crédit photo: Antoine Saito
Barbara Hannigan et la Symphonie fantastique

Envoûtement à l’OSM offert par Barbara Hannigan et Rafael Payare dans une Symphonie Fantastique à couper le souffle

Lumières soudainement tamisées dans la Maison Symphonique, un filet de voix nous parvient d’outre-tombe; du moins c’est ce que l’on croit quelques secondes jusqu’à ce qu’on lève la tête. Devant l’orgue se tient Barbara Hannigan, comme une apparition fantomatique et inquiétante, toute vêtue de blanc. La soirée débute par une œuvre du compositeur italien Luigi Nono, Djamila Boupacha, pour soprano solo.

Inspirée d’un poème de Pacheco intitulé Cette nuit, la seule et unique voix de la soprano Barbara Hannigan résonnait dans la maison symphonique comme un souffle révélateur. Toute en nuance, Hannigan maîtrise parfaitement sa voix et son interprétation permet l’expression de la souffrance vécue par la protagoniste. En effet, la pièce fut composée en l’honneur de Djamila Boupacha, nationaliste algérienne meurtrie par des années de détention et de torture. L’interprétation de Hannigan oscillant entre force et délicatesse nous insuffle l’ampleur du tumulte de son tourment.

Comme il fut habilement demandé en début de concert de nous abstenir d’applaudir à tout rompre entre les pièces de la première partie, cela a permis un enchaînement élégant avec la formidable Valse triste op.44 No. 1 de Jean Sibelius. Que dire sinon que c’était ma portion favorite de cette première partie. Après un début de programme dramatique, cette œuvre empreint d’une certaine nostalgie est simplement venue bercer l’auditoire. D’une main de maître, Payare nous a fait entrer dans la danse de cette valse triste. On salue ici les belles variations de tempo qui l’ont rendue plus consolante que larmoyante si j’ose dire. Un délice ! J’aurais appuyé sur « repeat » si au moins c’était si simple d’avoir un orchestre sur commande.

S’en suivi en dernière portion de la première partie une œuvre pour le moins surprenante de Claude Vivier. Compositeur d’origine Québécoise, Vivier a composé Lonely Child en 1980 en y intégrant le bagage accumulé au cours des années dont ses influences indonésiennes et l’utilisation d’une langue totalement inventée pour ses textes. C’est donc un texte moitié français et moitié «langue inventée» qu’on a eu l’occasion d’entendre. Malgré l’enthousiasme manifeste de la soprano et sa volonté avérée de faire découvrir cette œuvre exceptionnelle, je dois dire que ses sonorités inquiétantes ont davantage créer une certaine angoisse. D’autant qu’à plusieurs reprise, les percussions résonnent à la manière de coups de feu. Au moment où il y a davantage de policiers au Centre-Ville de Montréal que de cônes orange en raison de la fameuse COP15, cette portion de spectacle n’avait rien de rassurant. Je dirais, «mauvais timing» donc pour une appréciation paisible de l’œuvre. Ceci dit, les prouesses vocales de Hannigan n’ont pas manqué de surprendre et son interprétation magistrale et très physique n’a laissé personne indifférent. Ovation debout deux fois pour la dame dont la dernière visite remontait à il y a plus d’une dizaine d’années.

Le clou du spectacle est sans aucun doute la direction de Payare pour la Symphonie fantastique H 48, op. 14 d’Hector Berlioz. Sans aucune partition devant lui, Payare enchaîne les 5 mouvements de cette symphonie sans aucune hésitation. On dirait même qu’il pourrait la diriger les yeux fermés tellement c’était organisé à un cheveu près ! Si on s’intéresse un peu à l’endroit où elle se situe dans le temps, en 1830, Berlioz avec sa Symphonie Fantastique compose à titre de pionnier dans le genre «symphonie à programme » . Souhaitant exprimer son amour passionnel envers Harriet Smithson, une actrice de théâtre, de même que son dévouement corps et âme pour son art, il aurait créé la Symphonie Fantastique pour attirer l’attention de la dame en question.

Somptueusement, Payare semble avoir saisi l’histoire que Berlioz tente de nous raconter en commençant par la partie 1, Rêveries et passions, dans laquelle la fameuse idée fixe, de Berlioz nous entraîne comme une vague mélodique. C ’est avec un plaisir manifeste que l’orchestre suit les gestes de Payare, précis et net. La partie 2, Le bal, où on a pu entendre les 2 harpistes bien distinctement était des plus agréables. De très beaux passages de flûte étaient présents tout au long de l’oeuvre et ceux-ci très bien exécuté ajoutaientt du «fantastique» à cette symphonie. La troisième partie, Scène aux champs, débute dans l’étonnement par un dialogue entre un hautbois hors scène et un cor anglais. Ça me surprend toujours d’entendre des instruments qui ne trouvent pas sur scène. Deuxième fois que j’ai l’occasion d’être témoin de ce procédé avec Payare et toujours aussi surprenant et intéressant comme image sonore.  Plus calme, cette scène fort agréable nous permet de reprendre notre souffle pour ce qui s’en vient. Pour le quatrième mouvement, La Marche au supplice, extrêmement énergique et rapide, les musiciens n’ont vraisemblablement pas chômés, personne ne s’est assis sur ses lauriers. Puis, dans le dernier mouvement Songe d’une nuit de sabbat, Payare a mis, comme on peut dire, la pédale au fond! Dans une envolée triomphale, les cuivres scandaient le thème incessant avec toutes les contrastes nécessaires pour nous faire dresser le poil sur les bras. Cette fin fut époustouflante de l’avis de tous qui ont littéralement bondis de leur siège en entendant la dernière note pour applaudir le Maestro. Mention pour les capacités de proprioception du chef, car n’importe qui serait tombé en bas de son estrade avec la fougue avec laquelle il menait sa baguette, l’ai-je dit? SANS partition.

Bref, costaud programme que nous offre l’Orchestre symphonique de Montréal pour 3 soirs en décembre (le 7, le 10 et le 11 décembre) ! Ce qui a piqué ma curiosité est d’abord les multiples facettes de la tête d’affiche (Barbara Hannigan) qui œuvre à titre de Soprano pour ce programme mais qui, dans d’autres occasions est également cheffe d’orchestre, actrice et mentor auprès de la relève musicale. Mais le vrai plat principal c’est définitivement Payare dans sa Symphonie Fantastique endiablée.

 

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