Judy

Judy au Théâtre d’Aujourd’hui | Une artiste féministe qui transforme des vies

D’un côté, des personnages qui n’en finissent pas de souffrir, embourbés dans leur difficulté à se dévoiler et à s’aimer eux-mêmes, liés par une infection sexuellement transmissible et des aspirations déçues. De l’autre, une artiste visuelle américaine octogénaire au look bigarré qui égraine avec aplomb l’histoire de sa vie et son combat féministe. La seconde peut-elle transformer les premiers? C’est la prémisse de Judy, la nouvelle pièce de l’autrice et metteuse en scène Gabrielle Lessard.

Jamais les personnages ne rencontrent Judy Chicago, dont l’œuvre la plus connue demeure The Dinner Party, une imposante installation créée dans les années 70, en hommage à des centaines de femmes mythiques et historiques. La connexion passe par le livre que l’artiste laisse derrière elle en quittant la scène.

Une lecture qui passionne les trois jeunes femmes de la pièce, dont la vie repose sur des mensonges à demi-avoués, sur fond de vie familiale étouffante et de choix professionnels subis.

La première, écrivaine déjà installée avec conjoint et enfant, cherche dans son amant, un artiste de renom, le souffle de vie qui lui manque. La seconde, artiste elle aussi, enfant d’immigrants, porte le poids des attentes familiales et gagne secrètement sa vie en faisant des ménages. La troisième, étudiante en médecine, suit sans enthousiasme les traces de sa mère gynécologue.

Cette dernière, pétrie des certitudes féministes qui ont guidé ses propres choix de vie, n’a aucune tolérance pour les doutes de sa fille. Ni d’ailleurs pour les schémas familiaux traditionnels ou l’accouchement naturel. Intense et mordante, elle ne voit de Judy Chicago que le look clownesque.

* Photo par Sylvie-Ann Paré.

Les hommes, enfin, ne pourraient être plus différents. Le conjoint choisit d’ignorer le malaise de son couple pour que rien ne change. L’amant, grandiloquent, a le compliment et l’autocentrisme faciles.

Tous, pourtant, se retrouvent dans un besoin viscéral d’autre chose, qu’ils manifestent de temps à autre sous forme de chœur. Une forme puissante, que l’autrice a choisie pour nous rappeler notre humanité partagée, malgré des vies vécues côte à côte plutôt qu’ensemble.

Des questions en suspens

Les comédiens sont convaincants, les dialogues percutants et parfois très drôles. Les ombres et la fumée emprisonnent habilement les personnages dans leur mal être, tandis que les trappes par lesquelles ils apparaissent ou disparaissent donnent comme un petit air d’enfer à l’ensemble de l’œuvre. On entre volontiers dans leur monde.

Mais où est Judy Chicago dans tout ça? Pas toujours aussi connectée à ces humains en détresse qu’on aurait pu l’espérer. Si son personnage reste inspirant, la forme choisie pour la faire connaître rappelle par moments une présentation à la TED Talk. Une méthode efficace mais un peu lisse, qui ne semble pas à la hauteur du choc et de la remise en question que l’autobiographie de Judy Chicago a provoqués chez Gabrielle Lessard.

* Photo par Sylvie-Ann Paré.

Le lien entre les idées de cette femme, qui a persévéré dans sa démarche face à un monde qui lui refusait une place, et la métamorphose promise des personnages, n’est quant à lui pas toujours clair, ni naturel. Il s’agit finalement moins de se métamorphoser que de se regarder en face. L’artiste américaine en est-elle vraiment le catalyseur?

Une tombée des masques particulièrement poignante pour le personnage de la mère, mais qui, dans l’ensemble, ressemble plus à un commencement qu’à une transformation aboutie.

Finalement, c’est peut-être l’amant-artiste, qui, en osant une démarche qu’il sait loin des attentes de ses riches commanditaires, fait le pont avec Judy Chicago.

A-t-on manqué quelque chose? C’est un peu le sentiment que perdure à la fin de Judy, qui ose une approche originale et invite à la réflexion, sans tout à fait parvenir à convaincre.

À voir au Centre Théâtre d’Aujourd’hui, du 29 janvier au 17 février. Détails et billets par ici.

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