crédit photo: Stéphane Bourgeois
N'essuie jamais de larmes sans gants

N’essuie jamais de larmes sans gants au Théâtre Jean-Duceppe | Se souvenir des belles choses : l’amour et l’amitié au temps du sida

Après avoir fait ses premières armes à Québec, l’adaptation du livre de Jonas Gardell était attendue avec fébrilité et émotions à Montréal. C’est donc hier, le 6 décembre, que le public a pu découvrir cette version travaillée pour le théâtre par Véronique Côté, et mise en scène par Alexandre Fecteau. Et une chose est sûre : que l’on ait ou non lu l’œuvre, on pouvait se douter que la pièce allait nous rentrer dedans à bien des égards.

Témoignage unique des années sida, rétrospective à la fois historique et véridique d’une bande d’amis gais, le spectacle retrace l’émergence du « cancer gai » au travers des portraits de sept garçons pas tout à fait dans le vent. Perdus, rejetés ou à peine tolérés par leurs proches, ils trouvent une forme de paix – et de libération sexuelle ! – au contact les uns des autres, au gré de leurs échecs amoureux et de leurs découvertes parfois abruptes des rapports physiques entre hommes, toujours sous le brushing impeccable et protecteur de Paul, la « folle » assumée de Stockholm.

* Photo par Stéphane Bourgeois.

On y suit plus précisément la passion qui va se saisir de Rasmus et de Benjamin. Le premier est le trésor de ses parents, qui ne se doutent aucunement de son orientation sexuelle; le deuxième est un témoin de Jéhovah, inutile de vous détailler où se situe sa famille sur l’échelle de la tolérance. Et pourtant, après avoir assumé leur sortie de placard – et les coups de poignard dans le cœur qui vont avec – les deux jeunes amants vont se dédier à leur amour et à la cause gaie, soutenue par leur famille choisie, avec en tête Paul bien sûr, mais aussi le chum de ce dernier, Bengt, le couple Seppo et Lars-Ake, et finalement le discret Reine, qui sera le premier fauché par la maladie.

Ce qui surprend d’entrée de jeu ? On rit ! Il est vrai qu’avec un tel synopsis, on ne s’attendait pas forcément à des répliques grinçantes, à des réflexions naïves et tordantes, et à des silences qui font largement sourire. Et dans ce registre, la palme revient à Maxime Robin. Il faut dire qu’avec son personnage de l’exubérant Paul, il est parfait pour dédramatiser les situations tout en offrant au public un tour d’horizon rapide, mais formateur, du Stockholm des années 80, entre perspectives de rencontres pour les hommes gais, mais aussi, réalité de la prostitution. Mais mon coup de cœur irait davantage au père de Rasmus – le très juste et très naturel – Hugues Frenette, capable de nous faire rire et pleurer d’une simple intonation de voix. Une prouesse désarmante.

* Photo par Stéphane Bourgeois.

L’équilibre entre rappels historiques et attention portée aux jeunes est rapidement trouvé. Il permet de resituer les différentes batailles qu’ont menées les gais et les lesbiennes, sans jamais se détacher des protagonistes. Au chapitre des événements marquants de cette époque ? Tabassage en règle par les policiers dans les bars, droit de défiler pour s’affirmer – et donc, émergence de la Fierté – et surtout, mise au pilori des hommes atteints du sida, par la société comme par le corps médical. Et il faut se retenir pour ne pas s’indigner devant les Unes des journaux et les réactions des médecins relatées par le récit, et certainement très proches de la réalité.

Si le texte soutient le propos avec fluidité et émotions, la mise en scène n’est pas en reste. Avec pour seul décor des boîtes rectangulaires que les interprètes déplacent au gré des scènes, on se retrouve tour à tour dans la rue, chez les parents de Rasmus et de Benjamin, dans l’appartement de ces derniers, dans celui de Paul, et bien évidemment dans un cimetière. Impossible également de ne pas souligner l’apport aussi subtil que grandiose de l’orchestre, qui contribue à nous plonger dans l’ambiance, sans jamais supplanter l’action.

Le rire – bien que savamment distillé tout au long des 3 heures de représentation – laisse aussi sa place au drame. Un à un, ces assoiffés de vie et de la vie, finissent par mourir, fauchés en plein épanouissement par l’acronyme que l’on ne présente plus. Et le mal qui s’immisce de plus en plus dans leur existence trouve une allégorie dans l’utilisation de l’eau. D’abord sous forme de légère pluie, elle se mue en cascades puis en bassins stagnants qui font – en deuxième partie de spectacle – immuablement partie de la scène, comme la maladie fait désormais partie du quotidien de tous ces hommes. Le sol détrempé semble alors emporter avec lui tout ce qu’il reste de joie et d’insouciance.

* Photo par Stéphane Bourgeois.

Bien que cette trouvaille soit artistiquement impressionnante, elle atteint ses limites lorsque son emploi accentué perturbe le texte déclamé. Et dans un passage hautement dramatique, cela peut générer quelques frustrations. D’autres imprévus techniques au niveau du son, notamment, ont pu également détourner notre attention, mais il en aurait fallu plus pour nous empêcher de vouloir prendre ces jeunes dans nos bras.

Comme tout spectacle de cette durée, certaines longueurs assaillent la fin de l’histoire. Et même si l’entracte – obligatoire – fait perdre un peu de rythme à l’ensemble, on n’en ressort pas moins attendri·e, conscientisé·e et avec des arcs-en-ciel pleins les yeux. En effet, rien ni personne ne pourra jamais « piss on the parade ».

* Photo par Stéphane Bourgeois.

Détails et billets ici.

Vos commentaires