En attendant le déconfinement #15 | Le Projet Échelon: désystématiser le racisme en musique
On poursuit notre série hebdomadaire visant à donner la parole à des acteurs du milieu culturel qui ont été durement touchés par la pandémie et à mettre en mots les actions concrètes qu’ont dû poser les intervenants pour s’adapter à la crise. On se penche sur ce qui les occupe, ce qu’ils font (souvent dans l’ombre) en attendant le déconfinement culturel et comment ils permettent à la culture de survivre et de continuer à exister. Cette semaine, nous discutons avec le rappeur Webster et le conseiller artistique de l’Ampli de Québec, Guillaume Sirois, à propos du Projet Échelon.
L’autre pandémie
Outre la COVID-19, la question de la place qu’occupe le racisme systémique dans nos institutions aura fait couler beaucoup d’encre dans la dernière année. Tour à tour, différents secteurs sont pointés du doigt: après la classe politique, le système de santé, l’enseignement ou les médias, c’est au tour du milieu musical de devoir faire plus de place à une diversité plus représentative chez les créateurs. Pour amorcer ce processus, Webster semblait tout désigné: en plus d’être un pionnier du rap québécois, Ali Ndiaye donne des conférences historiques et des ateliers d’écriture depuis plusieurs années.
Si le le racisme fait les manchettes aujourd’hui, il s’agit malheureusement d’un combat qui reste d’actualité depuis des dizaines d’années. Au début de la décennie, Webster décriait déjà le manque de représentativité dans les médias. Face au mouvement Black Lives Matters, à l’indignation provoquée par le meurtre de George Floyd à l’été dernier, et au manque de représentativité apparente en culture, Webster a enfin décidé de mettre sur pied le Projet Échelon, une initiative visant à former la relève musicale issue de communautés diversifiées, racisées et autochtones.
En formant cette prochaine génération d’artistes, le Projet Échelon a pour but de briser un cycle qui se perpétue depuis plusieurs dizaines d’années. « Pour l’avoir vécu, c’est que tu ne te vois pas dans les médias. Puisque tu ne te reconnais pas dans les médias, tu penses que ce n’est pas une avenue possible pour toi de faire carrière en musique. Le fait que tu ne considères pas la musique comme un choix de carrière perpétue ce manque de représentativité. C’est la poule ou l’oeuf », raconte Webster.
Du même coup, Webster explique bien comment le racisme systémique se perpétue. Pour lui, il était donc temps de se mettre en action et de faire face à ce qu’il décrit comme « l’autre pandémie. »
La collaboration
Avec son idée en tête, Webster a approché son label Coyote Records ainsi que Guillaume Sirois de l’Ampli de Québec, un partenaire avec qui il est habitué de travailler. Du côté de l’Ampli, lieu de formation et d’accompagnement musical actif à Québec depuis 2010, la collaboration était toute naturelle. « Ça rejoignait beaucoup de préoccupations déjà existantes dans notre organisation, entame Guillaume Sirois. Pour reprendre l’exemple de Webster, notre clientèle naturelle d’artistes de la relève manquait de représentativité, ce qui n’attirait pas les communautés racisées et autochtones. »
Réfléchissant à la question depuis un moment, l’équipe de l’Ampli a donc vu le projet proposé par Webster comme une opportunité de joindre leurs préoccupations sociales à leur problème de clientèle.
Parfois, tu ne peux pas juste laisser les choses aller et penser que tu vas défaire 30 ans de mauvaises habitudes avec de la bonne volonté. Il faut parfois forcer un peu la note pour créer de nouvelles habitudes, créer de nouveaux comportements et de l’ouverture. C’est ce qu’on pense qu’un projet comme celui-là va nous permettre de faire.
Guillaume Sirois de l’Ampli, Marie-Michelle Lacroix de Coyote Records et l’artiste Webster sont derrière le Projet Échelon. Crédit photo: courtoisie du Projet Échelon
Le Projet Échelon
Concrètement, le Projet Échelon propose un accompagnement d’un an à cinq artistes entre 18 et 35 ans. Qu’importe le style musical, le seul critère pour Webster et Guillaume Sirois est que le candidat montre un désir de professionnaliser sa pratique musicale.
Une fois le programme commencé, les candidats auront la chance de participer à des formations, des ateliers et des séances de studios réparties en trois volets à raison d’environ cinq heures par semaine. Échelon a été conçu en trois blocs: un premier bloc de création vise à développer le corpus de l’artiste et l’aider à développer la singularité de sa proposition.
Un second volet tourne autour de l’autogestion, un aspect primordial lors du début de carrière de plusieurs artistes. « Je parle beaucoup d’autogestion car aujourd’hui, ça fonctionne à l’inverse d’il y a quelques années. Avant, les artistes allaient cogner aux portes des labels. Maintenant, la majorité des artistes doivent commencer à travailler par eux-mêmes pour faire rayonner leur art avant d’être approchés par un label. De là l’importance de l’autogestion », explique Guillaume Sirois. Il vise à outiller les artistes sur la réalité du milieu en discutant par exemple des enjeux du milieu culturel ainsi qu’en leur présentant les différents intervenants.
Finalement, un dernier bloc vise la mise en marché, les médias sociaux, les plateformes de streaming et la relation avec les médias. Ce dernier pan de la formation sera d’autant plus concret puisque les artistes travailleront ces différents aspects en lien avec un EP qu’ils sortiront à la fin du Projet Échelon.
Webster avoue qu’il espère que le projet se pérennise, une façon de briser le cercle vicieux du manque de représentativité en culture. Tous ceux et celles qui voudraient s’inscrire à cette première édition du Projet Échelon ont jusqu’au 5 avril 2021 pour le faire. Tous les détails sur le site de l’Ampli de Québec.
EN RAPPEL
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