Mudhoney

Entrevue | Mudhoney à Montréal : Discussion avec le chanteur Mark Arm

Le vétéran groupe grunge-punk Mudhoney s’amène à Montréal (1er septembre, au Il Motore) avec un nouvel album en poche : le délicieusement sauvage Vanishing Point, paru en avril. Entretien avec le chanteur (et membre fondateur) Mark Arm, qui nous parle de Pearl Jam, de sa haine envers le chardonay, de son rapport à la scène de Seattle (et du mouvement grunge des années 1990) et de l’étonnante durabilité du groupe.


Sors-tu.ca : Vous avez joué quelques-unes des chansons de Vanishing Point en Europe au printemps dernier. Quelle a été la réaction du public ?

Mark Arm : Ça s’est très bien passé. Nous avons eu beaucoup de plaisir et déjà, les fans semblaient familiers avec les nouvelles chansons. J’imagine que c’est bon signe.

Il s’est écoulé cinq ans entre la parution de ce nouveau disque et le précédent, The Lucky Ones. Il s’agit de la plus grande durée entre deux albums de Mudhoney à date. Qu’est-il arrivé ?

Mudhoney 2013 Band Photo

Rien, justement. (rires)  Ça a été plus difficile de trouver du temps pour pratiquer et composer ces dernières années, en grande partie en raison du déménagement de Steve (Turner, guitariste), qui a quitté Seattle pour aller habiter à Portland, il y a cinq ans. Alors lorsqu’on veut se réunir pour jouer, il doit faire six heures de route aller-retour.

On pratique donc beaucoup moins souvent, et c’est difficile d’établir un momentum, de monter des nouvelles chansons et de préparer un show qui se tient. Mais plusieurs groupes vivent avec cette réalité : Dirty Three et The Bad Seeds, par exemple, sont des groupes dont les membres vivent carrément sur différents continents. Mais ils parviennent à créer de la musique ensemble.

 

Au sujet de The Lucky Ones, Steve mentionnait en entrevue qu’une des différences fondamentales était le fait que tu ne jouais plus de guitare. C’est presque le cas sur Vanishing Point aussi. C’est une approche qui est là pour rester ?

Je joue de la guitare sur quatre chansons du nouvel album. Mais oui, j’aime bien cette approche, ça me ramène à mon début de carrière, avec Green River (NDLR : groupe de Seattle actif de 1984 à 1988, qu’Arm et Turner partageaient notamment avec Stone Gossard et Jeff Ament, qui ont ensuite formé Pearl Jam). Ça ajoute une certaine variété au spectacle aussi : je peux alterner à ma guise.

Le premier extrait de Vanishing Point, I Like It Small, fait l’éloge de la « petitesse », avec l’humour habituel de Mudhoney. C’est tout de même un hymne qui vous ressemble. 

Tout à fait. Du point de vue du fan, je n’ai jamais compris l’intérêt des grands concerts. Quand j’étais jeune, j’ai vu quelques shows en amphithéâtre, mais je me rappelle d’avoir vu Devo dans un petit club en 1980 et ça m’a complètement épaté. À partir de ce moment-là, je n’ai plus jamais voulu voir un show en aréna.

Du point de vue de l’artiste, je comprends l’intérêt : c’est principalement financier. Nous l’avons fait, d’ailleurs, en première partie de certains groupes ou en situations de festivals, mais c’est beaucoup plus difficile d’établir un lien avec l’auditoire lorsque tu ne peux pas les regarder dans le blanc des yeux. Ou du moins percevoir leur silhouette floue.

 

À votre dernier passage à Montréal, d’ailleurs, vous aviez joué deux fois : en première partie de Pearl Jam au Centre Bell, puis à la Sala Rossa le lendemain. 

Oui, je me rappelle bien. C’est complètement différent comme show. Soyons francs : j’ai bien aimé partir en tournée avec Pearl Jam. Mais en toute honnêteté, les fans de Pearl Jam se foutent éperdument du groupe qui joue avant eux. Je ne veux pas faire de généralisation qui pourrait me mettre dans l’embarras, mais ça me semble évident qu’un fan d’un groupe mainstream comme PJ ou U2 (ou peu importe), ça s’intéresse à un nombre limité de choses en matière de musique. C’est le genre de gens qui ne s’achètent que 5 ou 6 albums par année, maximum. Leur intérêt ne dépasse généralement pas cela.


Sur Vanishing Point, la chanson la plus punk s’intitule Chardonnay et s’en prend avec rage au… chardonay. Comment un vin peut-il inspirer autant de haine?

(rires)  C’est pourtant bel et bien un brûlot anti-chardonay. Pitchfork a tenté d’établir une analogie, comme s’il s’agissait d’une métaphore représentant un autre band, ou je ne sais trop quoi. Mais non, c’est bel et bien contre le vin.

