Messe des Morts

Annulation de la Messe des Morts | Démocratie, Anti-Fascisme, Amalgames et Black Metal

Alors que la polémique autour de la venue des Polonais de Graveland à La Messe Des Morts faisait rage depuis quelques jours, l’impensable est arrivé samedi soir à Montréal, prenant des proportions ahurissantes. À la suite d’une manifestation hostile d’un petit groupe antifasciste mobilisant la police, le concert a été annulé pour des raisons de sécurité, renvoyant chez eux près de 400 amateurs de musique venus de partout sur le continent.

1993, Pologne. À la suite du traumatisme post-communisme en Europe de l’Est, des mouvances extrême droite émergent chez les jeunes du pays. Parmi eux, le Temple Of Full Moon, dont fait partie Robert « Darken » Fudali, alors âgé de 22 ans, fondateur du groupe de black metal viking Graveland. Le début d’une affiliation indéniable dans ces années, même si aucune des paroles du groupe ne sera jamais politisée. Une distinction nécessaire entre l’œuvre musicale et son créateur.

2016, Montréal. Graveland vient se produire pour la première fois en Amérique du Nord dans le cadre de la Messe des Morts, aux cotés de beaucoup d’autres groupes de black metal. Quelques militants antifascistes se mobilisent pour interdire le festival, et passent à l’action en fin d’après-midi avec des bombes lacrymogènes devant le Théâtre Plaza. Les forces de police sont alors massivement mobilisées pour assurer la sécurité, isolant d’un côté la quarantaine de manifestants, la plupart masqués, de l’autre les 400 festivaliers qui attendent calmement pour rentrer dans la salle, sous le regard ahuri des passants qui se demandent comment un festival de musique peut créer cette situation. En début de soirée, le Festival et le Théâtre Plaza annoncent que pour des raisons de sécurité, le concert est annulé. Les centaines de personnes sont dispersées dans le calme par la police.

« Je suis Chinois ! Je suis Juif ! Je suis Premières Nations ! Je suis Arabe ! » protestent plusieurs membres du public, d’origines variées, en proie à la déception, et la frustration d’une situation qu’ils jugent aberrante et ridicule. « On est venus voir un spectacle de musique, on a rien à voir avec ça. » Car la Messe des Morts cette année, c’est pas moins de dix-neuf autres groupes, dont presque une dizaine devaient jouer samedi soir. Une programmation musicale de qualité qui en fait le plus grand festival de black metal en Amérique du Nord, attirant des passionnés de tout le continent.

« Je suis venue exprès de Los Angeles, Californie », me dit Heather. Mexico. Pennsylvanie. Boston. New Jersey. Vermont. Abitibi. Vancouver. Calgary. Edmonton. Sherbrooke. Halifax. Winnipeg. La liste est longue et impressionnante parmi les nombreux spectateurs.

«  C’est le triomphe de l’ignorance et de la désinformation, confie Sébastien, venu de Québec avec ses amis. Les médias vont chercher le buzz, et il y a un danger de radicalisation maintenant. » Et un risque d’amalgame facile, de conclusions hâtives pour associer le public de l’événement à de quelconques idéologies néo-nazies. Une cible… fantôme et inexistante. Aucun skinhead dans la foule. Une fausse image vendeuse qui circule bien vite dans l’opinion publique et le voyeurisme facile de médias chasseurs de clics et de vues. Encore une fois, il est pourtant simple de dissocier les opinions politiques d’un membre d’un des groupes et sa musique où ne figure aucune référence à la haine raciale par exemple.

« Je suis rentré dans le Théâtre Plaza et l’atmosphère était vraiment étrange et pesante », confie un des musiciens du groupe Auroch. « La police bloquait toutes les issues, et les artistes ont dû sortir groupe par groupe dans des voitures qui venaient les chercher, escortés par la police. C’était vraiment par précaution de sécurité, mais ça faisait bizarre. Tout le monde était très déçu. Même les policiers trouvaient la situation absurde, et l’un d’eux m’a confié qu’il pensait que ce petit groupe d’activistes étaient des gamins. »

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Pourquoi maintenant ?

Mais une question et un sujet reviennent dans beaucoup de conversations : pourquoi cette polémique explose cette année, alors que la programmation des années précédentes a vu plusieurs groupes également controversés pour leurs affiliations au mouvement NSBM (n.d.l.r.: le National Socialist Black Metal). Et rien n’est jamais arrivé. On pense aux Allemands de Nargaroth, mais surtout aux Finlandais de Satanic Warmaster, dont l’ambigüité de certaines paroles et les prises de position de leur leader font aussi polémique.

Alors que s’est-il passé en 2016 ? Certains évoquent l’élection de Trump, et la montée des mouvements d’extrême gauche et antifascistes. Pourtant, il est certain qu’en sondant rapidement le public, on y trouve beaucoup d’anti-Trump, voire même quelques antifascistes. Mais soudainement, l’idée d’un de ces activistes de se mettre quelque chose sous la dent à Montréal, où il ne se passe pas grand-chose finalement : bloquons la Messe des Morts. Les prises de position d’un musicien, surtout dans les années 90, suffisent-elles à initier un combat et l’annulation d’un festival de 20 groupes de musique, tous apolitisés ? Dans une ville d’art libéré? Le chanteur pop Akon est pourtant taché d’histoires douteuses de relations avec des filles de 14 ans, mais personne ne manifeste contre lui au Centre Bell.

