Iliade

L’Iliade de Marc Beaupré au Théâtre Denise-Pelletier | Homère sur l’acide

Le comédien et metteur en scène Marc Beaupré nous avait montré ce dont il est capable en s’appropriant des grands classiques et en les maltraitant avec génie pour en livrer une facture moderne. Ce fut le cas avec son Hamlet_director’s cut et son Caligula (Remix). Mais là, il se surpasse avec la libre adaptation de L’Iliade du poète Homère et fait littéralement sauter la baraque.

Ce que l’on peut voir au Théâtre Denise-Pelletier actuellement, à partir de la version d’Alessandro Baricco, est le résultat de sept ans de travail acharné, multipliant les ateliers d’exploration avec des acteurs, et épurant le texte en lui préservant son âme tragique originale.

Mais surtout, c’est la réalisation indissociable de l’enveloppement sonore du spectacle par Stéfan Boucher, au cœur du processus de création de L’Iliade, combinée à la mise en scène de toutes les audaces par Marc Beaupré, qui procure tout du long le plaisir d’un réel accomplissement théâtral.

Œuvre chorale autant que monologuée et dialoguée, d’une force dramatique puissamment rendue par les dix interprètes, le texte est tour à tour scandé, slammé, rappé et chanté sur des musiques live, aussi tonitruantes que du Metallica, alignées sur les différents styles musicaux de l’heure comme le hip-hop, ce qui ne s’était jamais produit sur la scène du TDP et qui réjouira assurément le jeune public avide de sensations fortes.

 

Crédits Gunther Gamper

Crédits Gunther Gamper

Ils sont tous là, face à leur implacable destin : Agamemnon, roi des Grecs et frère de Ménélas qui règne à Troie ; Pâris, prince troyen que tous haïssent pour avoir ravi tel un trophée de guerre la si belle Hélène, épouse de Ménélas ; Hector, fier guerrier troyen et frère de Pâris ; Andromaque, femme d’Hector ; Cassandre, l’augure porteuse de malheur ; et bien sûr, Achille, le demi-dieu faisant face au dilemme entre vivre vaincu ou mourir glorieux, au terme de neuf années de guerre féroce entre Grecs et Troyens.

C’est Emmanuel Schwartz qui joue Achille, et visiblement le comédien de haute stature qu’il est donne tout ce qu’il a. Le coffre de sa voix surpuissante, sa respiration forte et dominante, sa prestance font que tous se rallient à ses volontés. Alors que son ami intime, Patrocle à la tête rasée, qui mourra à cause d’une méprise courageuse, est joué avec beaucoup de testostérone par Émile Schneider, la grande découverte de cette coproduction du TDP et de la compagnie Terre des Hommes.

Mais, tous les comédiens ne font qu’un, tellement cette distribution est soudée par une ultime énergie devant l’immense défi que représente le rôle de chacun. Le jeu est physique, à l’état brut, sans concession. La mise en scène de Marc Beaupré est de haute voltige, complexe de par le synchronisme des éléments sonores, comme dans un opéra théâtral radicalisé, résultat heureux de la concordance entre mille détails, trouvailles et prouesses scéniques.

Crédits Gunther Gamper

Crédits Gunther Gamper

Les superbes et inventifs éclairages mobiles d’Étienne Boucher, les costumes sobres de Sarah Balleux, et la scénographie efficace de François Blouin qui a couvert la scène d’une bonne dizaine de tapis persans surplombés d’un immense miroir en forme de triangle inversé, se marient parfaitement aux sonorités de Stéfan Boucher faisant appel aux cordes, aux percussions comme un battement de cœur, et à des instruments au rendu aussi étonnant que ce cor au cou allongé qui complète l’aéropage. Tout est réglé au quart de tour, tout se tient et tout fonctionne. Même que la conception musicale en soi pourrait déjà faire l’objet de l’enregistrement d’un album.

La guerre de Troie aurait eu lieu en 1 180 avant J.-C. Elle témoigne non sans honte des travers humains restés inchangés au passage du temps, comme l’orgueil, la vanité, la colère, la vengeance, la fureur de l’ennemi à vaincre, la lâcheté, la peur de l’autre, la valorisation de l’esprit guerrier, et la notion de héros, quel qu’en soit le prix à payer humainement.

On dit aussi que Homère n’a peut-être pas existé, et que les 26 chants composant le texte original de L’Iliade proviendraient de différents poètes de cette époque lointaine, ce qui restera pour toujours impossible à prouver.

Quoi qu’il en soit, la galerie de personnages mythiques et surdimensionnés qui ont traversé les millénaires, la richesse du texte comme du sous-texte des grandes tragédies épiques de l’Antiquité continuent, avec cette conjugaison de talents autour de Marc Beaupré pour L’Iliade, de donner du bon, du très bon théâtre.

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