crédit photo: Alexandre Cotton
La marée du forgeron

Festival en chanson de Petite-Vallée 2025 – Jour 2 | La Marée du forgeron : le souffle du large au coeur d’un théâtre renaissant

Pour habiter un nouveau lieu, lui transmettre rapidement une âme, rien ne vaut une expérience forte et marquante. C’est ce que le Festival en chanson de Petite-Vallée a compris. Et c’est ce qu’ils ont tenté de faire (et réussi) avec La Marée du forgeron jeudi soir : un grand spectacle collaboratif réunissant une dizaine d’artistes de quatre générations, ayant tous et toutes un lien très étroit avec Petite-Vallée.

Sous la direction artistique de Louis-Jean Cormier et Alan Côté, des artistes aussi établis que Michel Rivard, Marie-Pierre Arthur, Daniel Boucher, Patrice Michaud et Klô Pelgag, côtoyaient « la jeunesse » incarnée par Jeanne Côté, Velours Velours, Sandrine Masse et Luan Larobina.

Ensemble, ils ont pris une semaine en résidence pour créer un spectacle digne de l’inauguration du nouveau Théâtre de la Vieille Forge, un événement à la fois hommage, offrande et renaissance. Plus qu’une série de chansons, ce moment charnière dans l’histoire du village gaspésien s’est déployé comme une grande vague collective brassant mémoire, fierté, poésie et espoir.

« Toute la soirée, vous allez jouer à ç’t’à qui la toune? » previent Louis-Jean Cormier d’entrée de jeu, avertissant le public que les dix artistes allaient se chanter les uns les autres.

Mais pas que.

D’abord, on nous propose une « première partie », qui sera finalement Michel Rivard en personnage de chansonnier débutant et maladroit, qui entonne seul devant un demi-rideau La fabrication des fleurs sauvages, une très belle chanson qu’on ne reconnaîtra du répertoire de personne. À notre compréhension, ce serait en fait une traduction faite par YouTube de The Making of Wildflowers, le titre d’un documentaire dédié à Tom Petty. Faudra creuser pour en savoir plus. Quoi qu’il en soit, c’était une fort jolie mise en bouche.

Le rideau s’ouvre, toute la gang est là et l’accompagne, puis on passe à une autre chanson peu familière : On s’est jamais éteint, chanson qui devient vite le leitmotiv du spectacle. Ce morceau-phare, porté par une interprétation viscérale et chorale, résonnait comme une déclaration de foi dans la permanence du lien entre les gens de Petite-Vallée, entre les artistes et ce lieu mythique, entre les souvenirs et l’avenir. Louis-Jean dira même plus tard – avant de la réinterpréter au rappel – que tous souhaitaient créer une nouvelle chanson originale taillée sur mesure afin qu’elle s’imprègne dans les parois du nouveau lieu et qu’elle l’habite. Très réussie. On souhaite la réentendre.

Puis quand Louis-Jean interpréte Le poète des temps gris de Daniel Boucher, sous le regard reconnaissant de celui-ci derrière lui, on comprend que c’est parti : la fête entre les musiciens qui s’interprètent les uns les autres était lancée.

Klô Pelgag fera l’honneur à Louis-Jean d’interpréter Face au vent avec sensibilité.

Michel Rivard raconte ensuite qu’il connaît Jeanne Côté depuis sa naissance et qu’il se serait même penché au-dessus de son berceau, tel une fée marraine pour lui transmettre la vocation d’auteure-compositrice. « Je me suis dit ce jour-là qu’un jour pas trop lointain, je chanterai surement une de tes chansons », lance-t-il avant d’interpréter son excellent hit accrocheur Y peut mouiller.

La dynamique entre Daniel Boucher et Klô Pelgag est moins tendre, voire un peu bizarre. Il y a entre ces deux-là une genre de tension, un clash de sensibilités artistiques qu’il serait intéressant à explorer. Quoi qu’il en soit, l’interprétation un peu disco et carrée de Comme des rames, a fait lever quelques sourcils, dans le plaisir bien sûr.

Patrice Michaud, lui, pouvait honorer trois de ses collègues présents sur scène d’un seul coup en interprétant Le vent m’appelle par mon prénom, une chanson co-écrite par Louis-Jean Cormier et Michel Rivard pour Marie-Pierre Arthur.