« Une fois, au concert dans ma ville, des activistes distribuaient des tracts antifascistes pour protester contre un des groupes, raconte une spectatrice venue de Vancouver. C’était pacifiste et même constructif puisqu’on pouvait débattre de nos points de vues. » On est loin du pacifisme de la côte Ouest.

« Je suis venu à Montréal pour l’ouverture d’esprit et la tolérance, et pouvoir vivre ma passion pour le metal extrême, parce que dans mon pays, on peut aller en prison seulement pour jouer du heavy metal », me raconte Medhi, un Marocain de Casablanca. « Et pourtant des groupes très anti-religieux comme Kreator ou Behemoth sont venus jouer quand même au Maroc, et il n’y pas eu de manifestations. C’est ridicule ce qui se passe ici aujourd’hui. »

Et c’est d’autant plus incroyable quand on sait que les membres de Graveland ont été interrogés pendant trois heures à l’aéroport par l’immigration canadienne, en vain. « Ils n’ont rien trouvé contre eux pour les empêcher de rentrer », confie Martin, un des membre de l’organisation du festival. Alors si même l’autorité fédérale d’un pays comme le Canada laisse entrer des musiciens polonais, approuvant leur but musical apolitisé et non condamnable par la justice, comment se fait-il qu’un petit groupe antifasciste, qui-plus-est violent, puisse faire annuler un concert entier à guichets fermés accueillant des centaines de personnes ?

« Si Graveland venait au Canada dans un but politique, ils n’auraient jamais été invités à jouer dans un grand festival public comme la Messe des Morts», reprend Martin. « Les vrais groupes de musique politisés d’extrême droite, ou gauche, organisent des concerts secrets et underground dans leurs réseaux fermés et cachés. C’est comme ça que ça fonctionne. Graveland est invité pour sa musique, son énergie, et sa rage qui rassemble des gens de toutes origines. L’année prochaine ils sont en tournée en Amérique du Sud. Au Maryland Deathfest, tu croises des Noirs, des Latinos et des Arabes avec des chandails de groupes comme Graveland. Ces gens qui manifestent ont clairement un manque de culture et de recherche dans leurs actes. »

 

Sécurité avant tout

Pourtant, on a bien cru que la soirée pourrait être sauvée. Lorsque plus de policiers en armures et boucliers sont arrivés, certains pensaient qu’ils protégeraient le public pour rentrer dans la salle. Mais la situation est restée figée. Un coup de téléphone d’une autorité de la ville aurait sûrement suffit à autoriser le concert. Mais c’était sans doute trop délicat, au risque de faire prendre position à la Ville de Montréal qui aurait approuvé un spectacle qualifié d’extrême droite. Et pourtant, l’extrémisme et la violence se sont finalement révélés dans le camp des manifestants.

Ce soir-là, l’organisateur de la Messe des Morts et le Théâtre Plaza ont alors fait un sacrifice et pris une décision (avec des conséquences financières désastreuses) pour la sécurité du public et des artistes, face à un groupe d’activistes réduits qui s’est avéré finalement plus agressif et malsain que la musique contre laquelle ils manifestaient à tort. Certains avaient même réussi à se procurer des billets pour infiltrer la foule, et perturber la manifestation. L’organisation du festival déclare dans un communiqué hier: « Nous étions également au courant que des membres de cette organisation avaient pu assister au spectacle de vendredi afin de faire du repérage, et s’étant procuré des billets auprès de gens les ayant revendus à la dernière minute, et que si certains avaient pu déjouer la fouille, ils avaient peut-être dissimulé du matériel destiné à être utilisé hier par d’autres membres ayant des billets pour le spectacle d’hier.  »

On apprendra plus tard des attaques à la bombe lacrymogène à l’hôtel Chrome où résidaient beaucoup de musiciens et membres du public, mais aussi des familles qui ont dû être évacuées, patientant dehors au froid. Mais qu’est-ce qui justifie autant de violence ? Certainement pas ces fans de black metal qui dansent sur de la musique pop des années 80 au Bar Nestor, essayant d’oublier leur immense déception ce soir.

Une histoire qui aura définitivement pris des proportions ridiculement démesurées, dans un simple festival de passionnés de musique, toute extrême et « haineuse » puisse-t-elle être. Et il est certain qu’une majorité du public ne partage même pas les opinions politiques d’un des membres de Graveland qui aura provoqué malgré lui toute cette polémique disproportionnée, plus de vingt ans après ses années d’activisme personnel. Sans compter les centaines qui ne sont même pas venus voir ce groupe, mais plutôt Forteresse (dont le fort patriotisme pourrait d’ailleurs aussi faire parler), Aosoth ou Uada. Mauvais combat ? Assurément. On n’a aperçu aucun skinhead dans la foule, on est loin de ce genre de concerts.

Le monde a besoin de gens qui se lèvent et se battent pour défendre les droits humains, dont la liberté d’art et d’expression, et toutes les causes pour améliorer notre existence sur cette planète. Mais sans se tromper de combat ou de cible. Recherche, débats et culture sont de mises, pour s’armer avant tout d’intelligence, et mieux combattre l’ignorance…

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