En attendant le déconfinement #13 | Les défis du déconfinement pour les salles de spectacle en zone orange
On poursuit notre série hebdomadaire visant à donner la parole à des acteurs du milieu culturel qui ont été durement touchés par la pandémie et à mettre en mots les actions concrètes qu’ont dû poser les intervenants pour s’adapter à la crise. On se penche sur ce qui les occupe, ce qu’ils font (souvent dans l’ombre) en attendant le déconfinement culturel et comment ils permettent à la culture de continuer à exister. Cette semaine, Sors-tu s’est entretenu avec plusieurs diffuseurs en zone orange pour voir comment ils se préparent à la réouverture des salles de spectacles de ce vendredi.
« Reprogrammateurs » de spectacles
Alors que le nombre de cas confirmés descend graduellement, que les doses de vaccins font leur chemin vers chez nous et que certaines régions basculent en zone orange, un certain regain d’espoir se fait sentir. Présage de ce qui attend les grands centres dans les prochaines semaines, sept régions adaptent non sans problèmes leurs activités aux nouvelles mesures sanitaires en vigueur.
Au coeur de ce casse-tête logistique se retrouvent des programmateurs de salles qui tentent tant bien que mal de suivre les mesures du gouvernement, de trouver des arrangements avec les artistes et de communiquer l’information au public.
On a vraiment l’impression de jongler en ce moment. Ça devient parfois très compliqué parce que pour déplacer un spectacle de notre programmation, il faut aussi considérer la programmation des autres salles.
La difficulté que soulève Jade Beaudette, directrice de salle de L’Espace Côté-Cour de Jonquière, fait référence au fait que plusieurs salles en périphérie des grands centres doivent s’organiser entre elles pour programmer plusieurs dates de spectacles à un artiste pour qu’il accepte de se déplacer dans leur région.
Si les salles de spectacle sont habituées de s’organiser entre elles, l’interdiction de vendre de l’alcool pour les lieux de diffusion ayant un permis de bar plutôt qu’un permis salle de spectacle complique inévitablement le processus, les privant de leur revenu principal. Après le tollé du popcorn, c’est au tour de la pinte de bière.
Dans une lettre ouverte publiée hier matin par le SMAQ, un regroupement représentant les petits lieux de diffusion indépendants au Québec, on dénonce le trop grand nombre de barrières qui empêchent l’ouverture et les opérations des salles de spectacles. Il est important de mentionner que, selon les statistiques fournies par le SMAQ, ces petites salles présentent 75% des spectacles de musique en salle au Québec.
Pour une petite salle voulant rouvrir, les défis sont effectivement nombreux. Au casse-tête de la programmation, du nombre de places réduites dans les salles et du respect des mesures sanitaires s’ajoutent donc les problèmes de permis, l’interdiction d’ouvrir une salle si elle ne possède pas des sièges ancrés au plancher ainsi que la difficulté de devancer les spectacles pour respecter le couvre-feu.
Philippe Roy, copropriétaire et directeur artistique du bar Le Minotaure à Gatineau, est particulièrement touché par cette réalité: « Puisque nos sièges ne sont pas visés au plancher, on ne peut même pas considérer rouvrir. Même si c’était le cas, ça ne serait probablement pas réaliste pour nous. Dans une grande région comme l’Outaouais, les spectateurs peuvent faire beaucoup de route pour venir nous voir. On ne veut pas qu’ils se pressent sur les routes. » Quand on fait le calcul, l’exercice semble effectivement difficile à réaliser. Dans bien des cas, les salles de spectacles devancent les représentations à 19h. Pour un spectacle de soixante-quinze minutes sans retard, cela ne laisse pas énormément de temps pour revenir à la maison lorsqu’on inclut le passage au vestiaire, la marche vers la voiture et le retour à la maison. À l’inverse, devancer un spectacle plus tôt, disons 18h ou 18h30, pressera inévitablement certains spectateurs dans leur horaire, pense Philippe Roy.
Du côté de Mont-Louis en Gaspésie, les problèmes mentionnés ci-dessus résonnent pour Yanik Élément, le propriétaire de La Pointe Sec. « C’est bizarre, on se sent vraiment en zone orange très foncé. J’ai des gens qui font beaucoup de route pour venir ici. On essaie de prendre des arrangements avec les artistes pour faire des genres de spectacles 5 à 7, mais c’est compliqué. Surtout qu’en Gaspésie, le couvre-feu, personne ne l’a compris. Ici, y’a personne dans les rues passé 20h au mois de février. Surtout quand tu fermes la seule salle de spectacle. »
Communiquer l’information clairement
Chaque fois que le gouvernement confine, déconfine et reconfine, des voix venant autant des partis d’oppositions que des restaurateurs ou des propriétaires de salles d’entraînement s’élèvent dans les médias pour décrier le manque de clarté du gouvernement. Après s’être fait reproché dans les derniers jours un manque de cohérence quant à la réouverture de certains lieux comme les cinémas plutôt que les salles de spectacles, le Premier ministre François Legault s’est prononcé hier sur la question. Durant son point de presse, le Premier ministre a confirmé que les salles de spectacles en zone rouge ne sont pas plus dangereuses que les musées ou les cinémas, mais que la décision a été prise puisque beaucoup de salles de spectacles désiraient avoir plus de temps pour planifier leur retour.
Du côté des salles de spectacle, l’information arrive pourtant au compte-goutte, comme le souligne Martin Vanasse, responsable des communications à la salle Odyssée de la Maison de la culture de Gatineau:
Ce n’est pas comme lorsqu’ils faisaient des annonces en avance disant qu’ils allaient énoncer des mesures en point de presse. Là, on était rivé devant notre écran et on l’a appris en même temps que tout le monde. En plus, dans son point de presse, jamais le premier ministre n’a mentionné la réouverture des salles de spectacle. Il a fallu qu’on aille valider nous-mêmes avant d’annoncer quoi que ce soit.
Dans ce contexte, difficile de planifier à l’avance une réouverture.
Jouant l’intermédiaire entre le gouvernement et le public, Mireille Lévesque, la responsable des communications chez Spect’Art à Rimouski, avoue que la plus grosse épreuve pour l’équipe derrière la salle Desjardins-Telus a été de gérer la billetterie au printemps passé. « En tout, on estime avoir géré environ 8 000 transactions par courriel et par téléphone. On a réussi, mais c’est un énorme défi logistique. »
En plus des problèmes soulevés plus tôt, on devine que les services à la clientèle des différentes salles de spectacles sont débordés en ce moment.
Considérant que ce sont les petites salles qui subissent le plus durement les difficultés d’un déconfinement culturel, il faudra peut-être s’armer de patience pour revoir certains de nos artistes émergents favoris en spectacle. En attendant, du moins, on sait que des gens aux quatre coins du Québec continuent de travailler pour la survie du milieu culturel.
En rappel
Les articles précédents de la série En attendant le déconfinement:
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