Le quatuor de la jeunesse – appelons-les comme ça! – suivait avec une relecture fort intéressante vaguement brésilienne de Je voudrais voir la mer, avec même un couplet chanté en espagnol de Luan Larobina. Cette chanson emblématique, chantée en chœur avec le public, est devenue l’incantation d’un peuple tourné vers son horizon.

Marie-Pierre Arthur a suivi avec un doublé : sa propre chanson Soeurs avec Klô et Velours Velours, puis Saison des pluies de Patrice Michaud.

Un magnifique medley visait à souligner l’apport des grands disparus, projections à l’appui. Un enregistrement d’un vieil de Sous le ciel de la Gaspésie rehaussé par le choeur du staff du théâtre, Les anges dansent de Gaston Mandeville et Chanter plus fort que la mer, par le directeur du festival et grand manitou de ce renouveau, Alan Côté, ont fait vibrer les murs neufs du théâtre. Ce segment, à la fois festif et spirituel, évoquait les racines profondes du lieu dans la culture gaspésienne.

Le second medley avant le rappel nous laisse un peu plus pantois : on ne comprend pas trop ce qu’ont en commun Ma vie c’est de la marde de Lisa Leblanc, La marche du président de Robert Charlebois (écrite par Gilles Vigneault) et Bonne journée de Philippe Brach mais ça a donné lieu à un mashup digne d’une célébration de la St-Jean, festive mais un peu aléatoire.

En rappel, Louis-Jean et Alan Côté ont eu la brillante idée de saluer à la fois l’apport de Gilles Vigneault à la chanson québécoise et de faire un clin d’oeil aux communautés autochtones en créant une fusion entre Tshishe Manitu et Chanson démodée, une proposition profondément respectueuse, tissée dans le souffle autochtone et la tendresse des chansons québécoises à l’ancienne. Puis est revenue On s’est jamais éteint, comme un serment final, avant que la soirée ne se clôture sur l’éternelle phrase marquante d’Un musicien parmi tant d’autres de Harmonium, pour les raisons qu’on connait…

Après plus de deux heures de plaisir, d’hommages et d’émotion brute, le tout se concluait ainsi avec la foule qui chantait en choeur : « On a mis quelqu’un au monde, on devrait peut-être l’écouter ».

La Marée du forgeron a réussi là où tant d’événements échouent : faire de l’inauguration d’un bâtiment un acte de poésie vivante, et faire d’un spectacle collectif autre chose qu’une enfilade de bons sentiments et de collaborations plaquées.

Imaginé pour souligner la réouverture tant attendue du théâtre détruit par les flammes en 2017, c’était un spectacle nécessaire, habité, enraciné, porté par la ferveur d’un village qui n’a jamais cessé d’y croire. Une soirée portait en elle tout le poids de la reconstruction, mais aussi toute la lumière que la communauté a su rallumer au fil des années. Il fallait donc un souffle puissant pour ouvrir ce nouveau chapitre : c’est exactement ce qu’a offert La Marée du forgeron.

 

Grille de chansons

  1. La fabrication des fleurs sauvages (Michel Rivard)
  2. On s’est jamais éteint
  3. Le poète des temps gris (Louis-Jean Cormier)
  4. Face au vent (Klô Pelgag)
  5. Y peut mouiller (Jeanne Côté)
  6. Comme des rames (Daniel Boucher)
  7. Le vent m’appelle par mon prénom (Patrice Michaud)
  8. Je voudrais voir la mer (Luan Larobina, Velours Velours et autres)
  9. Soeurs (Marie-Pierre Arthur, Velours Velours, Klô Pelgag)
  10. Saison des pluies (Marie-Pierre Arthur)
  11. Un hommage aux disparus : Sous le ciel de la Gaspésie, Les anges dansent, Chanter plus fort que la mer
  12. Medley : Ma vie c’est de la marde, La marche du président, Bonne journée

Rappel

Tshishe Manitu / Chanson démodée (avec le choeur du staff du théâtre)
On s’est jamais éteint
Un musicien parmi tant d’autres

Événements à venir

Vos commentaires