crédit photo: Pierre Langlois
Hommage à Françoise Sullivan

Hommage à Françoise Sullivan | Un trésor national vivant

C’est un émouvant hommage à Françoise Sullivan qu’a rendu la Salle Bourgie en présentant une rétrospective de chorégraphies de Françoise Sullivan et sa regrettée amie Françoise Riopelle. L’artiste désormais centenaire assistait de la deuxième rangée au récital de danse et a fait l’honneur, à ceux et celles qui s’étaient déplacés pour l’occasion, de se présenter sur scène en fin de représentation pour s’y faire bercer de chaleureux applaudissements d’admiration. Un moment attendrissant rappelant l’importance de Françoise Sullivan dans le paysage culturel québécois.

Un « trésor national vivant » transcendant le Refus Global

Cet automne lors d’une entrevue à la messe télévisuelle du dimanche soir, Stéphane Aquin, l’actuel directeur général du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), qualifiait Françoise Sullivan de « trésor national vivant ».  Elle est la seule signataire du Refus Global pouvant encore témoigner de l’impact que ce manifeste révolutionnaire a pu avoir sur la vie personnelle et professionnelle de ses signataires.

Plus qu’un simple manifeste artistique, le Refus Global a contribué à l’histoire de la Révolution tranquille en remettant en cause les valeurs traditionnelles et conservatrices de l’époque Duplessis. Ce manifeste publié en 1948 mettait plutôt en valeur des idées progressistes, le droit des femmes, la solidarité des travailleurs et l’émancipation par rapport à « la chose » religieuse. Rappelons qu’à l’époque où propagande et censure étaient encore au programme du gouvernement, s’associer à un tel manifeste n’avait rien d’anodin.

Qui plus est, chose rarissime à l’époque, sept des quinze signataires étaient des femmes.  La parité avant le temps. Par contre, seule Sullivan a bonifié l’ouvrage d’un recueil.  Devenue au fil de décennies une artiste multidisciplinaire, c’est d’abord comme danseuse et chorégraphe qu’elle s’identifie. Dans son recueil La danse et l’espoir elle cite d’ailleurs:

Dans la danse, j’ai trouvé la libération, la réalisation, le bonheur. Toutes choses qui m’ont été refusées dans une vie bourgeoise et petite-bourgeoise.

On décrypte dans ses mots un désir de mouvement, de réforme, d’émancipation. Autant de thématiques que de phares qui ont éclairé sa longue carrière de danseuse, chorégraphe, sculptrice et peintre.

 

La danse et l’espoir

Son recueil La danse et l’espoir éclaire sur sa vision de la danse et trace en quelque sorte les œuvres qui marqueront sa carrière de chorégraphes et qui contribueront à l’essor de la danse moderne. Ses créations novatrices telles que Danses dans la neige chorégraphiée en 1948 ont redéfini la chorégraphie, explorant le lien entre mouvement, espace, environnement et expression artistique. Seules restent des photographies prises par Maurice Perron de cette œuvre improvisée en pleine nature.

Parmi les chorégraphies de Sullivan présentées lors de la rétrospective en son hommage à la Salle Bourgie, il y avait Droit debout, datant de 1973. Cinq danseurs et danseuses ont pris position sur scène et sont restés droits, debout, immobiles pendant que jouait une bande sonore d’époque où on entend Sullivan réciter un texte comme on formule une incantation. Dans ce texte, elle énumère à tour de rôle les parties du corps qui bout à bout constituent la ligne imaginaire qui relie le bout du pied à la tête. Tel un mantra, Sullivan dit périodiquement « Droit debout, sans pensées, sans rêves ». Du tout émanait une sorte de méditation autour du thème de l’immobilisme, celui du corps et de l’esprit, celui du matériel et de l’immatériel.

Dans Dédale,  une chorégraphie de 1947, la danseuse Lila-Mae Talbot se présente seule sur scène et initie discrètement un mouvement d’oscillation avec ses bras. Au rythme de sa respiration, seul son audible, le mouvement d’oscillation prend de plus en plus d’ampleur à l’image d’une balançoire qui prend de plus en plus de hauteur lorsqu’on synchronise parfaitement nos poussées avec sa trajectoire. La force de l’oscillation des bras croit jusqu’à ce que l’énergie cinétique qui s’en dégage soit assez forte pour faire tourner une fois, voire même deux fois, le corps de la danseuse sur lui-même. La respiration, elle, devient de plus en plus bruyante et des petits cris finissent par émerger. Le poids de tout ce chaos a raison de la danseuse qui chute au sol de détresse. À force de courage et de discipline au rythme (encore) des oscillations de ses bras, elle réussit finalement par se redresser et termine la danse en finesse. Avec des yeux contemporains, on y voit une allégorie du dédale de la vie des femmes qui doivent encore en faire souvent trop pour concilier leurs devoirs conjugaux et familiaux avec leurs aspirations personnelles.

L’oeuvre qui m’a semblé la plus ancrée dans notre époque moderne était la toute première, soit Tout autour et dans le fond, une chorégraphie de 1980 de la regrettée Françoise Riopelle. Dans cette chorégraphie sur fond de bruits industriels, les corps de Lila-Mae Talbot et Simon Renaud dansent dans un constant état de déséquilibre, à la frontière d’un gouffre qu’on n’avait pas trop de mal à imaginer. Des sons stridents évoquant l’industrialisation et la surconsommation découlaient cette instabilité des corps, qui récupéraient de très rares moments d’équilibre que lorsqu’ils trouvaient refuge dans l’un et l’autre. Une très belle performance.

Le brûlant feu de la création encore après 80 ans

Après plus de 80 ans de contributions à l’essor culturel québécois, le feu créateur de l’artiste désormais centenaire est toujours fougueux et pertinent. D’ailleurs, le MBAM présente jusqu’au 18 février l’exposition Je laissais les rythmes affluer. Détails et billets par ici.

Programme

  1. Tout autour et dans le fond (1980), chorégraphie de Françoise Riopelle sur une musique de Neil Chotem.
  2. Droit debout (1973), chorégraphie de Françoise Sullivan avec la voix de Françoise Sullivan.
  3. Dualité (1947), chorégraphie de Françoise Sullivan sur une musique de Pierre Mercure.
  4. Femme archaïque (1947), chorégraphie de Françoise Sullivan sur une musique de Pierre Mercure.
  5. Dédale (1947), chorégraphie de Françoise Sullivan.
  6. À tout prendre (1980), chorégraphie de Françoise Sullivan avec l’environnement sonore de Rober Racine.

Interprètes

Musicien: Rober Racine

Danseurs et danseuses: Michèle Febvre, Paul-André Fortier, Ginette Laurin, Manon Levac, Isabelle Poirier, Simon Renaud, Lauren Semeschuk, Daniel Soulières et Lila-Mae Talbot

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