Bluesfest d’Ottawa 2023 – Jour 1 | Voir Shania Twain de très loin (et se laisser divertir par le chaos canadien)

Le Canada aime sa Shania. Et Shania aime son Canada. Annoncées en octobre dernier, les retrouvailles sur les Plaines Lebreton allaient lancer les festivités de l’édition 2023 du Bluesfest d’Ottawa, à quelques coins de rue du bureau de Justin Trudeau, et les billets se sont vendus comme des petits Timbits chauds. Y’avait du monde à messe pour ce spectacle, au final, assez bizarre, drôle et somme toute très divertissant malgré ses défauts évidents.

Cette date en festival à Ottawa s’inscrit dans sa tournée Queen of Me, de l’album du même nom (qui nous a été presque entièrement épargné, Dieu merci). Cette même tournée qui a débuté en avril, s’est arrêtée à Québec et Montréal à la mi-juin, retournera à Québec et Montréal en octobre, et qui, soyons francs, ne semblait pas s’attirer les éloges des critiques.

On raconte qu’elle fait du lipsynch sur plusieurs pièces et fausse sur d’autres.

Son nouveau look et son approche un peu « girl boss à perruque blonde qui renie son âge pour jouer les jeunes starlettes » semble avoir agacé plusieurs fans de la bonne vieille époque de la chanteuse country girl next door qui plaisait tant il y a 25 ans, et lui avait permis de vendre 40 millions (!) d’albums en 1997.

Tout ça est factuellement vrai. Dès son entrée en scène — ou plutôt sa sortie d’une boîte installée près de la foule — on comprend que Shania s’amuse avec un look un peu décalé, qui lui donne des airs de Lady Gaga circa-2015 et qui nous rappelle aussi un peu Caroline Néron en robe de bal.

* Photo par Greg Kolz.

Sur scène, elle a une vibe un peu Marie-Chantal Toupin pompette sur le rosé, avec ses rires nerveux un peu bizarres et ses nombreuses interventions incompréhensibles.

Mais savez-vous quoi?  Ça fait partie du charme.

 

Original pop country girl

Parce que Shania Twain a la cote ces temps-ci, et ça s’explique assez facilement. Vedette féminine de la country pop dans la deuxième moitié des années 1990, elle bénéficie d’un statut un peu vintage dans la mouvance de la new country qui fonctionne très fort en ce moment, et cette propension accrue à célébrer les femmes qui s’affirment, revendiquent leur féminité en force. On reconnaît et célèbre beaucoup plus cette approche aujourd’hui qu’en 1997, admettons.

Alors Shania aurait pu simplement profiter de ce statut d’OG, et jouer la carte nostalgie, répliquer son look d’antan et surfer la vague. Mais elle préfère avoir du fun et faire un peu n’importe quoi. Feel the attraction. Color my hair, do what I dare. Oh-oh-oh, pis tout ça, pour feel free et feel the way I feel.

Et c’est librement n’importe quoi, ce que Shania Twain nous présente sur scène. Du moins, de notre point de vue, admettons-le, un peu éloigné. Il y avait tellement de monde sur les Plaines Lebreton qu’il était pratiquement impossible de circuler sur le site pour se dénicher une place adéquate pour le concert, à moins de s’y installer deux heures d’avance.

Alors on a vu le concert de loin. Très loin. En partie sur des écrans avec la plèbe qui chantait tous ses hits plus fort que la sono. Du bout des pieds, on pouvait voir une Shania minuscule au milieu d’une scénographie un peu débile, avec des animations de fusée qui décolle, de saloons en feu, de chevaux qui sautent par-dessus les musiciens, et même un extraterrestre. Il y avait même un tableau un peu bling bling style casino de l’espace avec des grosses lettres O-N-T-A-R-I-O à un moment.

* Photo par Sean Sisk.

Un fouilli de direction artistique pas très clair, du moins de loin. Mais la plupart de ses fans l’ont aussi vu de loin, alors on juge à partir du même point de vue que tout le monde.

Mais ce chaos a son charme, on le repète. Tout comme les imperfections dans la voix sur les titres plus posés comme From This Moment On et Still The One. Vocalement parlant, elle se faisait souvent sauver par ses deux choristes, extrêmement divertissants à observer.

L’un des deux était un grand homme noir élancé, au corps de gymnaste et à la grâce d’un premier danseur de ballet. Il faisait des backflips à des moments complètement aléatoires, juste parce que.

Le deuxième était plus bedonnant. Format Alejandro Kirk, disons. Une référence pour les amateurs de baseball qui liraient ce texte. C’est-à-dire personne.

Ce deuxième choriste est un peu moins gracieux, mais non moins confiant. Ses gestes sont toujours un peu off. Grosse vibe Left Shark, ici.

* Photo par Serena Yang.

Leurs chorégraphies sont souvent mal coordonnées. Ça fait changement des spectacles pop rodés au quart de tour. Ici, c’est rodé aux 15 tours, environ. On dirait que chacune des personnes présentes sur scène a sa propre idée de ce que devrait être le spectacle, et fait à sa tête. Il en résulte un sentiment de vrai party, moins militaire que la plupart des grosses productions pop. Bref, comme si une artiste country décidait de s’improviser pop star.

Et tout ça, au fond, n’a aucune espèce d’importance. Parce qu’au final, tout le monde a acheté son billet pour revoir Shania sur scène, et entendre les nombreux hits qui ont marqué une génération : Don’t Be Stupid (You Know I Love You), From This Moment On, (If You’re Not in It for Love) I’m Outta Here!, Any Man of Mine, et bien entendu Man! I Feel Like A Woman! et That Don’t Impress Me Much au rappel.

Souvent, Shania les chantait un peu faussement. Les filles saoules en bottes de cowboys autour de nous aussi. Plus fort qu’elle d’ailleurs.

Le fun était pogné dans la place, pour autant que le fun puisse être pogné dans la Capitale du Canada. Shania portait une robe rouge pour célébrer ses racines de fille de Timmins, en Ontario. Pendant Rock This Country!, un drapeau unifolié se faisait aller sur les écrans, c’était une orgie de canadienneté sans aucune subtilité. Manquait juste quelques castors et des polices montées pour atteindre le niveau « d’auto-dérision canadienne » de l’infâme cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Vancouver.

Le spectacle était parsemé de moments hautement absurdes de la sorte, mais personne n’a jamais exigé de Shania Twain qu’elle verse dans la profondeur et les nuances.

C’est in your face, « Canadian » à l’os, limite cheap et contre toute attente hautement divertissant. To feel the way she feels, à prendre ou à laisser.