Caligula au TNM | Camus X René Richard Cyr : Un triomphe!

Ça commence dans le sang et ça se termine de la même manière, avec l’assassinat par ses sénateurs du jeune empereur romain devenu despotique, Caïus César Caligula, né en l’an 12. Benoît McGinnis, magistral dans le rôle-titre, sous la direction de son allié de toujours (une vingtaine de productions en 15 ans), René Richard Cyr, créent l’événement de l’heure en théâtre.

On a pu le lire partout, c’est Benoît McGinnis qui a eu le flair de demander à Cyr de monter la première pièce d’Albert Camus, tirée de son cycle de l’absurde. Caligula, qui a été créée en 1945 (juste après la Libération de Paris) au Théâtre Hébertot, avec Gérard Philippe dans le rôle du tyran au court règne, ne pouvait trouver un meilleur tandem pour nous faire redécouvrir cette pièce écrite en 1938, par un Camus dans la mi-vingtaine, à l’égal de son personnage central.

Sans qu’il faille parler d’adaptation, René Richard Cyr a choisi de moderniser le texte et son rendu scénique, ne serait-ce que par les costumes de Mérédith Caron qui n’ont plus besoin de la grandeur de la Rome d’alors, et par la scénographie sur deux niveaux génialement conçue par Pierre-Étienne Locas. Le résultat, du tout début de la pièce jusqu’à la fin, est un saisissant acte de bravoure.

Photo par Yves Renaud.

Photo par Yves Renaud.

Chose rare ici (pour des raisons avant tout budgétaires), on retrouve pas moins de 14 comédiens sur la scène du TNM, dont Chantal Baril et Jean-Pierre Chartrand qu’il fait plaisir de revoir. Mais le trio infernal formé par Caligula et ses deux suivants domine, soit Hélicon joué avec aplomb par Éric Bruneau et Caesonia défendue par une Macha Limonchik méconnaissable avec la longue perruque noire qu’a conçue pour elle Rachel Tremblay.

« Ma liberté n’est pas la bonne », dira Caligula dans les mots de Camus, assoiffé d’une grande cruauté envers l’élite impériale depuis la mort de sa sœur Drusilla (Rébecca Vachon) avec qui il entretenait une relation incestueuse. Dès lors, et jusqu’à trois ans plus tard, la folie domine au palais, et des ignominies (torture et exécutions) sont commises à répétition envers ses patriciens, comme si l’empereur ne cherchait plus qu’une seule chose : se faire assassiner.

Photo par Yves Renaud.

Photo par Yves Renaud.

Du grand McGinnis

Benoît McGinnis, le crâne rasé, flottant dans sa chemise ensanglantée, svelte et jeunot autant qu’autoritaire et inquiétant, livre une performance remarquable. Il est complètement absorbé par ce rôle, ô combien difficile, mais livré avec une vérité déconcertante.

On dit que Caligula a voulu faire élire son cheval Incitatus en sénateur, et même consul de Rome. Ses réflexions sur le pouvoir absolu, jusqu’à demander la lune à Hélicon, ne sont pas sans rappeler tous les régimes totalitaires qui sévissent encore sur la planète. « Personne n’est innocent. », « Tout disparait devant la peur. », « Gouverner, c’est voler. », ou encore « Les hommes meurent et ne sont pas heureux. » font partie des répliques massues nous clouant à notre fauteuil.

Éric Bruneau n’aura jamais paru autant à l’aise sur une scène. C’est un comédien dont l’intelligence du jeu vaut d’être soulignée, car il a acquis à force de travail au fil des ans une belle maturité. Alors que Macha Limonchik, avec son rire diabolique, se fait complice du pouvoir despotique tout en maternant le tyran, avec juste le bon dosage.

On voit bien que la direction d’acteurs de René Richard Cyr atteint elle aussi une belle maturité, cette production de 1h45 sans entracte étant extrêmement exigeante, de par le fragile équilibre à instaurer entre l’amour, la mort, la haine, la déraison, le pouvoir, la cruauté et le sens de la vie. La musique originale de Michel Smith, pour ne pas dire environnement sonore, compte pour beaucoup aussi dans cet accomplissement théâtral que l’on peut sans exagérer qualifier de chef-d’oeuvre.

Un franc succès dont l’aura flottait dans l’air puisque des supplémentaires se sont vues ajouter avant même le début des représentations au TNM qui en prend l’habitude sous les choix artistiques avisés de Lorraine Pintal. Du grand théâtre!

Photo par Yves Renaud.

Photo par Yves Renaud.

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