Refused

Entrevue avec Dennis Lyxzén de REFUSED | Musique de guerre pour une époque frileuse

Lorsque Refused a effectué son retour sur scène en 2012, peu croyaient qu’on allait se retrouver sept ans plus tard avec un album de la trempe de « War Music », paru le 18 octobre dernier. Si « Freedom » (2015) permettait aux Suédois de réactiver leur créativité commune, c’est vraiment avec « War Music » que l’explosive formation hardcore reprend là où ils nous avaient laissés 21 ans auparavant avec le chef d’oeuvre révolutionnaire « The Shape of Punk To Come ». On a jasé avec le chanteur Dennis Lyxzén alors qu’il pliait bagage à la maison à la veille d’une tournée mondiale qui les amènera à Montréal, au MTELUS, le 24 février 2020.

« Je suis à la maison, en Suède. Je suis presque prêt. On part samedi. Je dois terminer quelques trucs sur ma liste avant de partir », nous raconte-t-il au bout du fil, sur le ton solennel d’un soldat qui s’apprête à partir au front, mais qui n’en est pas à son premier conflit.

On jase de choses et d’autres. Pour un chanteur qui gueule sa révolte au micro depuis bientôt 30 ans, il est plutôt sympathique. Sa voix s’illumine lorsqu’on discute de cette soirée magique d’avril 2012 (un vendredi 13!) où Refused a renoué avec la scène après plus de 13 ans d’absence. J’y étais. Un des moments les plus mémorables de ma vie de mélomane.

« C’est drôle, au moment où nous sommes arrivés sur scène ce soir-là, je ne croyais sincèrement pas que ça allait engendrer tout ça. On croyait vraiment que ce serait un tout petit retour, quelques festivals, question de faire la paix avec le passé et notre fin abrupte (de 1998). Finalement, on a joué 82 spectacles cette année-là, et on s’amusait ferme! Mais même là, on croyait que ce serait, au mieux, l’année du retour de Refused. On croyait que ça s’arrêterait là… »

C’est après quelques mois de tournée que les membres du groupe ont décidé de pousser l’exercice plus loin, et de commencer à écrire ensemble à nouveau. Le batteur David Sandström et le guitariste Kristofer Steen travaillaient déjà sur quelques trucs. « Ils avaient déjà enregistré quelques démos, des pièces instrumentales prog-métal un peu weird, et ça nous plaisait tous. La chanson Elektra (sur Freedom, en 2015) provient de ça. Il fallait ensuite passer par ce processus un peu expérimental pour trouver quel genre de band nous étions à présent. En rétrospective, je crois que Freedom servait à ça, et maintenant, nous nous retrouvons davantage dans la même veine que ce groupe de 1997 qui avait produit The Shape of Punk To Come. C’est différent, mais ça provient de la même place, je crois. »

Dennis Lyxzén* Refused à Boston en 2015. Photo par Marc-André Mongrain.

Musique engagée dans une époque enragée

War Music est un album qui ne passe pas par quatre chemins, et ne met pas de gants blancs. Refused y propose une musique implacable, sans compromis, qui brusque, confronte. Les chansons qu’on y retrouve déclarent la guerre à son époque, attaquent de front le capitalisme, secouent la politique. Refused implore une révolution. D’un ton posé et réfléchi, Lyxzén n’hésite pas à utiliser deux termes que l’on n’utilise qu’avec parcimonie de nos jours : « oui, notre musique est violente et radicale. »

 

Nous ne sommes pas en faveur de la violence. Ce n’est pas quelque chose que nous aimons. Mais si tu observes le monde, c’est tout ce que nous avons, c’est partout : les jours de travail de huit heures, la souffrance des plus démunis, l’inaction des gouvernements…  Toutes ces choses mènent à une lutte violente. Nous ne sommes pas étrangers à cela. Si vous ne voyez pas le contexte historique, c’est facile de s’asseoir sur ses grands chevaux. Nous faisons face à la violence tous les jours. Le monde occidental est puissant car il a utilisé sa violence sur le monde. Ainsi vont les choses, et il faut considérer la violence si vous voulez changer quelque chose. Donc nous ne craignons pas la violence, mais nous ne l’aimons pas non plus.

Étrangement, ce sentiment de révolte circule abondamment sur les réseaux sociaux, et teinte de plus en plus notre époque, mais la scène musicale peine à transmettre ce sentiment, à aborder les sujets épineux. L’impression qu’il y a une carence réelle en musique de protestation est partagée par Lyxzén.  « Notre monde est évidemment très polarisé, et peu de musiciens abordent les enjeux. Je peux comprendre pourquoi : en ce monde où les réseaux sociaux dominent les conversations, on a peur du ressac, effrayé de dire les choses de la mauvaise façon et de se faire attaquer. Plusieurs musiciens ne s’y sentent pas confortables, c’est délicat. Alors en quelque sorte, je crois que la musique est désormais perçue comme une forme d’évasion, une façon d’échapper à cette lourdeur ambiante plutôt qu’un outil pour l’aborder. Je le comprends mais je m’en désole. Pour moi, le coeur de l’art est d’être à l’image de son époque.»

Le chanteur croit que la musique peut (et doit) toujours aider à changer les perceptions, mais d’une façon différente des époques passées. « Grâce à son attrait immédiat, je crois que la musique peut vraiment te faire changer de trajectoire. La vie ne se résume pas à ce qui a été décidé pour vous. La musique peut changer ce que vous pensez pouvoir être. »

Refused au Rockfest de Montebello en 2015. Photo par Greg Matthews

Lyxzén demeure très conscient que la charge politique de sa musique n’est pas nécessairement interprétée de la même façon d’un auditeur à l’autre. Et ça lui convient très bien comme ça. « Nous sommes assez sérieux sur le plan de la politique, mais nous aimons jouer de la musique, nous nous amusons beaucoup avec la musique. Plusieurs voient en nous un groupe très politisé, et d’autres apprécient tout simplement la musique pour son intensité, ses riffs à la fois complexes et amusants. »

Cette double facette se traduit aussi dans son comportement sur scène. Pour ceux qui n’ont jamais vu Refused en spectacle, Lyxzén est un frontman comme il s’en fait peu, généralement vêtu d’un complet élégant, s’agitant comme un Mick Jagger qui aurait appris le kung-fu. « Si vous écoutez l’agressivité pure de notre musique et que vous me voyez danser sur scène, c’est un contraste que je trouve intéressant à proposer. Le hardcore est une musique qui se veut très virile, et qui est souvent soutenue par un comportement à l’avenant. Je ne suis pas confortable avec cette façon de faire, je préfère proposer un autre modèle…»

C’est ce qu’on retrouvera sur la scène du MTELUS cet hiver. Il reste encore des billets par ici. En attendant, War Music est disponible sur toute les plateformes d’écoute, et ça bûche sur un moyen temps…

 

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