crédit photo: Théâtre du Rideau vert

Un reel ben beau, ben triste au Rideau Vert | Un sujet durement traité

Le Théâtre du Rideau Vert ressort l’oeuvre coup-de-poing Un reel ben beau, ben triste de l’Abitibienne Jeanne-Mance Delisle, écrite en 1976. Revisitée pour la première fois depuis 1993 par Marc Béland à la mise en scène, la proposition est intéressante mais crée une atmosphère crue et inconfortable malgré une performance soutenue et intense.

Seulement bien triste

Rien de bien beau dans cette famille survivante de la violence domestique, prodiguée par le père, ivrogne et fainéant, qui harcèle sexuellement sa fille cadette Pierrette, en plus de tenir toute la maisonnée en joue de son courroux et ses manipulations. Mari de Laurette, père de trois filles adolescentes et d’un seul garçon, Gérald, déficient suite à un accident, Tonio entraîne ce dernier à l’imiter, pour ainsi maintenir son emprise en son absence et garder les femmes en guerre perpétuelle les unes contre les autres. Le seul allié de l’histoire, mari de Réjeanne, l’aînée qui n’est plus à la maison, finira par lui aussi trahir la confiance de la mère en attirant Pierrette sous la couette.

Sur huit tableaux, dans la même grande pièce, autour des mêmes chaises dépareillées, se joue des scènes désolantes et longues. Ce n’est pas la cruauté du cycle de violence, ou le choix des mots qui choquent mais les redites de la mise en scène. On comprend qu’à une époque où le quotidien se bâtissait autour d’une table, il était évident qu’on ne pouvait s’en passer, mais peu importe l’angle, ça reste la même table. Si le but est de démontrer qu’à toute heure, jour, ou année, la violence est là, ça provoque l’effet escompté. On est à bout de patience de leur misère et de leur isolement. Il faut dire que la composition sonore est d’une efficacité redoutable, avec des bourdonnements stridents rappelant l’acouphène dissonant, rendant le tout presque insoutenable.

La distribution défend le texte avec brio, malgré le malaise et l’inconfort des spectateurs. L’acteur Frédéric Boivin, incarnant le père tyrannique, est vraiment convaincant, et malgré sa carrure mince, il en impose de la voix et de l’attitude perfide. Nathalie Mallette est impassible en mère renfermée et protectrice, jusqu’à l’explosion finale de sa colère et sa révolte salvatrice, qu’on attend les dents serrées tout du long. Mention spéciale aussi à Christophe Payeur et Sarah Laurendeau, respectivement Gérald et Pierrette, qui défendait bien leur partition.

Certes, la pauvreté, l’isolement, la violence et l’inceste sont des thèmes difficiles, mais ils peuvent être traités avec plusieurs nuances. Cette version d’Un reel ben beau, ben triste manque de moments de lumière, ou du moins d’indice d’espoir quelconque. On n’a qu’à penser à des oeuvres comme M’entends-tu? ou Les Belles-Soeurs, où les protagonistes ont une soif de vivre et de s’en sortir malgré leur sort. Cette pièce fataliste emporte tout optimisme et expose une face très austère et univoque de la pauvreté physique et mentale.

Une pièce de Jeanne-Mance Delisle, mise en scène de Marc Béland.

Avec Frédéric Boivin, Nathalie Mallette, Ève Duranceau, Jimmy Jean, Sarah Laurendeau, Jean-Sébastien Lavoie, Gabrielle Lessard, Benoît Mauffette, Christophe Payeur.

Présentée jusqu’au 28 octobre au Théâtre du Rideau Vert, Montréal.

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