L'Opéra de quat'sous

Critique théâtre: L’Opéra de quat’sous à l’Usine C

Brigitte Haentjens s’attaque à un incontournable du répertoire du théâtre musical: L’Opéra de quat’sous, à l’Usine C, jusqu’au au 11 février.  Sur scène, vingt-cinq interprètes donnent vie à la version Haentjens du classique de 1928, écrit par Bertold Brecht et Kurt Weill, dont l’action ne se déroule plus dans les bas-fonds londoniens, mais bien à Montréal en 1939,  à quelques jours de la visite du roi Georges VI, grâce à l’adaptation bien ficelée de Jean Marc Dalpé.  Une production sous la bénédiction brechtienne…

En effet, Haentjens n’a pas entièrement délaissé les indications imposées par le texte lors de la création. « Il m’a bien fallu céder à Brecht, accepter ses contraintes pour être en mesure de les traverser » confie-t-elle.  Le public a droit à des descriptions de scènes, à des numéros de follow spot, à la chute du quatrième mur, mais heureusement pas à des didascalies déclamées ou à de l’animation de foule. C’est sur la note bien grinçante de l’ironie du sort des malheureux que les spectateurs sont bercés tout au long des deux heures trente rapidement écoulées.  Un sujet toujours d’actualité que cet écart entre riches et pauvres, corrompus et honnêtes gens, enveloppe brune et monnaie de la quête…  Le synopsis y est clair : « La duplicité, l’appât du gain, les menaces, les trahisons, les tentatives de corruption s’y repèrent partout, à tous les étages. »  Quelqu’un s’y reconnaît ?

On ne pourrait passer sous silence la part musicale de l’oeuvre, indissociable de l’Opéra.  Cinq musiciens live,  et tous des acteurs qui chantent, sauf pour Kathleen Fortin, qui peut se targuer du titre de chanteuse.  Peu importe, car ce sont ici les mots qui l’emportent haut la main sur la partition.  Quand Jenny (une Céline Bonnier précise et nuancée) s’amène pour sa ballade sur rideau rouge,  on apprécie la légèreté vocale et l’interprétation juste de l’actrice en dessous.  Et même Peachum, interprété par l’adorable Jacques Girard, déclame plus qu’il ne chante, pour le grand plaisir de tous.  Par contre, dans les cas de Mackie (Sébastien Ricard) et Polly (Eve Gadouas), on aurait apprécié une plus grande solidité, une projection plus assurée de la voix, malgré les dissonances, surtout dans les moments de grande intensité dramatique.

Le travail du corps doit aussi être souligné, chorégraphies désarticulées accompagnant souvent chansons ou scènes.  Dans le numéro Ballade du souteneur (Zuhälter-Ballade),  Céline Bonnier impressionne dans l’exécution d’une fresque physique quasi athlétique.  Les moments en groupe sont aussi très réussis, l’effet de choeur revenant à la moindre occasion, profitant ainsi de la présence de tous ces magnifiques interprètes.

De beaux clins d’oeil aux années 50 parsèment ce spectacle qui ne manque pas d’audace, autant par la mise en scène que dans la scénographie et l’interprétation, mais où l’intensité dramatique ne niche que rarement.  Comme quoi vaut mieux en rire qu’en pleurer.

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