à des plateformes pro-diversité à l’extérieur des centres urbains ».

Sur Facebook toujours, l’organisation du Festi-Plage a répondu aux critiques en expliquant que ni Marie-Mai, ni Roxanne Bruneau n’avaient pu se libérer pour le festival, « que peut-on y faire? ». Le festival aurait essayé « d’avoir des artistes féminines, mais encore faut-il qu’elles soient disponibles pour nos dates et notre événement », pouvait-on lire.

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par LUNES (@lunesmtl)

Selon Mme Elmer, « c’est une insulte par rapport aux efforts qui sont faits par l’industrie, par rapport aux soirées comme les nôtres ». Elle souligne qu’il existe « des initiatives de toutes sortes pour mettre de l’avant la diversité dans les festivals, que ce soit dans l’émergent ou même dans le populaire ».

Elle donne comme exemple le Festif! de Baie-Saint-Paul: « ça fait des années et des années qu’ils portent attention à ça et qu’ils s’assurent que leur programmation soit paritaire ». Selon Melyssa Elmer, la programmation du Festi-Plage ainsi que leur explication invisibilisent les initiatives visant à promouvoir la diversité dans l’art.

« Le but, c’est pas de démolir ce comité de programmation-là, assure cependant Melyssa Elmer, je serai toujours appréciative d’initiatives qui mettent de l’avant le nord ou la région ».

C’est juste qu’il y a un énorme décalage que je m’explique mal entre tout ce qui se passe dans les centres urbains puis cette personne-là qui vient nous dire qu’il y existe seulement deux artistes femmes au Québec.

Selon la coorganisatrice des soirées de Lunes, les radios commerciales ont un grand rôle à jouer dans ce « décalage ».

Sortir de la binarité

Un autre problème avec les programmations de festivals, souligné par Mme Elmer, c’est que si elles incluent des artistes féminines, elles oublient souvent les personnes trans et non binaires.

Je trouve qu’on est rendu là, à parler du manque de diversité au sens large. Qu’il n’y ait pas de personne trans, qu’il n’y ait pas de personnes ou d’hommes qui ne sont pas blancs sur les programmations, c’est une problématique qui est encore là.

Selon la programmatrice, tout le monde doit travailler davantage pour inclure de la diversité « de la couleur de peau et d’origine ». De « retourner à parler de femmes, c’est vraiment un pas en arrière », suggère-t-elle.

Selon elle, il faudrait mettre davantage de réflexion et d’attention pour ne pas avoir des programmations complètement blanches ou binaires. Dans le cas du Festi-Plage, cela dit, « on est complètement ailleurs ».

La mission du collectif Lunes

Le collectif s’est lui aussi buté à la réalisation que sa programmation et communication officielle manquait d’intersectionalité. Malgré avoir été formé dans le but de revendiquer plus d’inclusivité dans les festivals, la direction que prenait les organisatrices dans les premières années « était problématique parce qu’on parlait seulement d’art féminin. On essaye d’être le plus féministe possible. En parlant juste d’art de femmes, ça ne marche pas ».

Au nombre d’une par mois, les soirées sont devenues de plus en plus inclusives et visent maintenant à mettre de l’avant la diversité de genres en général et la diversité culturelle et ethnique.

L’agenda caché, qui l’est pas tant que ça, c’est vraiment de montrer qu’il n’y a aucun problème à faire des programmations diversifiées et qu’il y a des gens en masse pour les combler: on fait un spectacle par mois et on n’a pas de problème à faire des programmations. On se ramasse souvent avec 15 femmes sur scène sans aucun problème.

Mais le chemin vers ce type de programmation est « un travail qui est constant ». Entre les débuts du collectif et maintenant, Melyssa Elmer se rend compte « qu’on a des failles nous aussi. On essaye constamment de s’améliorer et de s’entourer de gens qui peuvent nous aider. Même pour la diversité culturelle, on se retrouve quand même malgré nous a présenter des soirées qui sont presque juste blanches malgré nos efforts ».

C’est il y a environ deux ans que Garance Chartier a souligné ces failles aux deux organisatrices de la soirée. Depuis iel fait partie de l’équipe et aide Melyssa Elmer et Elyze Venne-Deshaies à travailler à « s’assurer que les efforts sont mis dans chaque soirée pour laisser de la place aux diversités de genre ». 

Même dans ce milieu, « on est aux prises avec des stéréotypes », rappelle l’organisatrice. « Les femmes amènent du drame et ne sont pas capable de brancher des amplis », donne-t-elle comme exemple. Elle souligne également que même dans les groupes « frontés par des femmes, elles sont quand même entourées de gars. Nous on veut que les personnes qui participent à nos soirées sachent qu’elles ont pas besoin de trouver un gars pour faire leur solo de guitare », conclut Melyssa Elmer.