Disons simplement qu’on se retrouve souvent à avoir du chardonay cheap dans notre loge et je déteste ça. Je ne sais pas trop comment on en est venu à écrire une chanson là-dessus. Mais bon, à 50 ans, je me suis demandé contre quoi je pouvais me révolter de façon réaliste.  Je ne peux plus m’en prendre à mes parents ou à l’école, je suis bien trop vieux pour ça. Alors j’ai pensé que ce serait drôle d’enguirlander un vin.

 

L’étiquette « grunge » vous colle à la peau, même si vous l’avez longtemps un peu reniée. Mais vous avez tout de même laissé une empreinte importante sur la scène de Seattle. Kurt Cobain, Sonic Youth et plusieurs autres artistes vous ont identifiés comme des précurseurs de leur son…

Oui, mais ce n’est pas que nous. Il y a une multitude bands – dont tu n’as probablement jamais entendu parler – qui ont autant (sinon plus) contribué que nous.

Comme qui ?

Comme Feast, par exemple. Un groupe qui existait à l’époque de Green River, justement. C’est un exemple, mais il y en avait plein d’autres. C’est juste que ce genre de bands, ce n’était pas fait pour durer. C’est d’ailleurs ce que m’étonne de nous : c’est tellement étrange qu’on ait survécu à tout cela.

Comment l’expliques-tu ?

Je crois que c’est notre insidieuse normalité. L’arrivée de Guy (Madisson, bassiste du groupe depuis 2001) y est pour beaucoup aussi. Ça a été une brise fraîche pendant plusieurs années.

Mudhoney 2013 Band PhotoPlusieurs groupes de la scène grunge ont perdu des membres importants aussi…  

C’est sur que pour survivre, ça aide d’être vivant…

Parmi tous les groupes de cette époque, il y a deux survivants, principalement : vous et Pearl Jam. Mais vous avez emprunté des chemins totalement différents : Pearl Jam est devenu un immense groupe qui remplit des stades, alors que vous restés plus près de l’approche punk, le son plus terreux et la distorsion dans le tapis.

Ce qui m’amuse de tout ça, c’est que nous provenons tous des mêmes racines. Stone, Jeff, Steve et moi, nous avions un groupe ensemble, et aujourd’hui, il ne reste que nous, dans des groupes différents.

Je ne sais toujours pas ce qui explique qu’on existe toujours, mais Pearl Jam, eux, c’est leur prudence et leur vision à long terme. J’admire ce qu’ils ont fait : ils ont su naviguer les eaux parfois traîtresses du succès avec beaucoup d’agilité. Au lieu de s’emparer du gros pognon dès le départ, ils se sont protégés. Ils voyaient le potentiel à long terme, et c’est pourquoi ils sont encore là.

On ne peut pas en dire autant de nous. (rires) Personnellement, je planifie aussi bien qu’un chien peut le faire. C’est tout le temps « le moment présent ». En ce sens, nos personnalités (les gars de Pearl Jam et ceux de Mudhoney) divergent beaucoup.

Quel genre de fans retrouvez-vous dans vos concerts ?

Des hommes viriles et élégants, et des femmes attirantes et brillantes. Les meilleurs gens qui soient, quoi.

Non mais au niveau de l’âge : est-ce qu’il y a de jeunes mélomanes qui découvrent Mudhoney ? En fait, ce qu’on cherche à savoir, c’est : êtes-vous enfin vintage ?

Honnêtement, l’éventail d’âges m’étonne toujours. Il y a des vieux fans, c’est certain. Mais oui, nos plus récents albums nous ont attiré quelques nouveaux adeptes, je crois. Nous avons donné un concert extérieur à Seattle le week-end dernier, et c’était le stage dive le plus jeune que j’ai jamais vu, je t’assure.

Que t’inspire Montréal ?  Quels en sont tes meilleurs souvenirs ?

J’ai toujours adoré Montréal. On peut remonter aussi loin que nos concerts aux Foufounes Électriques, dans le temps.

À chaque fois, j’en profite pour trouver un bon deli et m’amuser en ville. Lors de notre passage en 2008, j’avais vu un show assez flyé : un groupe de reprise déjanté qui reprenait l’album Damaged de Black Flag, en intégral, avec une chanteuse qui ne faisait pas plus de 5′ 4″. Je crois que c’était des membres de AIDS Wolf et des Doughboys, quelque chose du genre. C’était incroyable.

(N.D.L.R. : Après vérification, il semblerait que c’était The Sandwiches, un projet parallèle de certains membres d’AIDS Wolf.)

C’est toujours un plaisir d’aller jouer à Montréal et nous avons hâte d’y retourner.

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