Saison 2018-2019 Du Théâtre Prospero | Oser La Différence Et Les Découvertes Artistiques

La prochaine saison sera la huitième de Carmen Jolin à la direction du Prospero, rue Ontario Est, qu’elle anime toujours avec la même hardiesse dans ses choix artistiques. Pas moins de 11 spectacles seront présentés dans les deux salles de ce théâtre si essentiel qui continue de défendre avec une admirable vigueur son rôle de défricheur de paroles contemporaines, souvent étrangères, donnant lieu à des découvertes déterminantes que Carmen Jolin appelle avec justesse « un théâtre différent ».

L’année qui se termine aura été difficile financièrement pour le Prospero, mais voilà que l’apport du Conseil des Arts du Canada et l’engagement significatif de Québecor viennent consolider son budget de fonctionnement, sans que la direction ait à faire des concessions déchirantes sur le plan artistique, et lui permettent de mieux respirer. « La gestion demande beaucoup de temps que je n’ai pas pour lire de nouvelles pièces. Nous avons toujours été de bons gestionnaires, nous n’avons jamais creusé de déficit, mais là, nous étions sur le point de devoir le faire », affirme avec un grand soupir de soulagement Carmen Jolin.

Ainsi, la saison débutera en septembre avec Écoutez nos défaites END, une adaptation par Agathe Bioulès et Laurent Gaudé du roman de ce dernier, avec Roland Auzet à la conception, la mise en scène et la musique. C’est le trop rare comédien Gabriel Arcand, l’âme du Groupe de la Veillée depuis plus de 30 ans, qui jouera en duo avec l’acteur français Thibault Vinçon.

« Laurent Gaudé, disait Gabriel Arcand, est un écrivain fabuleux qui a déjà eu le Goncourt. C’est la première fois qu’il accepte de voir l’un de ses romans adapté au théâtre. Il a accepté parce que Roland Auzet est un ami proche. Le roman fait 500 pages, c’est colossal! La langue, l’écriture est tellement touffue que le texte est difficile à apprendre.

« C’est une chasse à l’homme entre deux tueurs, continue Gabriel Arcand, avec de longs monologues sur les désastres de la guerre, comme le dirait Goya, sur ce que la guerre engendre de séquelles psychologiques autant chez les vainqueurs que les vaincus. C’est un texte formidable pour un acteur. » Après le Prospero d’ailleurs, la production partira en tournée au Canada et en Europe.

* Gabriel Arcand et Laurent Gaudé. Photo par Hugo B. Lefort.

Avec la ferme intention de « créer un corridor entre Toronto et Montréal pour permettre les échanges artistiques », selon les mots de Carmen Jolin, suivra Le dire de Di, une pièce de Michel Ouellette, auteur d’une quarantaine d’ouvrages, dans la mise en scène de Joël Beddows qui s’adonne à être le nouveau directeur du Théâtre français de Toronto. Il s’agit d’un solo sur la famille vue par une jeune fille de 14 ans, jouée par Marie-Ève Fontaine qui n’a pas manqué, avec admiration, de qualifier son metteur en scène de « super weird ».

Pour le premier Tchekhov du Groupe de la Veillée, en coproduction avec La Fabrik, Carmen Jolin a fait appel à la metteure en scène Angela Konrad, que tous s’arrachent en ce moment. « Qu’est-ce que la vérité? », disait cette dernière qui a adapté et conçu Platonov amour haine et angles morts, la toute première pièce du célèbre auteur russe retrouvée dans un coffret de sûreté après sa mort. Une distribution cinq étoiles qui comprend huit comédiens, dont Violette Chauveau, Debbie Lynch-White, et la sensation de l’heure, Renaud Lacelle-Bourdon qui a joué dans cinq pièces durant la saison qui s’achève, sur nos scènes montréalaises aussi bien qu’à Paris et au Luxembourg.

C’est lui qui jouera le rôle-titre de Platonov, disant en toute confiance que : « Angela va certainement déconstruire l’œuvre. Mon personnage est un tombeur de ces dames, un peu beaucoup obsédé par les femmes. C’est aussi un rebelle qui ne se prive pas pour dire aux autres leurs quatre vérités, quelqu’un qui, contrairement à moi, a la parole facile devant les gens pour véhiculer ses valeurs morales et philosophiques.

« Platonov est très charismatique. Il séduit tout le monde, les hommes comme les femmes, mais il déçoit tout de suite après en leur présentant un miroir d’eux-mêmes, et ça finit mal », résume Renaud Lacelle-Bourdon.

En février 2019, Les Productions des pieds et des mains présenteront Cendres d’Emmanuelle Jimenez, dans une mise en scène et une chorégraphie de Menka Nagrani qui dirigera Gabrielle Marion-Rivard (celle du film Gabrielle), Marilyn Perreault et Olivier Rousseau, trois enfants de parents disparus. C’est la même Emmanuelle Jimenez ayant présenté une version giguée du Chemin des Passes-Dangereuses de Michel Marc Bouchard à ce théâtre qui récidive. Du théâtre dansé donc, qui nécessitera un bon 400 heures de répétition pour maîtriser la podorythmie et la gigue à nouveau.

Au printemps, nous attend une création de Dans la Chambre et du Théâtre du Trillium, Les larmes amères de Petra Von Kant du sulfureux auteur et cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder. Une pièce à forte connotation lesbienne mise en scène par Félix-Antoine Boutin qui dirigera cinq femmes, dont les deux Cadieux, Anne-Marie, qui jouera Petra, et Sophie, marquant aussi un retour sur les planches pour la comédienne Patricia Nolin, dans ce que le jeune metteur en scène décrit comme « un objet théâtral singulier ».

Suivra en avril, par la compagnie Théâtre Point d’Orgue, Ombre Eurydice parle de l’Autrichienne Elfriede Jelinek, Prix Nobel de littérature en 2004. Un défi intéressant de mise en scène pour Louis-Karl Tremblay qui dirigera trois Eurydice à des âges différents, dont la danseuse Louise Bédard. Son incursion dans la mythologie grecque fera en sorte que le personnage d’Orphée, l’amoureux endeuillé, sera joué par le chanteur Noir Pierre Kwenders avec des allures de rock star. « Ça prend beaucoup de lumière pour sortir Eurydice de l’ombre », commentait le metteur en scène.

Carmen Jolin. Photo par Jean-François Brière.

Enfin, s’il est un territoire de liberté où se confondent audace et exploration artistique affirmée, c’est bien dans ce petit espace ouvert à toutes les tendances d’artistes émergents ou confirmés que le Prospero appelle sa Salle intime. Cinq pièces y seront présentées durant la saison 2018-2019 par de petites compagnies ne demandant qu’à vous surprendre, soit L’Acteur en marche, Absolu Théâtre, Théâtre le Mimésis, Collectif La Stasi et Le Collectif Les Fauves.

Carmen Jolin a complété sa présentation de presque deux heures en affirmant : « Je suis fière et contente de la panoplie des artistes qui ratisseront large à l’intérieur de nos murs, du caractère intergénérationnel des créateurs, et de l’apport enrichissant de nouveaux collaborateurs. Je ne suis pas en train de marchander des tomates. On parle plutôt, ici et maintenant, d’aventures théâtrales, d’échanges et de rencontres avec des âmes sœurs au plan artistique. »


* Photo en entête par Clémence Sgarbi.

Vos commentaires